A l’occasion du Pèlerinage En Hent qui vient de débuter comme chaque année pour aboutir à Sainte Anne-La-Palud pour le grand pardon, le Père Corentin Sanson a été interviewé par le quotidien La Croix. Nous publions ici cet entretien in extenso, car il reprend certains des thèmes abordés régulièrement sur Ar Gedour, et notamment ce lien fort entre culture et foi, démontrant que l’Eglise aurait tout à gagner à s’appuyer sur la culture bretonne pour transmettre la foi aux jeunes.
La Croix : Quelle est la particularité de ce pèlerinage En Hent ?
P. Corentin Sanson : Nous avons imaginé un pèlerinage permettant aux jeunes de découvrir que la foi ne se vit pas seulement lors de grands temps forts à Taizé ou à Lourdes, mais là où ils vivent. Avec En Hent, nous mettons à profit la beauté des paysages du Finistère, la richesse de notre patrimoine culturel et spirituel et les propositions sportives (cheval, kayak, voile, vélo) pour leur faire vivre une expérience chrétienne intégrale, incarnée, pour qu’ils découvrent le lien intime entre la culture et la foi.
Pour cela, nous traversons le pays avec une attention particulière à la manière dont d’autres avant nous ont pu exprimer leur foi : nous nous appuyons sur les calvaires, les retables, les cantiques bretons que nous chantons sur la route, l’histoire des saints de Bretagne… Nous animons par le théâtre la veillée du grand pardon de Sainte-Anne-la-Palud avec une pièce de théâtre sur un saint breton, Santig Du, l’an dernier (XIVe siècle), Saint Pol Aurélien, cette année (VIe siècle). Durant la semaine, nous allons aussi à la rencontre des communautés chrétiennes locales qui nous accueillent et nous présentent leur église. Tout cela enracine les jeunes.
Comment avez-vous été sensibilisé à ce lien entre culture bretonne et transmission de la foi ?
C. S. : Mes parents m’ont envoyé dans une école Diwan et j’ai donc étudié en langue bretonne depuis la maternelle jusqu’au bac. Là, j’ai compris que la culture nous précède toujours, on se l’approprie et on la transmet à son tour, comme la foi. L’aumônier du collège était aussi le responsable d’un centre spirituel diocésain pour les bretonnants, « Minihi Levenez », « Le refuge de la joie ». Chez lui, nous apprenions aussi bien à abattre des arbres qu’à prier. J’ai compris à ses côtés ce qu’était la vie chrétienne, à la fois très concrète, incarnée, enracinée dans une culture et reliée à Dieu.
En quoi la culture est importante, selon vous, pour transmettre la foi ?
C. S. : L’anthropologie chrétienne est réaliste. Elle part de la culture dans laquelle nous sommes insérés. Jean-Paul II en a beaucoup parlé : la foi ne peut être quelque chose d’abstrait, à cause même de l’Incarnation, qui est au cœur du christianisme. Dieu s’est incarné et donné à connaître dans une culture bien précise. Aussi je pense que cette perspective de l’anthropologie est à intégrer dans la pastorale : la foi s’enracine dans une personne équilibrée car elle sait d’où elle vient.
Il y a pour moi un parallèle entre la crise culturelle actuelle et la crise de la foi. La violence de l’interdiction du breton au début du XXe siècle – qui correspond d’ailleurs à l’époque des lois anticléricales – a conduit les gens à abandonner leur langue. « Il est interdit de cracher par terre et de parler breton », pouvait-on lire sur des panneaux dans les écoles. Il y a eu ainsi un déracinement culturel, qui a abimé les personnes dans leur identité profonde. Il me semble que la rupture de tradition qui s’est produite du côté de la langue, s’est produite de façon semblable pour la foi.
Tout cela a correspondu aussi à un bouleversement de civilisation d’une rapidité extrême, sur deux ou trois générations, qui nous a fait passer d’une civilisation presque exclusivement rurale au monde numérique. Si beaucoup se sentent fragilisés aujourd’hui et cherchent à retrouver leurs racines (ou à s’en trouver), c’est que l’homme a besoin, fondamentalement, d’une culture, pour exister. Il a besoin d’être inséré dans une tradition, pour que tout ne repose pas sur ses épaules. La foi en Dieu grandit dans le cœur par tradition, c’est-à-dire par transmission : on reçoit, on se laisse toucher, on transmet. C’est ce que nous essayons de faire vivre aux jeunes pèlerins d’En Hent.
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