L’onction de Béthanie : « AMDG »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

onction bethanie

On a tous entendu et écouté, d’une oreille distraite, cette « péricope », comme disent les spécialistes, qui raconte l’histoire de Jésus « harcelé » par une femme qui vient gâcher son précieux parfum en le renversant sur lui …

Voyons d’un peu plus près ce dont il s’agit !

L’épisode nous est racontée par les Evangiles – à l’exception notoire de celui de Luc, qui, lui, parle de la pécheresse venue chez Simon, le pharisien, oindre de parfum les pieds de Jésus, et qui sera pardonnée « parce qu’elle a beaucoup aimé » (Lc 7, 39-50) – avec des détails différents, selon l’un ou l’autre, sur des points qui pourraient passer comme secondaire, et pourtant ! ….

Où, quand comment et avec qui ?

L’action se passe à Béthanie, chez Simon le Lépreux qu’on ne rencontre nulle part ailleurs, mais il n’est pas inintéressant de noter que Jésus ne craint pas d’habiter chez un lépreux, pendant le repas, l’avant-veille de la fête de la Pâques (Mt 26, 6-13 ; Mc 14, 5-9). Pour Jean (Jn 12, 1-11), c’est bien à Béthanie que cela se passe, mais plus précisément, chez Lazare, l’ami de Jésus qui l’avait ressuscité peu de temps auparavant (Jn 11, 1-44), dans la maison de Marthe et Marie, ses sœurs, où il séjourne depuis près d’une semaine, la veille de son entrée triomphale à Jérusalem sous une haie de palmes, le jour des rameaux.

Il s’agit donc, ni plus ni moins, d’une sorte de « préliminaire » à la passion, à la mort et à la résurrection du Christ, c’est dire toute son importance…

Mathieu et Marc ne nomment pas la femme au parfum précieux présente chez Simon le lépreux Mais, pour Jean, chez Lazare,  Il s’agit bien de Marie, celle qui, selon, précisément, Luc seul, « a choisi la meilleure part » (Lc 10, 42), la sœur de Lazare et de Marthe qui, bien entendu, elle, « servait » le repas auquel était également présent Lazare, leur frère (Jn 12, 2)

Nommons-la donc, avec Jean, Marie. La voilà munie d’un « flacon d’albâtre contenant du nard pur de grand prix » ainsi que le précisent Marc (Mc 14, 3b) et Jean (12, 3a) tandis que Mathieu reste dans le vague. En grec : « muron » tout court, qu’on a pu traduire un peu rapidement par « myrrhe », une résine parfumée, un des présents des mages à l’enfant Jésus (Mt 2, 11), que les soldats voulurent donner, mélangée à du vin, au cours du chemin de croix (Mc 15, 23), et apportée, mélangée cette fois, avec de l’aloès, par Nicodème en vue de l’embaumement du corps du supplicié (Jn 19, 39).

Il s’agit ici, très exactement, du « muron nardon », parfum de nard comme le précisent à la fois Marc et Jean

Mais qu’est-ce donc que le « nard » ? C’est une huile tirée de la racine d’une sorte de valériane qui pousse sur les bords de l’Himalaya au Népal. « Le texte nous parle de nard et les disciples s’évertuent à parler de parfum. C’est une sorte d’euphémisme olfactif : en effet, le nard n’est pas à proprement parler un parfum. C’est une huile essentielle d’une plante rare, une huile qui était utilisée dans de nombreuses traditions comme huile de passage, jusqu’à être associée, dans la mythologie grecque, au Phénix. Le nard porte en lui-même cette préfiguration de la mort, cette acceptation profonde qu’il n’y a pas d’autre chemin possible. Son nom hindou, qui est aussi le nom scientifique qui lui est attribué aujourd’hui, est « jatamansi ». Et ce mot en hindou signifie : esprit incarné. C’est ce sceau de l’esprit incarné que Jésus portera sur lui tout au long de sa passion et jusqu’à la Croix, posé par une femme qui a compris que Dieu s’incarne à ce point qu’il ne contourne pas la condition de mortel qui est la nôtre mais l’épouse pour nous donner courage à tous ». (Prédication de Madame la pasteure Marion Muller-Colard du Dimanche 8 octobre 2017)

Tout comme le moment où cette « onction » a eu lieu, la précision relative au nard n’est donc pas innocente. Et il fallait bien que ce soit une femme qui nous en donne la clef, pour nous « mettre au parfum » !

L’usage qui en est fait, frise le gaspillage : Marie, pour Jean, le verse (« a-leiphô ») sur les pieds de Jésus, comme l’avait fait la prostituée chez Luc, tandis que pour Mathieu et Marc, c’est sur sa tête que la femme le répand (« katéchô », comme catéchisme). Il ne s’agit donc pas tout à fait d’une « onction » au sens royal du mot grec « christos », qui signifie  « oint », mais il est vrai que cela y ressemble furieusement…

L’entourage de lever aussitôt les bras au ciel ! L’indignation des disciples, selon Mathieu, n’est pas partagée par tous les présents, selon Marc : « 300 deniers de perdu pour les pauvres ! » Pour Jean, seul Judas l’Iscariote, le futur traître et déjà voleur qui, pourtant, tenait les cordons de la bourse de la petite communauté, s’en émeut ; mais pour lui, plus que pour les pauvres ! …

Jésus approuve néanmoins sans aucune ambiguïté le geste de la femme / Marie qui évoque ainsi sa prochaine mort qu’elle aura finalement été la seule à pressentir contre l’ensemble des apôtres qui ne veulent pas en entendre parler : « des pauvres, vous en aurez tout le temps ! ».

Il y a donc plus important que le soulagement matériel de la misère : la gloire de Dieu !

C’est une « belle œuvre » (kalon ergon), du « beau travail » nous dit Jésus, à la fois pensif et admiratif. « Elle a fait ce qui était en son pouvoir : d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement » rapportent nos deux évangélistes, Marc et Mathieu.

Pourtant, ce « beau travail » c’est ce que Jésus avait accompli par ses miracles qui avaient failli lui valoir la lapidation des juifs (Jn 10, 32-33) ; il ne s’agit pas de la beauté physique et d’apparence des « sépulcres blanchis » (« ôraios », Mt 23, 27) ni même celle élégante de Moïse (« asteios », Actes 7, 20), c’est bien ce qui caractérise et qualifie l’œuvre d’art, la beauté gratuite qui ne peut faire l’objet que d’un don, un don total, puisqu’il n’en existe aucune contre partie

« Périsse ton argent, et toi avec lui, pour avoir cru que tu pouvais acheter, avec de l’argent, le don gratuit de Dieu » répondra Pierre à Simon le magicien qui voulait obtenir le don de transmettre l’Esprit Saint (Actes 8, 20).

La péricope se clôt, chez l’un comme chez l’autre, par ces paroles solennelles de Jésus : « partout où sera proclamé l’Evangile, au monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire ! » (Mt 26, 13 ; Mc 14, 9)

Ce qui n’est pas un mince hommage et mérite qu’il en soit fait mémoire : « ad majorem Dei gloriam » selon la devise des jésuites dont nous faisions précéder tous nos devoirs de l’abréviation : « AMDG ».

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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