Durant tout le mois de décembre, Ar Gedour publie chroniques et contes de Noël, avec la complicité des collaborateurs habituels d’Ar Gedour mais aussi d’auteurs connus ou moins connus, contributeurs d’un jour pour plonger dans l’univers de Noël. Nous sommes heureux de vous partager leurs contributions.
Il est né le divin enfant
Jouez hautbois, résonnez musettes
Il est né le divin enfant
Chantons tous son avènement
Chacun d’entre nous connait, pour l’avoir chanté à gorge déployée, bien réveillé à l’issue de la messe, ci-devant de minuit, ce chant de Noël qui fleure bon l’odeur de l’encens et de la fumée des cierges, prémisse d’un somptueux réveillon, à l’instar de celui promis au révérend Dom Balaguère, « ancien prieur des Barnabites, présentement chapelain gagé des sires de Trinquelage ». (Alphonse Daudet, « les trois messes basses » in « les lettres de mon moulin », XVII, 1899).
Chacun d’entre nous a chanté ces paroles que wikipedia nous précise avoir été collectées, à la fin du XIX° siècle, en Lorraine et mises en musique par l’organiste de la cathédrale de Saint-Dié sur un vieil air de chasse célébrant la prise d’un animal à tête « bizarde », aux bois irréguliers ou mal formés…
Sans doute pour cette raison, nous entendions, enfants, l’invitation à aller « jouer aux bois » sans oublier nos « musettes » garnies des tartines de chocolat du « quatre heures », ignorant que ce mot désignait d’origine l’instrument de musique qu’est la cornemuse appelée chez nous « biniou kozh ».
Dame, pour éviter toute contestation, les paroles de ce verset ont depuis été remplacées par : jour de fête aujourd’hui sur terre, sans doute plus dans l’air du temps, mais combien moins poétiques !
Reste que chanter « l’avènement » de ce petit bébé est déjà tout un programme !
C’est en effet un roi, un roi qui va en attirer trois auprès de lui depuis Lorient (laissez mon correcteur automatique tranquille !…) tandis qu’il emporte la jalousie du potentat local qui craint la concurrence au point de faire périr par l’épée tous les innocents contemporains de l’enfant contraint de fuir en Egypte pour échapper au massacre…. Si, si, lisez le chapitre 2 de l’Evangile de Saint Mathieu !
Depuis plus de quatre mille ans
nous le promettaient les prophètes
Depuis plus de quatre mille ans
nous attendions cet heureux temps
Quatre mille ans, je ne sais pas, mais presque tous, grands et petits prophètes ont annoncé le Royaume de Dieu que la Sagesse elle-même désigne au juste (Sg 10, 10) : « ainsi le juste qui fuyait la colère de son frère, elle guida par de droits sentiers ; elle lui montra le royaume de Dieu et lui donna la connaissance des choses saintes, elle le fit réussir dans ses durs travaux et fit fructifier ses peines». Le but atteint, promesse leur est faite : « ils jugeront les nations et domineront sur les peuples et le Seigneur règnera sur eux à jamais (Sg 3, 8)
Pour ne s’en tenir qu’au plus important des grands prophètes : Isaïe au VIII° siècle (avant Jésus-Christ, bien sûr !) : « un enfant nous est né, un fils nous a été donné; l’empire a été posé sur ses épaules, et on lui donne pour nom : Conseiller admirable, Dieu fort, Père éternel, Prince de la paix. Pour étendre l’empire et pour donner une paix sans fin au trône de David et à sa royauté, pour l’établir et l’affermir dans le droit et dans la justice, dès maintenant et à toujours. Le zèle de Yahweh des armées fera cela. » Voilà ce qu’Isaïe annonce au « peuple qui marche dans les ténèbres » (Is 9, 5-6), avec la promesse d’un roi qui régnera « avec justice » (Is 32, 1), « un surgeon issu de la souche de Jessé » sur qui « reposera l’Esprit de Ywhw » (Is 11, 1-9). « Qu’ils sont beaux (…) les pieds du messager qui (…) dit à Sion : ton Dieu règne ! » (Is 52,7)
L’écrivain Marek Halter stipendie « un monde sans prophètes » (Hugo-Doc, collection « Alerte », mars 2021) alors que les plateaux de télé regorgent de d’experts de tout poil !…. Et pourtant, on le sait bien : « participant à la fonction du Christ Prêtre, Prophète et Roi, les laïcs ont leur part active dans la vie et l’action de l’Eglise. Dans les communautés ecclésiales, leur action est si nécessaire que, sans elle, l’apostolat des pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir son plein effet. » (Vatican II « apostolicam actuositatem » N°10).
Ne sommes-nous pas, en effet, tous, par le baptême, prêtres, prophètes et rois, ainsi que l’affirme le catéchisme de l’Eglise catholique (783 à 786) ?
Noël n’est-il pas le moment ou jamais de se réveiller dans notre triple fonction de baptisés ?
« Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche » prêchait Jean Le Baptiste dans le désert de Judée (Mt 3,2) et c’est dans les mêmes termes que Jésus, établi à Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins des sombres pays humiliés par le passé, de Zabulon et de Nephtali, conformément à la prophétie d’Isaïe (8, 23-9,1), se mit, après lui et à son tour, à prêcher et à ordonner : « convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4,17)
On sait que chez le judaïsant Mathieu, pour ne pas galvauder le nom de Dieu, il parle de « Royaume des Cieux » pour le « Royaume de Dieu », mais c’est bien de la même royauté dont il s’agit, celle de Dieu auquel Jésus nous enseigne de s’adresser en prière en ces termes : « notre Père qui êtes dans les cieux … que votre règne vienne » (Mt 6, 10 ; Lc 11, 2). Ce qui laisse à penser que le règne de Dieu n’est pas encore totalement là !
Malgré tout, aux pharisiens qui lui demandaient quand viendrait le Royaume de Dieu, Jésus répond : «… voici qu’il est au milieu de vous » (Lc 17, 21), se désignant ainsi lui-même comme étant le Royaume de Dieu en personne, au centre de l’aéropage formé autour de lui par les pharisiens et les disciples qui l’écoutent et qu’il enseigne…
On lui demande quand viendrait le Royaume des Cieux, il répond qu’il est déjà là ; à une question de temps, il répond par un lieu, ou plus exactement, en se désignant lui-même.
Au moment des adieux à ses apôtres, Thomas l’apostropha : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin ? » Jésus répondit : « je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 5-6)
C’est à Ponce Pilate, le procurateur romain devant qui il comparait pour l’exéquatur de la peine de mort requise par les prêtres et les pharisiens que Jésus se reconnait roi, mais précise-t-il : « mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36). Et c’est bien ce titre qui, sur l’ordre de Ponce-Pilate, au grand dam des juifs, figure sur le « titulus », au sommet de l’instrument de torture, INRI : Jésus de Nazareth, roi des Juifs, (Mt 27, 37 ; Mc 15, 26, Lc 23, 38 et Jn 19, 19) ; « ce qui est écrit est écrit » (Jn 19, 23).
Décidément, il y aura, d’un côté, notre monde, illuminé par la présence sacramentelle du Christ et de l’autre le royaume du Dieu trine, espérance eschatologique d’un monde définitivement christifié qui semble s’éloigner de jour en jour, comme une attente sans fin : « amen, viens, Seigneur Jésus ! Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous ! Amen. », c’est sur cette ultime et fervente prière que se clôt, avec les derniers versets de l’Apocalypse – chapitre 22, versets 20-21 – la Bible toute entière.
Notre monde est le siège du mal et de la violence, et le restera, semble-t-il, malgré tous nos efforts pour l’améliorer… en réalité le mal n’est pas autour de nous, il est en nous et c’est bien pour l’extirper que Jean Baptiste, puis Jésus lui-même à sa suite, nous exhortent à nous convertir, c’est-à-dire à changer du tout au tout notre regard et notre comportement à l’égard de notre entourage, de la création toute entière, de Dieu lui-même auquel on ne reconnait pas suffisamment la place qui doit être la sienne.
« Des pauvres vous en aurez toujours » répond Jésus à Judas, offusqué du gaspillage de parfum opéré par Marie de Béthanie (Jn 12, 8)
Dans le monde et les temps qui sont les nôtres, le bon grain et l’ivraie sont destinés à se côtoyer, du moins jusqu’à la moisson (Mt 13, 24-30) et Dieu, seul maître et juge, a « confié à personne de mission purificatrice visant à extirper de l’humanité les racines du mal » (Vincent Morch, « la force de dire non, petite spiritualité de la résistance », Salvator, septembre 2021, page 116)
Alors comment se sortir de ce paradoxe : le pardon ! 77 fois 7 fois précise Jésus à Pierre qui l’interrogeait sur ce point , le pardon sans limite, « du fond du cœur » (Mt 18, 35). Le pardon et la prière, la plus humble soit elle, celle, encore une fois, enseignée par Jésus : « pardonnes nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » (Mt 6, 12 ; Lc 11, 4) …
Nous le savons en effet, Saint Paul nous l’a dit : « la création toute entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. » (Ro 8,22) Notre monde est tendu entre le « déjà là » qui s’étire depuis plus de 2000 ans et le « pas encore » qui dure depuis bien plus longtemps, mais risque de se finir à tout moment, tout à l’heure, un jour : demain ! Il viendra «comme un voleur » nous avertit Jean (Ap 3, 3 et 16, 1) nous répètent Pierre (2Pi 3, 10) et Paul (2Thess 5, 2-5).
Quand ? Là est la mauvaise question : il m’appartient d’être, en bon scout, « toujours prêt ! » Cela dépend de moi, de mes petits bras, de ma volonté de répondre à l’invitation de conversion. La bonne question est : où ? Dans l’Eglise et avec ses sacrements, image sans doute humaine et déformée du Royaume de Dieu, mais toujours signes de sa grâce surabondante.
Quel dommage que l’on ne prenne plus le soin d’aller jusqu’au dernier couplet !
Oh Jésus ! Oh roi tout puissant,
tout petit enfant que vous êtes,
oh Jésus ! Oh roi tout puissant,
régnez sur nous entièrement
Nedeleg laouen an holl !