Les parents de Sainte Anne, arrières grands parents de Jésus

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min

Au transept sud de la basilique Sainte Anne d’Auray, là où se trouve l’autel qui lui est dédié, se trouvent, tout en haut, deux vitraux qui se font face représentant, l’un, à l’est, Saint Stolon, d’une part et de l’autre, côté ouest, Sainte Emérance…

Comme la plupart de ceux de la basilique, ces vitraux ont été réalisés sur des cartons d’Édouard Deperthes et Adrien Moreau par l’atelier d’Eugène Stanislas Oudinot de la Faverie (1827-1889), sis 6 rue de la Grande Chaumière à Paris 6° et posés au lendemain de la guerre de 1870 qui avait interrompu les travaux sur la basilique.

Saint Stolon, représenté les deux mains ouvertes vers le ciel, est le père de sainte Anne. Il est ainsi offert par la famille d’Eugéne Le Pontois (1840-1925), capitaine au long cours, qui sera maire de Vannes de 1908 à 1912 et porte les armoiries du pape régnant : Pie IX (1792-1878), l’auteur du Syllabus, condamnant le modernisme dans l’Eglise, c’est lui qui a proclamé le dogme de l’immaculée conception de la Sainte Vierge (bulle Ineffabilis Deus du 8 décembre 1854) avant de convoquer en 1869 le concile œcuménique de Vatican I qui statuera sur l’infaillibilité pontificale avant d’être interrompu par la guerre de 1870. Béatifié en 2000 par saint Jean Paul II, il sera le dernier souverain des Etats Pontificaux et se considérera après leur perte comme prisonnier au Vatican. Son pontificat de plus de 30 ans est un des plus longs de l’histoire de l’Eglise.

L’autre vitrail qui lui fait face est celui de sainte Émerance que les archives de la basilique présentent comme étant la mère de sainte Anne. Toutefois, il semble qu’une erreur ait été commise au moment de la commande : c’est sainte Émérencie qui est la mère de sainte Anne. Le « i » a vraisemblablement été oublié par l’abbé Guillouzo lorsqu’il a indiqué les noms des saints pour les inscriptions (Arch. du pèlerinage, 027).

Ce vitrail est offert par la famille Marsille, tanneurs originaires de Pont-Scorff qui a donné le premier abbé de Kergonan (Joseph, 1852-1933). Ce sont les armoiries de la ville de Lorient où la famille s’était établie qui sont représentées dans la partie inférieure de la baie (Arch. du pèlerinage, S1 p. 480), lesquelles sont celles de la Compagnie des Indes qui y avait son siège ( la 2°, celle refondée en 1719 par le financier John Law, à la suite de la 1° fondée en 1664 par Colbert).

Sainte Emérence et Saint Stolon sont, aux dires du Père Guillevic lui-même, rapportés par Anne-Marie Charrière (« Ici, j’ai entendu vibrer l’âme bretonne », Editions Ar Gedour, Neulliac, 2021, page 13) les arrières grands parents de Jésus, complétant ainsi « la représentation de la famille humaine de Jésus : ses parents et ses grands parents. Il n’existe pas d’autre lieu où elle est ainsi représentée »

L’évangile apocryphe du pseudo-Mathieu nous apprend qu’à l’âge de vingt ans, Joachim, de la tribu de Juda, « prit pour femme Anne, fille d’Isachar de la tribu et du sang de David »(1,2, écrits apocryphes chrétiens, collection la Pleiade, tome 1, page 120). Isachar est un des fils de Jacob qui a donné son nom à l’une des douze tribus d’Israël, rien a voir avec Stolon !

Il n’existe aucune autre source, canonique ou non, qui puisse nous renseigner sur le nom des parents de Sainte Anne.

Surtout, ne pas confondre la mère d’Anne avec Emérentienne, vierge martyre du IV° siècle, compagne de Sainte Agnés !

A la chapelle Notre Dame de Bongarant à Sautron, près de Nantes, il existe un maître autel dit « de sainte Emérence » par confusion avec l’image de la Vierge médiatrice, de miséricorde, dite « au manteau »

« Quelques amateurs de légende ont prétendu que la mère de Sainte Anne portait le nom d’Emérence. C’est un détail qui nous semble de peu d’importance, et qui n’a aucun rapport avec la représentation de la Vierge au Manteau-protecteur. A titre purement documentaire et pour écarter toute objection un tant soit peu sérieuse, nous ferons au lecteur les remarques suivantes : 1° On n’est point d’accord d’après les Bollandistes, sur les noms qu’il faut attribuer au père et à la mère de Sainte Anne (que d’aucuns ont appelés Saint Stolon et Sainte Emérence). 2° Dans la légende tardive qui concerne les parents de Sainte Anne, aucune allusion n’est faite à un rôle protecteur dévolu à la mère de cette grande Sainte, et qui pourrait ressembler à celui de la Vierge de Miséricorde. 3° On serait bien embarrassé pour démontrer que cette légende tardive ait jamais joui en Bretagne d’une véritable popularité. 4° « La légende dorée » de Jacques de Voragine, vers 1255, célèbre dans l’Europe entière, et dont on sait l’influence sur l’art médiéval, ne donne pas les noms des parents de Sainte Anne. » (La chapelle Notre-Dame de Bongarant (Sautron – Bretagne) (infobretagne.com))

Une source mentionnant Émérencie est la traduction, publiée à Paris par le célébre imprimeur d’origine belge, Josse Bade en 1502, d’un ouvrage attribué à Petrus Dorlandus (Peter Van Diest) intitulé Vita gloriosissime matris Anne, lui-même contenu dans une compilation plus importante : Vita Iesu Christi … ex evangelio et approbatis ab ecclesia catholica doctoribus sedule collecta per Ludolphum per Saxonia ; on peut y lire :

« Soixante-dix ans avant la naissance du Christ, une fille pieuse et d’une grande beauté avait l’habitude de rendre visite, avec l’autorisation de ses parents, aux fils des prophètes du mont Carmel. Elle rejetait l’idée du mariage, jusqu’à ce qu’un des carmélites eut un rêve prophétique, où il voyait une racine dont poussaient deux arbres, l’un avec trois branches, toutes en fleurs, mais une fleur plus pure et plus parfumée que toutes les autres… Puis on entendait une voix qui disait : Cette racine est notre Émérencie, elle est destinée à avoir de grands descendants »

Une autre source provient du théologien Johannes Eck (1486-1543), de la célèbre université bavaroise d’Ingolstadt, qui, dans un sermon sur sainte Anne publié à Paris en 1579, nomme les parents de sainte Anne. Il les appelle Stollanus et Émérencie. Il précise qu’Anne est née après que le couple soit resté sans enfants pendant vingt ans, rappelant ainsi l’histoire de Sarah (Gn 18, 9-15) et celle d’Elizabeth (Lc 1, 18-25) : rien n’est impossible à Dieu !

Plus contemporaines de la conception et de la réalisation des vitraux de la basilique sont les relations par les frères Brentano des visions de la mystique Anna Katharina Emmerich (1774-1824). « La grand mère d’Anne était de Mara, dans le désert, où sa famille, qui faisait partie des Esséniens mariés, avait des propriétés. Son nom était quelque chose comme Morouni ou Emoroun. Il me fut dit que cela signifiait bonne mère ou mère auguste ».

Telles sont les paroles d’Anne Catherine Emmerich, dites le 16 août 1821. Les noms sont reproduits comme Brentano les lui avait entendu prononcer. Il en est de même de l’explication « auguste mère ». Lorsqu’en mai 1840, ceci fut lu à un hébraïsant : il dit qu’en effet  » emromo » signifiait auguste mère.
La soeur Anna Katharina Emmerich prononçait ce nom, comme tous les autres noms propres avec l’accent bas-allemand, et souvent en hésitant ; elle ne les donnait qu’approximativement, et on ne peut affirmer qu’ils soient reproduits ici bien exactement. Il est d’autant plus surprenant qu’on trouve ailleurs des noms semblables donnés aux mêmes personnes.

« Il est vrai que les écrivains qui suivent la tradition appellent ordinairement Emerentia la mère de sainte Anne ; mais ils font aussi de cette Emerentia la femme de Stolanus, que la soeur Emmerich appelle Emoroun. La tradition dit qu’Emerentia, femme de Stolanus, donna naissance à Ismeria, mère de sainte Elisabeth, et à sainte Anne, mère de la sainte Vierge. Suivant ce qu’a dit la soeur, Anne ne serait pas la fille, mais la petite-fille de Stolanus. s’il y a là une erreur de sa part, elle pourrait venir de ce que l’humble voyante aurait mêlé avec ses propres visions ce qu’elle avait entendu dire dans sa jeunesse de la tradition relative à l’origine de sainte Anne. Peut-être le nom d’Emerentia n’est-il que celui d’Emoroun latinisé. Comme elle n’en savait rien ou qu’elle l’avait oublié, et comme la tradition lui présentait toujours les noms d’Emerentia et d’Ismeria à côté de celui de Stolinus comme appartenant aux plus proches parents de sainte Anne avant son mariage, il est possible qu’elle en ait fait à tort des filles de Stolanus. Il était du reste très rare, quoiqu’elle mentionnât une si grande quantité de noms propres, qu’elle confondit les uns avec les autres, même lorsqu’elle était au dernier degré de maladie et de délaissement. Nous inclinons pourtant a croire qu’il y a ici quelque erreur, puisque la tradition dit communément que sainte Elisabeth était nièce de sainte Anne, tandis que, d’après les communications de la soeur Emmerich, elle serait nièce de la mère de sainte Anne : car alors, Anne étant désignée comme un enfant venu après de longues années de mariage, Elisabeth semblerait devoir être plus âgée que sa cousine. L’écrivain, n’étant pas en mesure d’expliquer l’erreur qui a pu se glisser ici, prie le lecteur bienveillant de prendre la chose en patience, et de compenser par là les fautes que l’écrivain a dû souvent commettre contre cette vertu chrétienne dans le cours du travail pénible et souvent troublé auquel il lui a fallu se livrer pour mettre en ordre ces communications. » (vie de la sainte vierge, d’après les visions d’Anne Catherine Emmerich, publiées en 1854, Traduction de l’Abbé de Cazales)

Quoi qu’il en soit, il y a fort à penser que les promoteurs des vitraux de la basilique Sainte Anne d’Auray ont été influencés par ces visions, alors tout récemment publiées, de la sœur augustine que le saint pape Jean Paul II béatifiera en 2004

Et puis, l’âge venant et grâce aux progrès de la science, n’avons-nous pas vocation, à exercer, non seulement l’accompagnement de nos petit enfants, à l’exemple de Sainte Anne et de Saint Joachim, mais bientôt celui de nos arrières petits enfants ! ….

Alors, avec Sainte Anne et Saint Joachim, Saint Stolon et Sainte Emérencie, priez pour nous !

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. Merci pour cette très belle étude autour des grands parents de Marie !
    Je me suis toujours demandé pourquoi aucune statue n’était présente de Joachim alors que Anne est toujours présente avec sa fille Marie
    Je suis heureuse de lire et de profiter de ce site qui me rapproche un peu de ma Bretagne
    Passionnée de chants en breton lors d’une messe accompagnés d’un peu de bombarde je ne peux plus en profiter qu’avec un CD chez moi mais je me souviens d’une messe un dimanche à Carnac et ce tout en breton !
    Merci à vous

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