Les émouvantes funérailles de Yann-Fañch Kemener (article & enregistrement)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min
YF Kemener par R. Le Honzec (DR Ar Gedour)

Les funérailles de Yann-Fañch Kemener : un grand et émouvant moment !

Plus de 1500 personnes rassemblées dans le petit bourg de Sainte-Tréphine pour dire un Kenavo à l’artiste. Environ 300 personnes ont pris place à l’intérieur de l’église, la famille et les proches de Yann-Fañch. Les autres sont dehors et peuvent suivre la messe grâce à une excellente sonorisation. Des gens connus et moins connus, de ceux qui ont croisé le chanteur à un moment de leur vie, travaillé avec lui, ou simplement aimé ce qu’il offrait.

Alors que le glas retentit, la Kerlenn Pondi accompagne le cercueil vers l’église par une mélodie. La marée humaine s’écarte pour laisser passer Yann-Fañch, précédé du Père Guillaume Caous – recteur de la cathédrale de Tréguier – qui célébrera la messe, assisté de deux diacres (Erwann Tangy du Diocèse de Quimper & Léon et Jef Philippe du Diocèse de Saint-Brieuc & Tréguier) et de moi-même (acolyte institué, installé dans le Diocèse de Vannes), tous brittophones.

Après les allocutions du maire et de Jean-Michel Le Boulanger, la messe, en breton principalement, latin et un peu de français, fait respirer l’âme de Bretagne. Beaucoup de ceux qui sont là sont loin de l’Eglise : peut-être parce que la langue bretonne a été laissée de côté dans nos paroisses, ils sont partis sur la pointe des pieds. Ou encore pour bien d’autres raisons. Mais finalement, le Salud deoc’h Illiz ma farrouz (salut à toi Eglise de ma paroisse) est entonné et bien repris par l’assemblée, comme un héritage qui se dévoile du fonds chrétien qui subsiste. Le reste du répertoire choisi est lui aussi bien suivi. Des participants restés dehors regrettent de ne pas avoir eu de livret : ils étaient nombreux à vouloir suivre et chanter. Quelques-uns ont eu le réflexe d’utiliser notre outil Kan Iliz.

YF Kemener par R. Le Honzec (DR Ar Gedour)

Yann-Fañch m’en avait régulièrement parlé : il voulait du breton et du grégorien. Et tout le programme était selon ses voeux : la messe des défunts, le Dies Irae et le In Paradisum interprétés par la camerata de Sainte Anne d’Auray, nos magnifiques cantiques en breton menés par Anne Auffret, puis, lorsque l’assemblée s’avance pour bénir le corps, les musiciens qui se relaient pendant plus d’une heure, alternant cantiques et gwerzioù. Le cantique Intron Varia Rostren chanté par Anne Auffret, Eric Meneteau et tous les autres superbement accompagnés par Clément Le Goff à la bombarde et Florence Rousseau à l’harmonium. Le cantique à Saint Joseph, patron de la bonne mort, dont c’était la solennité du jour ou encore le cantique à Sainte Tréphine. Du violoncelle d’Aldo Ripoche s’échappent les notes graves comme un lamento pour le défunt. Comme au moment où Barzaz joue une mélodie… et l’on perçoit que désormais il y a un absent. L’instant où Heikki Bourgault et Erwann Tobie égrènent les notes du spectacle Ar en deulin… et se trouvent orphelins : LA voix n’est plus.

Elle est juste là, sobre, avant la bénédiction du corps. Après qu’Achille Grimaud ait récité l’appel aux saints du ciel :  « Venez, saints du ciel : portez-lui secours, allez à sa rencontre, anges du Seigneur. Venez pour accueillir cette âme et la présenter devant la face du Dieu très-haut ». Après que Patricia Riou, Yvon Le Menn et Philippe Guégan aient déclamé les mot de Grall, un Solo pour celui qui fut.

Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne […] je viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs…

Dans un silence de cathédrale, on l’entend résonner, cette voix familière, au sein des murs de Sainte-Tréphine. Il parle. Il nous parle et prend à son compte les paroles d’Anjela Duval :

M’ho ped, m’ho ped
Tudoù va bro
E brezhoneg ‘vidon pedit
Pa vin marv. Pa vin marv.

Des paroles d’espérance et d’une transcendance offertes à un peuple qui ne croit aujourd’hui que si peu et dont la flamme s’amenuise à la faim de l’Ankoù. La Bretagne perd peu à peu les siens et les braises s’éteignent. Mais là, comme en suspend et hors du temps, ceux qui croient et ceux qui ne croient pas sont là, ensemble, écoutant les mots de foi et cette musique au parfum d’au-delà.  Peut-être un jour chacun comprendra-t-il que l’âme de la Bretagne ne peut se suffire d’un vernis culturel ? Il y a cette profondeur et cette transcendance que l’on peut lire au-delà des mots.

Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé

Il est temps de s’avancer. Le glas résonne dans le ciel de Sainte-Tréphine. Après que chacun ait pu bénir le corps ou témoigner un signe d’amitié, les musiciens et chanteurs s’arrêtent de jouer dans l’église et la Kerlenn Pondi entame une danse de sortie.  La foule est là, massée. Je suis de ceux qui précèdent le cercueil. C’est beau. Terriblement beau. Tristement beau. Les mots manquent pour dire ce que l’on peut ressentir en cet instant où la musique semble épouser la Création, se traduisant comme le chant de la terre, une terre du bout du monde aux frontières de sable et de sel que Yann-Fañch chérissait. Pour reprendre la phrase de quelqu’un : « on était triste, mais on était heureux ».

Une immense salve d’applaudissements recouvre les larmes. L’artiste est ovationné alors que le corbillard s’élance.

Nous nous dirigeons vers le cimetière, précédés d’un trio de clarinettes mené par  Tristan Gloaguen et de la croix celtique. Yann-Fañch sera inhumé là, avec ses parents, dans cette terre de ses ancêtres. C’est à mon tour d’officier, avec Erwann Tanguy. Yann-Fañch, tu as été là pour mon frère, je suis là pour toi…

Le gwenn-ha-du drape le cercueil pendant que le ciel pleure doucement ses larmes. Un moment de prière et voici qu’est entonné le Bro Gozh.

Kenavo, Yann-Fañch. E brezhoneg ‘vidous e pedimb.

Le Centre de Recherche Historique du Léon – CRHiL vient de mettre en ligne un enregistrement complet de la cérémonie. Nous le publions sur Ar Gedour avec son aimable autorisation. Nous vous invitons à découvrir leur article et le livret de messe mis en ligne.

https://soundcloud.com/keibl-crhil/obidou-yann-fanch-kemener

Index global (cliquez sur les liens pour en savoir plus sur les cantiques):

5:16 – Cantique Zalud dac’h, iliz ma farroz.
9:08 – Requiem. (en latin)
10:52 – Mot d’accueil par l’Abbé Guillaume Caous.
12:58 – Intervention de Georges Galardon, maire de Sainte-Tréphine.
17:30 – Intervention de Jean-Michel Le Boulanger, vice-président de la Région Bretagne.
33:36 – Kyrie. (en latin)
35:56 – Lecture du livre des Lamentations, Lm 3, 1626 par Herve Sebille Kernaudour. (en breton)
37:41 – Psaume Baradoz dudius.
42:26 – Dies irae. (en latin)
46:55 – Acclamation de l’Évangile – Enor ha gloar da virviken.
48:08 – Évangile selon Saint Jean 11, 17-36. (en breton)
50:27 – Homélie (en breton)
54:19 – Prière universelle – Aotroù doue madelezus, chelaouet hon fedenn.
1:04:09 – Offertoire.
1:06:42 – Sanctus. (en latin)
1:07:25 – Anamnèse.
1:14:06 – Notre père. (en breton)
1:15:42 – Agnus dei. (en latin)
1:16:30 – Communion.
1:17:43 – Lux eternam. (en latin)
1:19:50 – Jesuz pegen bras eo.
1:26:12 – Bénédiction du corps.
1:31:19 – Lecture du poème « Solo » de Xavier Grall par Patricia Riou, Yvon Le Menn.
1:36:52– Diffusion de l’enregistrement du poème « Pa vin marv » d’Anjela Duval récité par Yann-Fañch Kemener.
1:43:44 – Bénédiction de l’assemblée.
1:45:00 – Itron Varia Rostren.
1:49:48 – In paradisum
1:53:17 – Cantique à Sant Joseb
1:55:41 – Cantique à Santez Trefina

2:42:44 – Sortie de l’église avec le Bagad de la Kerlenn Pondi.

2:46:31 – Marche au cimetière à la clarinette avec le trio dirigé par Tristan Gloaguen.

Source vidéo : Ouest-France

Add du 29/01/2019

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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4 Commentaires

  1. Merci d’avoir mis en ligne l’intégralité des obsèques pour ceux qui ne pouvaient être présents. Serai-il possible d’avoir aussi la feuille de messe en ligne ?
    A galon,

  2. Merci beaucoup d’avoir partagé avec tous les lecteurs d’Ar Gedour les funérailles de Yann-Fañch Kemener. La distance qui me sépare de la Bretagne ne m’a malheureusement pas permis d’y assister.
    Mais la lecture de votre magnifique article m’a plongé dans la beauté de cette émouvante messe, j’en ai même pleuré.
    Nous visionnerons demain en famille la vidéo complète pour accompagner Yann-Fañch « da varadoz » .

  3. Pennaden braù tré… Comme si j’y fus. Santez Anna d’ho pennigo, Yann Fanch!

  4. Labour a feson kaset ganeoc’h, gourc’hemennoù !

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