Réfléchir à la situation de notre société et de notre Eglise, spécialement en Bretagne.

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

Le Père Herménégilde Cadouellan nous propose aujourd’hui l’homélie qu’il a prononcé pour le 21ème  DIMANCHE du Temps ordinaire lors du Pardon de Saint Guénin à Rosterc’h- Plouray. Vous pouvez retrouver les lectures du jour via ce lien.

L’auteur précise : « je ne fais que toucher le problème si courant en Bretagne : le patrimoine religieux pour lequel tant de gens (croyants ou non) s’investissent mais qui restent à la surface. Je vois les visites faites pendant l’été dans les églises et chapelles : aucune allusion à la communauté chrétienne qui s’y réunissait ( et pourtant la taille de l’édifice parle), on regarde ce qui est ancien mais rien sur la statuaire et les saints représentés, sur le sujet des vitraux… C’était dans l’église de Langonnet qui représente pourtant un « capital » chrétien important ; rien sur les gens qui ont entretenu cet édifice avant la Séparation. C’est un exemple : on regarde la coquille mais pas l’oeuf plein  de vie ».

Cette homélie nous fait penser bien évidemment à la chapelle de St Germain-Languidic qui est laissée à l’abandon, image illustrant cette situation.

 

herménégilde cadouellanC’est un dimanche où les textes qui nous sont proposés montrent le projet de Dieu sur l’humanité.

Isaïe 66 montre les gens qui vont jusqu’au bout du monde pour que tous se retrouvent à adorer le vrai Dieu à Jérusalem. La scène du dimanche de la Pentecôte au début de l’église montre que cela s’est réalisé avec ces gens de nonne volonté qui viennent adorer Dieu  à Jérusalem lors des grandes fêtes et certains seront les premiers évangélisateurs pour leurs peuples… C’est le projet d’une humanité faite de gens différents mais unie par le respect de Dieu et une solidarité entre eux… Ce qu’à son tour les premières communautés chrétiennes essaieront de vivre. Ce fut, dans les deux cas, un projet de longue haleine et les chrétiens ont mis 3 siècles pour obtenir leur liberté religieuse en 313…

Et Jésus dans l’Evangile annonce :

« Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. »

Ainsi ce dimanche annonce la lente progression de l’humanité vers une véritable unité des esprits et des cœurs qui ne s’accomplit pas par la force.

Mais, dans le même évangile, Jésus nous demande aussi de faire des efforts et il a même des paroles très dures pour les juifs ses compatriotes : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas.Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : ‘Seigneur, ouvre-nous’, il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes.’

Alors vous vous mettrez à dire : ‘Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.’ Il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.’     Ces reproches peuvent aussi s’adresser à nous qui essayons d’être les disciples de Jésus en cette période  de l’histoire du monde. Peut-être ferions-nous bien aussi de nous poser les bonnes questions et de regarder attentivement la situation. Je ne vous dis pas cela pour vous faire peur mais pour que nous soyons, vous comme moi, des gens responsables.

Nous sommes en guerre…nous dit-on officiellement…Mais qu’est-ce qu’il y a de changé quand  on ne nous parle pas d’attentats comme ceux Nice ou de St Etienne du Rouvray ? C’est la période  des vacances,  des festivals. En 1939, c’était une autre ambiance me semble-t-il malgré la drôle de guerre…

Quelques réflexions :

° Une sur la situation générale. L’article du Télégramme hier : un jugement sur notre société « où l’inculture et l’amnésie sont les deux mamelles d’une société «  en mode Twitter » : media, immédiateté, une nouvelle chasse l’autre. Prendre le temps d’essayer de comprendre ce qui se passe.

° Une sur la situation plus profonde qui rejoint l’évangile et les reproches du Christ… Elle concerne la crainte diffuse contre la présence musulmane… Ce sont des mises en garde, des mesures pour le burkini etc. Crainte qui peut aussi nous gagner et nous paralyser.

Pour vous en parler, je fais appel à des situations de prêtres et de chrétiens qui ont vécu au milieu de musulmans : Je pense au P. Louis Lucas qui a passé sa vie de prêtre comme conseiller agricole en Algérie et aux moines de Thibérine. Ils ont vécu en contact avec leurs voisins, les gens qu’ils rencontraient ; ils comprenaient l’Islam mais ils étaient des chrétiens formés qui étudiaient et priaient. Il y a un respect réciproque qui prend naissance : ce sont des croyants…

  • C’est pour cela que je vous donne le point de vue de Mgr Paul Hinder, évêque dans les Emirats Arabes Unis et le Yémen et le sultanat d’Oman : 2,5 millions de catholiques, 10% de la population totale, des étrangers qui sont là pour travailler et qui ne resteront pas sur place. Il leur manque des lieux de culte nous dit-il. Mais interrogé sur la présence musulmane de plus en plus forte en Europe, il estime que le problème n’est pas la force de l’islam, mais plutôt la faiblesse du christianisme en Europe. Il invite les Européens à se poser la question de leurs racines : « ce patrimoine chrétien n’est pas sculpté dans le granit une fois pour toute : il peut s’évaporer ».  « Certes, admet-il, des valeurs séculières comme la solidarité ou la non-violence appartiennent aussi à ces racines  mais peuvent-elles subsister quand  la religion chrétienne qui les a produites n’est plus maintenue ? Vous pouvez laisser un terrain en friche  pendant un certain temps. Mais il arrive un moment, si vous ne vous en occupez pas, où une forêt se constitue…Prendre soin de ses racines et de son patrimoine signifie par exemple que l’on transmet des connaissances sur la Bible et le christianisme ». 
  • Ces conseils nous donnent déjà à réfléchir : le patrimoine, ce ne sont pas seulement nos églises et nos chapelles si belles soient-elles. Les habitons-nous ? Est-ce que nous y prions ? Est ce que nous nous nourrissons des saints dont elles abritent les statues et qui ont été des lumières de sagesse en leur temps?
  • La transmission de la connaissance de la Bible et du christianisme est-elle réelle ? Je suis frappé quand les médias nous parlent de jeunes chrétiens qui se sont convertis à l’Islam et sont partis en Syrie. Etaient-ils des chrétiens ? étaient-ils baptisés ou leurs parents étaient-ils seulement de tradition chrétienne ? Quand ces jeunes ont eu des aspirations religieuses, il n’est pas étonnant que ce soit l’Islam qui les ait attirés. Nous sommes dans un pays laïc où la religion et ses sources sont méconnues et ignorées. On ne parle des chrétiens que de temps en temps. Les paroles de Mgr Hinder « Vous pouvez laisser un terrain en friche  pendant un certain temps. Mais il arrive un moment, si vous ne vous en occupez pas, où une forêt se constitue… » ne décrivent que la réalité. Nous nous réjouissons de l’existence de l’enseignement catholique mais, souvent, nous pouvons nous poser des questions sur son rôle dans la transmission des connaissances chrétiennes…
  • Mais je pense qu’il faut aller plus loin. Les lois, les mesures coercitives sont un barrage fragile dans un pays où l’individualisme est grand. Ces mesures vont, au contraire crisper les citoyens les uns envers les autres et provoquer des éclats de violences : c’est ce que cherchent les djiadistes. Peut-être avez-vous lu le roman d’anticipation paru en janvier 2015 : La Soumission ? Il raconte qu’en 2022, c’est un musulman modéré qui est élu président de la République Française. Progressivement, les institutions changent en profondeur. Roman…ne dramatisons pas. Mais quand on voit les divisions dans le champ politique de notre pays… !
  • Aller plus loin, c’est revitaliser notre vie chrétienne, la vie de nos communautés chrétiennes. Vivre en chrétiens, c’est à dire travailler dans la réflexion et la prière pour que l’esprit du Christ nous transforme pour vivre en chrétiens dans le monde d’aujourd’hui. Ce n’est pas la première fois que nous avons vécu ces temps de conversion. Autrement, nous ne tiendrons pas le coup.

 

À propos du rédacteur Père Herménégilde Cadouellan

Le Père Herménégilde Cadouellan est recteur de l'ensemble paroissial de Langonnet (Diocèse de Vannes). Son travail sur le christianisme celtique et l'inculturation bretonne est important. Son engagement sur le terrain et au sein de la commission diocésaine pour la pastorale du breton fait de lui un acteur incontournable de la dimension "Feiz & Breizh"

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Un commentaire

  1. en parfait accord avec cette homélie ce qu,il faut réformer de toute urgence ,ce sont les coeurs les ennemis de l,église ne sont forts que parce que nous leur montrons un peu plus chaque jour notre faiblesse et notre peu de foi

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