Nous avons, avec saint Riagad, un cas tout à fait spécial : l’époque à laquelle il vivait est attestée par la correspondance d’un contemporain bien connu, Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont de 472 à 489. On sait ainsi qu’entre 472 et 476, Riagad a séjourné à Clermont, au cours d’un voyage entre Riez, en Haute-Provence, et l’Armorique bretonne*.
Les généalogies bretonnes conservées en Galles connaissent Riagad : dans l’Historia Brittonum (ch. 49) nous avons « Briagat », fils de Paskent, fils de Guorthigern ; dans celle de Jesus College « Riagath » fils de Pasken, fils de Gwrtheyrn. Quel que soit le flottement orthographique outre-Manche, il ne fait aucun doute que Riagad (que Sidoine écrit Riochatus) est bien le petit-fils du souverain Gworthiern. Il était aussi le neveu de Faustus, l’évêque de Riez auquel il rendait visite pour rapporter chez les Bretons ses homélies et traités théologiques (Fleuriot, OB 140). Il était donc de lignée princière. En somme, tout comme Sidoine, il représentait la liaison entre le pouvoir politique et l’institution ecclésiale.
Nous avons démontré ailleurs que Gworthigern, souverain vilipendé par des chroniqueurs romanisants, était le même personnage que saint Gworthiern, ermite à l’Ile de Groix et fondateur de l’abbaye de Kemperlé, vers 460. Gworthiern vivait sans doute encore à l’époque où Riagad rapportait les oeuvres de Faustus « Brittanis tuis », disait Sidoine : « à tes chers bretons » ou « aux Bretons de ta famille ».
NOMS
Alors que Faustus porte un nom latin, qui cache sans doute un nom breton, et puisque Faustus veut dire « bienheureux/favorisé (du destin) », ce pouvait être un nom en MAT- (pense Fleuriot), ou en GWENN- (ce qui nous paraît plus probable), Riagad porte un nom purement celtique : *Rigocatos « combat royal ».
On sait que Riagad est le patron de Treffiagat : *Trev-Riagad, et qu’il a donné également son nom à Lechiagat, déformation de Les-Riagad « Cour de Riagad ». Un autre lieu lui était dédié: Lanriagat en Lopérec, qui est au nord de l’Aulne (écrit aujourd’hui Lariégat).
LOCALISATION
On a dit que Riagad était un saint connu seulement du sud-ouest de la Bretagne. Ce n’est pas exact, car on trouve son nom à Riégas, en Férel (56), qui est au sud de la Vilaine, à 25 km de la Loire, et à Lanricat en Plaintel, à quelques kilomètres de Saint-Brieuc. On observera que Treffiagat est à 10 km de Languivoa (*Lan-Kiwa) et que Lanricat est tout proche de Saint-Quihouet, qui est probablement aussi saint Kiwa.
EVEQUE & MOINE
Il est remarquable que les hagiographes bretons ne disent rien au sujet de Riagad, alors que Sidoine nous apprend qu’il était évêque et moine. Il était donc l’un de ces abbés-évêques caractéristiques de la chrétienté celtique. Les évêchés territoriaux actuels n’existaient pas au 5ème siècle, et leurs listes épiscopales ont été forgées probablement sous Nominoë. Nous ne sommes un peu renseignés sur les monastères existant au 5ème siècle que dans la mesure où ils ont survécu à l’époque de la réorganisation politique et religieuse, au 11ème siècle.
Où se trouvait le monastère de Riagad ?
Trev-Riagad ne témoigne que d’une église tréviale, et Les-Riagad d’une résidence. On peut donc penser que son monastère était à Lanricat, en Penthièvre. La forme -ricat nécessite une explication. Le -C- au lieu de G est un archaïsme dont on a d’autres exemples en zone romanisée ; plus remarquable est l’absence de A après RI-. En fait, elle témoigne simplement d’une différence d’accentuation : l’accent a dû être sur l’antépénultième, sur RI-, dans le Penthièvre, déjà à l’époque du vieux-breton, comme il l’est encore dans le Goélo à l’heure actuelle.
DU GOUET A PENMARC’H
Des rapports entre le Penthièvre et la Cornouaille ne sauraient étonner : n’est-ce pas dans le Penthièvre que la tradition fait débarquer la famille de saint Gwennolé ? Le culte de saint Beuzeg, par exemple, est répandu depuis l’île Lavré, en Goélo, jusque sur toute la côte sud de Bretagne. De très nombreux saints sont honorés à la fois en Penthièvre et en Basse-Cornouaille, révélant des liens de congrégations entre les deux pays.
Nous constatons ici que là où l’histoire documentaire cesse de nous renseigner, les cultes révélés par la toponymie peuvent nous fournir quelques indications. Or le nombre des saints connus seulement ou presque uniquement par la toponymie est considérable, et certains d’entre eux, d’après la fréquence de leurs noms sur le terrain, ont été plus importants que, par exemple, saint Corentin ou saint Paul Aurélien.
A ce titre, l’importance, de saint Riagad apparaît moindre que celles, par exemple, de saint Konog, de saint Maelog, bien moindre que celle de saint Alor. Pourtant, saint Riagad, tant par son origine familiale que par la considération que lui témoigne l’évêque de Clermont, était clairement un personnage important. Cela nous permet d’évaluer la personnalité des autres saints bretons, qui n’étaient certainement pas des hommes frustes et ignares. On constate au contraire que les Bretons participaient pleinement à la vie intellectuelle et religieuse de l’Occident chrétien et qu’ils jouissaient de la considération de l’élite continentale, non sans avoir des liens directs avec les chrétientés orientales. Nous reviendrons sur ce point en étudiant l’éminente personnalité de Faustus, moine, abbé de Lérins, puis évêque de Riez. Qu’il suffise ici de rappeler que c’est la chrétienté bretonne du 5ème siècle qui a transmis la culture classique aux écoles celtiques ultérieures, sans lesquelles il n’y aurait pas eu de renaissance carolingienne.
(*) La litanie du Psautier de Reims l’invoque comme Riacatus.