Dans l’empire romain, le qualificatif Superior s’appliquait aux parties de provinces les plus proches de Rome. Inferior qualifiait les parties les plus éloignées. Ainsi étaient connues une Belgica Superior et une Belgica Inferior. De même pour la Germania, etc. Ces dénominations ont souvent survécu: Oberelsass est hérité de Germania Superior et ainsi de suite.
En Bretagne on peut penser que les noms Gwened Uhel et Gwened Isel sont traduites de Uenetia Superior et de Uenetia Inferior. Les noms de Gorre-Leon et Goueled-Leon pourraient provenir d’un Tractus Legionis de l’époque romaine, subdivisé en Legionia Superior et Inferior. Celà est néanmoins peu probable, puisque la Vita de s.Tudwal désigne le pays par les noms des pagi osismiens.
Dans le cas de Kernew-Uhel et Isel nous avons un nom apporté par les militaires bretons. Il a donc été créé après 400 ; mais suivant le même principe de l’éloignement de Rome, Haut à l’est, Bas à l’ouest. Le nom de Kernew était motivé par la présence d’ unités militaires cornoviennes, c’est-à-dire issues de la 22ème Légion. Il devait s’agir d’une part de la garnison d’Anauorate (Kemperlé) et d’autre part de celles des Arecaii (les deux Ergué) et de Corisopitum (Kerfeunteun) et du port de Conca Cornouiae (Concarneau). De même que Uenetia Inferior était le pays entre Blavet et Ellé, Cornouia Superior était le pays entre Ellé et Aven, et Cornouia Inferior le pays à l’ ouest de l’ Aven .
REMARQUE
L’ appellation « Kerne-Uhel » pour désigner le nord-est de l’évêché de Kemper (il n’ ‘y a pas de diocèse de Cornouaille) est récente et se réfère à l’altitude, oubliant la notion ancienne, courante encore au 19ème siècle.
TRACTUS OCCIDENTIS
Cornovia n’ a pas dû, au départ, s’appliquer à l’ ouest de l’ Odet. Des notions de l’époque romaine ont marqué le pays : penn/cap, avec les deux pagi, Cap Caval et Cap-Sizun et Penn-ar-Bed (St-Mathieu), et la notion des ports, avec le pagus Porthoed (Porzay). L’ ensemble devait constituer un district militaire, le Tractus Occidentis, dont les deux termes sont attestés, d’ une part par Pentrez (Pentraeth, de *Pennotractus) et d’ autre part dans Cruc Ochideint , (*Kroukon Occidentis, nom du Méné Hom (à 5km de Pentrez) dans l’ Historia Brittonum.
La permanence de l’usage romain est en accord avec la conception que les Bretons avaient de leur mission : ils représentaient l’ordre impérial romain, leurs chefs qui en latin, se disaient Consul, Dux, Comes, bien au dessus des reges, les chefs de tribus barbares. (En celtique, tout autant, ils étaient Wletic et Tigern.)
Les officiers de la hiérarchie britto-romaine (Britto-Valenses, Corno-Valenses) avaient naturellement leurs chancelleries, avec clercs celto-latins (dont le bilinguisme est patent dans les toponymes), notamment à Uorganium – Kerilien ou Castrum Iulianum. La dénomination Leon, du latin Legio, est un concept militaire, d’un milieu connaissant les notions de Superior et Inférior. La subdivision de Cornouia (et de *Legionia ?) doit donc dater du 5ème siècle.
BRITTANIA SUPERIOR
On en vient aux appellations Haute et Basse Bretagne. Notons d’ abord que le nom Bretagne remonte au latin Brittania, (avec 2 t), formé à partir de Britto (Breton, originaire de la Brittia, (autre nom de la Calédonie). L’anglais écrit aussi Brittany, différent de Britain (celtique Pretania). Britannia, en français, aurait donné « Brétaigne.«
Brittania, donc, « pays des Bretons », est subdivisée en Brittania Superior et Brittania Inferior. C’est donc un concept romain mis en pratique sur la fin de l’Empire, au 5ème siècle. A cette époque la principale chancellerie bretonne était en même temps l’état-major du comte du Tractus Armoricanus, à Nantes. Il ne fait pas de doute que la Brittania Superior comprenait les trois ciuitates des Namnètes, des Rêdones et des Uenetes. La Brittania Inferior, plus éloignée, comprenait les ciuitates des Coriosolites et des Osismiens.
Ces dénominations ont perdu leur clarté lorsque la géographie bretonne a été décrite à partir de Paris. La Bretagne étant vassalisée, la langue romane, le gallo, cousin de la langue du roi, fut présentée comme le marqueur de supériorité (et argument pour l’ usage du français) et la désinformation fit désigner « Basse Bretagne » la Bretagne bretonnante. Néanmoins, au 18 ème siècle, le lexicographe vannetais Pierre de Chalons appelle « bas-breton » le breton de Cornouaille et présente le breton vannetais comme haut-breton.
La définition géographique première de Haute- et Basse-Bretagne a l’ avantage d’ être stable, alors que les aires linguistiques sont mouvantes. On peut dire qu il y a un bas et un haut-breton, et aussi qu’ il y a un gallo de Basse-Bretagne.