Dimanche 1er septembre, je me suis rendu à Lannedern en Plonevez-du-Faou, région magnifique, pas encore défigurée par les éoliennes, pour participer au Pardon de Saint Edern en la chapelle de Notre-Dame de Koat-ar-Roc’h (Notre-Dame du Rocher). Ayant l’habitude d’assister à bien des pardons, trop souvent, malgré la bonne volonté, le dévouement des organisateurs qui font revivre spirituellement ces sanctuaires et crée en cette occasion des liens de convivialités, je n’ai été que trop souvent déçu.
Pourquoi déçu, alors que sans doute l’essentiel est dans ce que je viens de dire ? Parce que dans ces Pardons, l’âme bretonne est la grande absente, elle a depuis trop longtemps été déracinée, congédiée au magasin des antiquités. Certes, ici et là on tente de faire revivre certaines traditions (bannières, costumes, cantiques, processions, danses, repas, etc), mais il manque cette âme bretonne, inséparable des Pardons, qui justement en faisait autre chose qu’un rassemblement festif, où d’ailleurs trop souvent, le profane (repas) l’emporte sur le spirituel (table de communion …). Nous savons combien il est difficile de faire revivre des traditions oubliées, non dans une stérile nostalgie, mais parce que ces traditions sont le socle d’une foi vivante, évangélisatrice et d’un enracinement vrai ; les branches de la foi ne peuvent bien se développer que sur un tronc, lui même bien enraciné, alimenté par le terreaux des traditions. Les Bretons sont, dans leur pays, des déracinés qui s’ignorent …
Ici, à Koat-ar-Roc’h, en un site reposant, dans une chapelle magnifique (XVIe siècle) au milieu de son écrin de verdure, s’est déroulé un Pardon enraciné dans la foi et l’âme bretonne, dont d’ailleurs la référence était Feiz ha Breiz, c’est à dire la foi au service de la Bretagne et des Bretons, mais dans toute une authenticité, loin d’un folklore festif de circonstance. Ainsi, la messe qui était la messe grégorienne de la Vierge, fut chantée avec ferveur par la chorale et les fidèles. Les cantiques bretons, celui dédié à Saint Edern, Adoromp Holl, O Elez ar Baradoz, Pegen Kaer, le Salve Regina (grégorien), l’Angélus, le furent tout autant, et bien sûr le très populaire Da Feiz hon Tadoù Kozh sans lequel un pardon ne serait pas complet. L’homélie de Monsieur l’abbé Troadec, du Prieuré Saint-Yves de Guipavas, dite du haut de la Chaire de Vérité qui avait retrouvée sa vocation, porta sur l’historique de cette belle chapelle, et le signe de la Providence qui permis sa résurrection et le Pardon d’aujourd’hui.
Est-il nécessaire d’insister sur le fait qu’il n’est pas de belles messes sans une belle liturgie, et en cela nous fûmes comblés ? Outre les chants grégoriens de la messe, les cantiques cités, la liturgie, par les vêtements du célébrant, des servants de l’autel, la gestuelle des rites contribuèrent à cette beauté, et évidemment, la participation vivante des fidèles, fort nombreux, puisque la chapelle s’avéra trop petite.
Après un bon repas (cochon grillé) précédé du Bénédicité, ce fut les Vêpres. Là encore, la liturgie, par le grégorien déploya sa richesse, avec ensuite la procession qui se déroula dans un très poétique chemin creux, comme jadis, avant la catastrophe du remembrement. Il y en avait tant dans le bocage breton. La statue de Notre-Dame de Koat-ar-Roc’h était magnifiquement escortée par des sonneurs du bagadig et portée par des jeunes gens et jeunes filles en costumes du Cercle celtique Koad ar Roc’h, suivie des bannières, du clergé et des fidèles, aux rythme des cantiques bretons et surtout celui de Saint Edern, dont l’air est celui de Notre-Dame du Folgoat, de Quelven ou encore de Koat-Kéo. La procession, quittant le chemin creux, pris la route qui mène au bourg, affichant ainsi cette foi chrétienne et bretonne. Et, retour à la chapelle pour le Salut au Saint Sacrement avec les traditionnels Tantum ergo, O Salutaris Hostia, le Magnificat, l’Ave Maris Stella et les invocations en breton : Meuleudi da Zoue, pour encore une fois s’achever par le Da Feiz hon Tadou Kozh qui reste bien un « marqueur » de l’affirmation de la foi bretonne.
Le sermon des Vêpres, nous instruisit sur la vie de Saint Edern, le cerf son fidèle compagnon, et le prédicateur fit le lien entre les traditions religieuses de l’ancienne Celtie avec la christianisation de la Bretagne, démontrant qu’il n‘y avait pas opposition entre les deux traditions, mais que la première était en quelque sorte la Préface à la seconde pour que se lève la Bretagne chrétienne, terre de nos saints et de nos des saintes, des chapelles et des enclos paroissiaux, des calvaires.
Il convient de féliciter la haute tenue du Bagad (dont certains du réseau Feiz & Sevenadur), auquel se joignait, sonnant de la cornemuse le dynamique abbé David Aldalur également du Prieuré Saint-Yves, entrainant les amateurs de danses bretonnes. Mais aussi de féliciter tous ceux qui portaient le costume breton, hommes, femmes, jeunes filles et jeunes hommes, enfants) de diverses régions : Plougastel, Fouesnant, Quimper, Locronan, Lorient et autres, ajoutant au pardon sa note bien bretonne. Mais il est bon de préciser que ceux et celles qui le portait, à la beauté, à l’élégance des costumes s’ajoutait la dignité, la fierté, prouvant ainsi que porter un costume breton avait un sens, qui est celui du sacré, de l’enracinement, et non celui d’un folklore caricatural, d’un déguisement, le temps d’une petite heure pour donner la « note locale », costumes portés ce jour là tout au long de la journée. Petit « détail », mais qui dans le contexte de notre époque déchristianisée n’en est pas un, la présence au cou des jeunes filles, des dames, des fillettes de petites croix affirmant là foi, mais aussi la sacralité du costume breton. Il en était ainsi jadis …
Si la beauté des cérémonies religieuses dépend de la beauté de la liturgie, des vêtements liturgiques, des gestes et de l’attitude des célébrants et des servants, la beauté de la fête profane répond aux mêmes exigences. L’abbé Aldalur, dans une courte intervention précisera tout cela, insistant sur la devise Feiz ha Breiz, programme pour l’avenir, promettant l’an prochain un Pardon dans l’esprit des Bleun-Brug de jadis, n’ayant rien à voir avec une nostalgie stérile, mais ayant tout à voir avec l’affirmation d’une foi chrétienne, catholique, bretonne vivante, une foi qui dans les expressions de sa beauté et des trésors de la tradition catholique et des traditions bretonnes est évangélisatrice ; ce Pardon en était la preuve, dont on souhaiterai qu’elle fasse école.
LE MIRACLE D’UNE RESURRECTION
Un petit mot sur la chapelle. Magnifique sanctuaire dans lequel est inséré avec son rocher la fontaine près de laquelle vivait Saint Edern et où coule encore la même eau clair, et qui failli disparaître à jamais. Dans les années soixante, comme bien des chapelles, elle était abandonnée, faute de fidèles, de prêtres, et par la faute d’une indifférence religieuse, voire d’un rejet des traditions qui s’installait et faisait des ravages dans la foi et la pratique religieuse. Mais par chance, disons plutôt par miracle, en 1967, deux personnes, Monsieur et Madame Pirche, cherchant à fuir la capitale parisienne, architectes de profession, furent séduit par la chapelle abandonnée et parvinrent à l’acheter à la commune trop heureuse de s’en débarrasser. Le « débarras » était d’autant le bien venu, que le projet des acquéreurs était de faire de l’édifice leur … maison d’habitation, ce qui n’était pas pour déplaire à certains alors en pleine crise iconoclaste, ne voyant pas d’un mauvais œil disparaître ces reliquats d’une foi populaire primitive, obstacle à l’avènement d’une Eglise de l’enfouissement et en recherche, d’une foi en osmose avec le monde. Pour diverses raisons, le projet d’habitation ne fut pas réalisé. Sans enfants, Monsieur et Madame Pirche, à leur mort, léguèrent la chapelle et le site à la FSSPX. Après les indispensables travaux de restauration, la chapelle ayant retrouvée sa beauté d’antan, fut le 17 septembre 2022 rendue au culte, retrouvant sa vocation, la sauvant ainsi une première fois de la ruine, une deuxième fois d’un usage profane.
Saint Edern, Notre-Dame de Koat-ar-Roc’h avaient bien veillés sur leur magnifique sanctuaire, pour qu’il retrouve sa vocation d’évangélisation dont la Bretagne a aujourd’hui, elle aussi tant besoin, mais dans le cadre de sa culture, de ses traditions, de sa langue et de la richesse de ses admirables cantiques, car hors de ce cadre enraciné, cette chapelle, ce Pardon n’aurait plus rien de breton, cela n’aurait aucun sens. Ce beau Pardon semble prouver que la FSSPX – du moins localement – a bien compris que sans un enracinement authentiquement breton, son oeuvre si belle soit-elle ne serait qu’une œuvre ordinaire. Que la Fraternité soit remerciée pour l’avoir compris. Feiz ha Breiz n’était plus une simple devise, mais un programme devenu réalité, le panneau indicateur de la seule voie à suivre pour le devenir d’une Bretagne vraiment chrétienne et bretonne …
Photos : Bruno Tarlet (DR)
Il est certain que porter le costume breton n’est pas anodin. Enfin, j’imagine, car je ne me suis jamais risqué à porter le chapeau traditionnel que mon grand-père (ma zad-kozh), sans doute l’un des derniers en son pays du Poher (bro Poc’her) au terme d’une vie bien ancrée (cruellement marquée par les deux plus grandes guerres, ar brezel pevarzek hag an eil brezel, que la planète eut connu, marquée aussi par la responsabilité paysanne et administrative, et la dignité chrétienne ), portait jusqu’à sa mort en 1955. Hemañ a zouge e dog , evel ma vez gwelet war fotoioù zo.
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Un dra all. Autre chose. Si les pardons sont ou devraient pour chacun être une fête religieuse importante et locale, à l’opposé d’un quelconque folklore de pacotille, il importe de rappeler deux choses, à mon humble avis:
. socialement, la présence au pardon local annuel était une occasion pour les participants de se réconcilier au besoin (d’où la désignation de « pardon », sans doute) avec quiconque, en raison des inévitables bisbilles qui surgissent ici où là dans le courant de l’existence quotidienne. Nul besoin de grande démonstration publique, un simple entr’aperçu mutuel, peut-être un discret hochement de tête ou encore un regard partagé, y suffisaient. Avons-nous l’équivalent aujourd’hui dans notre société moderne ? Pas à ma connaissance. Que peut-on faire ou imaginer pour restaurer cette fonction sociétale? Je ne sais pas.
. l’autre point concerne la Foi ou l’affirmation de la Foi. Seuls ceux – apparemment majoritaires aujourd’hui, mais est-ce si sûr? – qui ignorent ce que ce mot recouvre pourraient ne pas y aspirer. Jésus lui-même quelque part s’étonne de la foi d’une étrangère (comprenons d’une païenne): « même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi » (Lc 7, 1-10) dit-il, à ce que nous rapportent les premières générations chrétiennes dans les Evangiles. Tout çà pour dire que la Foi n’est pas un affichage, encore moins une obligation, elle est une chance, grâcieuse par nature, qui permet d’ « aventurer la vie » (cf Sainte Thérèse d’Avila?), de comprendre ce qu’est vraiment l’existence terrestre, et ce vers quoi cette réalité présente, et le plus communément opaque (mais pas toujours), nous achemine , individuellement et collectivement. Il n’en reste pas moins qu’en cette matière le régime laïc me semble politiquement le plus mature. Encore faudrait-il qu’il ne soit pas dévoyé en promotion du matérialisme… Encore faudrait-il que le petit ruisseau de la Foi, qui peut aussi être un torrent ou un fleuve plus majestueux, trouve à s’écouler dans notre environnement âpre (béton, goudron, laideurs en tout genre) et ceint d’artifices mortifères (je ne détaille pas)…
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Ra vevo e-pad pell hon pardonioù, e Breizh. Que vivent nos pardons en Bretagne !
Trugarez deoc’h Kernevad evit hoc’h evezhiadenn diwar-benn an digarez ma z eo ur pardon evit ober ar peoc’h gant tud zo. C’hoarvezet eo ganin en deiz all e Lannedern. Hag e miz Mae e Koad Keo. A bouez kenañ eo.