Saints bretons à découvrir

LES HYMNES BRETONS DE LA FETE DES MORTS & DES FUNERAILLES

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min

 Nous reprenons ici un article que nous avions publié en 2014, en le réactualisant, tout en invitant les lecteurs à faire en sorte que ce magnifique répertoire musical sacré breton reprenne place dans nos paroisses, que ce soit pour la Toussaint, le 2 novembre ou encore pour les funérailles. 

20141027_122200.jpgLes Bretons ont toujours eu une «relation intime» avec la Mort, non par un penchant morbide douteux, mais par une lucide conscience que leur fin dernière, le futur « bien-être » de leur âme était une affaire trop sérieuse pour la négliger.

L’Ankou, ce personnage emblématique des «Légendes de la Mort», était l’invité surprise qu’il fallait aussi ménager…

L’Eglise, le Mercredi des Cendres, le rappelait en appliquant celles-ci sur les fronts, de «ne pas oublier qu’on n’était que poussière, et que l’on retournerait en poussière». Et si l’intéressé s’abandonnait à l’oublier, certains frontons des ossuaires (1) affichaient sans détours l’adresse du défunt aux vivants :

«Hodie mihi, cras tibi» ( aujourd’hui à moi, demain à toi ).

La littérature bretonne est riche de légendes mettant en scène la mort, dont les fameuse «Légendes» d’Anatole Le Braz, ou encore le «Mirouer de la Mort», long poème breton du XVI e siècle (2). Jean-Pierre Calloc’h dans les « Lais » de son célèbre «War an Daoulin» exprimera aussi cette relation intime avec la mort. Bien des écrivains et dramaturges, comme Tanguy Malmanche seront inspirés par «Elle». Des musiciens comme Jef Le Penven ou Guy Ropars puiseront les sources de leurs œuvres dans le riche patrimoine des hymnes bretons pour les défunts. Un patrimoine musical – qui n’aura d’égal que la «Missa de Defunctis» grégorienne, et dont le Requiem, le Dies Irae, le Libera, le Languentibus in Purgatorio* ou l’In Paradisum – seront également à l’origine de leurs plus belles compositions. Signalons encore, le cantique des funérailles du film «Dieu a besoin des hommes», « Klemm ar re Dremenet » ( La plainte des Trépassés ) écrite par Herry Caouissin, conseiller de Jean Delannoy, et dont la musique fut composée par René Cloérec.

Une autre œuvre, peu connue, qui, bien que profane, mérite ici d’être signalée, c’est «Koroll ar Vuhez hag ar Maro» (La Danse de la Vie et de la Mort), pièce de Xavier De Langlais et musique de Georges Harnoux, dans laquelle nous retrouvons la «Gwerz ar Purgator». Cette œuvre admirable, composée spécialement pour être jouée au Bleun-Brug de 1939, ne le sera pas pour cause de déclaration de guerre…

Le Chanoine Pérennès, dans son remarquable recueil des «Hymnes bretons de la Fête des Morts en Basse-Bretagne» (3),20141027_122444.jpg écrit :

«Si l’âme bretonne est plus sensibles qu’aucune autre au « charme de la mort », si elle peut dire, avec Jean-Pierre Calloc’h que « Songer aux choses mortes est [son] plaisir» ( Soñjal en treu marù zo me flijadur ), cela vient de ce qu’elle est foncièrement chrétienne. Toute pleine de sentiment de la mort, l’âme bretonne l’a exprimé en des termes d’une vivacité et d’une intensité extraordinaires. C’est à cette mine riche et féconde qu’il faut aller puiser, si l’on veut apprécier à sa juste valeur la foi ardente et la piété profonde du peuple breton, dans le culte qu’il rend à ses morts »

Et c’est précisément dans les admirables gwerzioù et cantiques que toute cette foi et piété s’expriment librement.

Notre propos n’est pas dans le cadre de cet article de faire l’historique des traditions funèbres bretonnes, traditions qui aujourd’hui appartiennent toutes, dans justement ce qu’elles avaient de bretonnes, au passé. Désormais, la relation qu’a le Breton, et pas seulement lui, avec la mort et ses défunts, suit la même évolution que partout ailleurs : un décrochage avec tout un rituel et une pensée chrétienne pour faire place à une dépersonnalisation de la mort, liée à la faveur que connaît désormais l’usage de la crémation, choix qui impose sa propre «liturgie» nihiliste. Jusqu’au compost

De l’âme bretonne et de la mort

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Arch. Ar Gedour – Réal. Ololê / Micheau-Vernez

Restent, pour nous Bretons, nos cantiques qui expriment toute l’âme bretonne face à la mort. Mais justement, est-ce que, à l’instar de nos traditions…défuntes, nos cantiques ne le seraient pas aussi ? De nos jours, les obsèques en Bretagne jadis bretonnante, sont à l’image des obsèques de n’importe quelle région de France. Au grand dam des familles de trépassés qui voudraient proposer un cantique breton pour un dernier Kenavo, mais se retrouvent face à un refus ou à une incapacité de la part des guides d’obsèques. Ce que commencent à comprendre certaines entreprises de pompes funèbres qui font appel à des professionnels du chant breton notamment dans les cimetières, le lieu où règne encore une certaine liberté. Car dans nos églises on n’y exprime plus guère en ces occasions cette «Espérance du Ciel» par nos cantiques populaires, évincés au profit de tout un répertoire en français d’une assez grande pauvreté et…tristesse, d’où il est parfois difficile d’y trouver exprimé ce « Dies Natalis in Caeli » (Jour de Naissance au Ciel) comme l’enseignait l’Eglise. A cet abandon, seul, en diverses paroisses a survécu notre admirable «Ar Baradoz» (Cantique du Paradis), qui d’ailleurs connaît un renouveau. Il est vrai aussi, qu’ici ou là, on lui préfère sa «copie» en français, sur le même air, l’insignifiant « Jésus qui êtes aux Cieux ». Yann-Fañch Kemener l’avait compris, lui qui a publié un album portant ce nom d’Ar Baradoz, réalisé justement en partie pour que, au pire, les défunts puissent avoir un enregistrement lors de leurs funérailles.

Mort et repos

L’Eglise, dans sa liturgie des défunts, n’emploie pas le mot de mort, mais lui préfère celui de repos. Le cimetière est le lieu où le défunt repose, qu’exprime l’épitaphe «Requiescant in pace» inscrite encore sur bien des tombes. C’est ce même repos dans l’Espérance du Paradis que chantent nos cantiques. Mais, certains n’hésitent pas à dire toute la «crainte» du défunt appelé à comparaître devant la «Justice Divine», et la perspective préliminaire du «Purgatoire», véritable épreuve pour l’âme du pêcheur.

Ainsi, si le «Kantik Ar Baradoz» exprime la joie du Paradis, la récompense de tout bon chrétien : «O soñjal deiz ha noz. E gloar ar baradoz» ( Je songe, le jour et la nuit, à la gloire du Paradis). Le «Baradoz Dudius» (Paradis Merveilleux) exprime l’aspiration de l’âme à entrer dans «La Patrie des Saints, sa patrie» :

Baradoz dudius ! Bro ar Zent eo va bro. A ! Pegen everus . E vin me bepred eno !

Mais les cantiques n’hésitent pas non plus à rappeler aux vivants qui les chantent, que l’âme du défunt se retrouve aussi face à la Justice de son Créateur et qu’elle espère en sa Miséricorde. Une âme qui appelle à l’aide, par leurs prières, les parents, les amis. On retrouve ces suppliques poignantes dans bien des «Gwerzoù», mais surtout dans ce chef-d’œuvre, la «Gwerz ar Purgator» (La Complainte du Purgatoire) : «Breudeur, kerent ha mignoned, En an’Doue, hor selaouet, En an’Doue, hor sikouret» (Frères, parents et amis, au nom de Dieu, écoutez moi, au nom de Dieu secourez-moi !). Le cantique vannetais «Kristenion vat» (Bons chrétiens ) est une adresse aux vivants :  l’âme maintenue au Purgatoire se sent comme abandonnée et réclame leur secours «O ! Ni ho ped, hur sekouret !” (Ho ! Nous vous en prions, aidez-nous !). .  Le « Tremen ra pep tra » évoque «le temps qui passe», où toute chose est éphémère.

Nous ne pouvons ici faire toute la recension de ce riche patrimoine. Il est d’autant plus riche, que ces cantiques sont pour un20141027_122431.jpg chrétien qui sait les lire et les comprendre, toujours d’actualité dans leur vérité théologique simple de la mort. Quant à leur musique, à l’instar de la liturgie grégorienne, elle élève l’âme des vivants vers le Ciel, et la met en véritable communion avec le défunt à qui les vivants s’adressent en cet instant. Nous avons des témoignages de gens qui, croyants ou non, ayant assistés à des obsèques durant lesquelles étaient chantés nos cantiques bretons, ont été bouleversés, et cela a été le commencement d’un «retour vers Dieu», ou d’une profonde interrogation sur leur propre mort.

La liturgie chrétienne des défunts, sans pour autant ignorer la douleur de la perte d’un être cher, ne s’est jamais voulu triste dans ses expressions, mais a toujours voulu que cette douleur soit dépassée par l’Espérance, d’où la grande sérénité de ses hymnes, faisant perdre à la mort son caractère redoutable : «Mort où est ta victoire !»… c’est bien cela que chantent nos cantiques.

Nous ne pouvons que regretter que nos cantiques bretons des défunts, plus encore que tous les autres, ne soient plus que pièces de musées ou pour récitals religieux ; à leur tour, ils sont morts. Il nous appartient de les faire revivre en les rendant aux vivants.

 

SOURCES & NOTES :

*Addendum : Merci à un lecteur de nous avoir rappelé ce motet « Languentibus in purgatorio », composé au XIVème siècle par Jean de Langouerzou, abbé de Landévennec.

1) « Crèches aux os & chapelles des morts en Bretagne » – Fons de Korp (Editions Label LN – 2013)

2 ) « Le Mirouer de la Mort », poème breton du XVI e siècle, traduit et annoté par Emile Ernault ( 1914 ), Paris librairie ancienne H ;Champion éditeur.

3 ) « Les Hymnes de la Fête des Morts en Basse-Bretagne » recueil du Chanoine Pérennès, 1925, et « La Mort en Basse-Bretagne » ( 1924 ), bref étude des traditions funéraires bretonnes.

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À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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Un commentaire

  1. Cette année, j’ai assisté à un enterrement (temps au funérarium seulement, limité à 30 mn tout compris) où il a été possible de placer un « Angelus », chanté en breton! L’assistance, réduite, était diversifiée. Merci à l’entreprise de pompes funèbres qui a compris la démarche.
    .
    J’espère que cela donnera quelques idées pour le futur ou que cela fera école. S’il y a des gens d’autres régions, cela leur sera une belle occasion d’entendre la langue du pays. Donc, ne pas hésiter. La courtoisie, la motivation, un peu d’audace, peuvent aboutir à de beaux résultats. Même dans un contexte très contraint et à charge émotionnelle forte. Justement: à charge émotionnelle forte.
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    E funerarium ar gêr, lec’hiet e kreizig ar vro, e oa. Daoust d’an amzer berr (un hanter-eurvezh evit an holl, nemetken) – e oe bet posubl kanañ un Angelus e brezhoneg. Na pegen peoc’hus e oa! Evit a re ne ouie tamm gêr ebet e brezhoneg ne oe nemet digeriñ o divskouarn. Trugarez (Bennozh Doue) d’an embregerezh vicherel (Pompes Funèbres, e galleg).

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