Le judaïsme ancien, même s’il comportait différentes conceptions du Messie, n’en envisageait pas moins qu’une seule venue, et pensait que son Royaume serait établi sans conteste et d’une manière visible pour le peuple juif et toutes les autres nations.
Il fallait être vigilant et prêt à voir paraître la sainteté divine, lumière séparatrice entre ceux qui attendent Dieu et ceux qui s’en moquent.
Si l’on réfléchit bien, l’Evangile de ce jour reflète bien cette attente d’une manière même assez sévère, éloignée du sentimentalisme actuel du discours chrétien. J’ai le souvenir d’un vieux prêtre, au demeurant homme charmant et dévoué, victime encore à son âge assez avancé de l’attente du Jésus copain ou camarade des années 1968, qui regrettait que le vert ne soit pas la couleur de l’Avent. Vert espérance bien sûr alors que nous utilisons le violet pénitence, qui selon lui ne convenait pas. Notre Evangile va résolument, lui, dans le sens du violet avec son évocation du déluge.
Le déluge est en effet une punition de Dieu infligée à l’humanité. Pour reprendre les termes même de la Genèse, et je n’en citerai que deux, Dieu constate la méchanceté de l’homme et se repent de l’avoir créé. D’où la destruction par le déluge qui évoque aussi une destruction de la création par le retour au chaos originel symbolisé au chapitre 1erde la Genèse par une mer démontée.
En dépit de cette punition, demeurent quand même la grâce et la miséricorde dont l’Arche que Dieu a ordonné à Noé de construire est le signe parlant.
Et comme veut nous le faire comprendre l’Evangile, la vie se poursuit : on mange, on boit on se marie et peut-être se moque-t-on de Noé et de sa construction étrange. J’y reviendrai.
Noé a entendu la parole de Dieu et il y a cru, il construit au milieu de l’indifférence générale pour reprendre ce que dit Saint Paul dans notre deuxième lecture (Epître aux romains, 13, 11-14) Noé aperçoit par la foi que quelque chose va changer « la nuit est bientôt finie ; le jour est tout proche. »
Parce que Dieu l’a promis, nous savons que nous n’avons plus à craindre le déluge mais que nous devons attendre le jour du Seigneur au milieu d’une génération qui dans sa grande majorité n’en a que faire ! Chaque chrétien doit s’y préparer et en construisant en quelque sorte ses arches lui aussi. Entendons par là qu’il doit être attentif, dans le silence de la prière, à écouter ce que Dieu lui demande de faire pour être lui-même signe du royaume.
La vie n’est pas un long fleuve tranquille, le passage de ce monde au royaume de Dieu n’est pas du genre voyage d’agrément.
La seconde partie de l’Evangile du jour est bien éloquente à ce sujet. Il y aura des bouleversements semblables au déluge, un jugement avec des punitions, appliquées à certains et pas à d’autres, évocation du voleur qui perce ; le tout n’est pas très rassurant et en net décalage avec les annonces béates et lénifiantes de la venue de notre Seigneur.
En disant cela, je ne me pose pas en nostalgique de la prédication d’un Jésus juge inflexible. La peur ne peut pas être le principal motif de la foi. Aussi n’est-ce pas de la peur dont j’aimerais parler mais de la crainte au sens où en parle l’Ancien Testament.
Martin Luther en 1529 dans son petit catéchisme avait bien compris cela en utilisant deux mots avant l’explication de chaque commandement :
« Nous devons craindre et aimer Dieu. »
Oui, « craindre et aimer » comme on craint et aime l’autorité paternelle et maternelle quand on est enfant.
Je reviens pour conclure à la grâce et à la miséricorde qui ont toujours leur place dans toute punition divine. L’arche figure cette grâce et cette miséricorde déjà à un premier degré de lecture. Un bateau qui sauve des eaux un homme et sa famille ainsi qu’une partie de la création. Mais il faut y regarder de plus près et se reporter au texte de la Genèse. Vu les dimensions de la construction, l’arche n’est évidemment pas un bateau. Les détails du plan donné par Dieu à Noé montre qu’il s’agit en fait d’un temple. L’auteur de la Genèse utilise le vieux mythe babylonien du déluge et démythologise dirait-on en langage technique. Il laisse ainsi de côté l’idée mythique d’un bateau surdimensionné pour celle plus réaliste du temple.
Le temple est en effet le lieu de rencontre de l’homme et de Dieu. C’est par l’intermédiaire du temple que Dieu et l’homme se réconcilient parce que c’est là qu’ont lieu les sacrifices, les prières et les chants. Le temple est le premier des symboles du caractère religieux du judaïsme et du christianisme. Voilà pourquoi il est stupide de parler de christianisme areligieux et dans la foulée d’opposer la foi à la religion.
Une foi sans religion du Vrai Dieu peut devenir un horrible fanatisme lié au culte de l’homme ou encore un masque de l’athéisme !
Noé en entrant dans l’arche-temple est un vrai et bon religieux. Isaïe dans notre première lecture annonçait la venue des peuples nombreux à Jérusalem disant :
« venez montons à la montagne du Seigneur, au temple du Dieu de Jacob. Il nous enseignera ses chemins et nous suivrons ses sentiers…Il sera le juge des nations, l’arbitre de la multitude du peuple. » (Isaïe 2, 3-4).
A la suite de Noé qui entre dans l’arche-temple, à la suite d’Isaïe qui prophétise l’entrée des nations dans ce même sanctuaire, message que les chrétiens lieront comme prophétie, entrons nous-mêmes dans l’arche pour attendre le Seigneur.
Et cela nous est d’autant plus facile à nous Chrétiens que Jésus-Christ est notre nouveau temple, c’est en lui qu’habite pleinement la divinité. En demandant à ses apôtres de faire de toutes les nations ses disciples et de les baptiser, de les faire donc passer par les eaux d’un déluge qui les mène à la vie éternelle, il se manifeste comme l’arche-temple dans sa perfection qui a déjà vaincu le déluge. En passant par les eaux du baptême l’homme a le privilège de pénétrer dans le temple jusque dans sa partie la plus sainte : le Saint des Saints puisqu’il est frère du Christ. Il est alors doué d’une puissance d’entrainement, celle du Saint Esprit, qui doit le pousser à vouloir convertir le monde et le rassembler dans la seule vraie fraternité, pas la caricaturale fraternité des bonnets phrygiens symbole des prêtres émasculés de Cybèle la déesse de phrygie ou encore des bagnards, mais par la fraternité de la couronne d’épine qui fait couler le sang qui sauve et qui devient ainsi couronne de gloire et de lumière pour notre monde de ténèbres.
Oui entrons dans l’arche-temple pour attendre la naissance du Verbe dans la chair. Nous y trouverons l’Eucharistie et tout ce qui en découle pour nous préparer à fêter le miracle de l’Incarnation.
(Extrait du livre « A l’écoute de la Bible, homélies Dimanches et fêtes – Année A », Artège 2013)