Saints bretons à découvrir

Saint Lunaire / Sant Luner

Photo @Ar Gedour 2014
Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 min

SON NOM ET SES PARENTS

S.Lunaire est appelé en latin Leonorius par tous les textes à l’exception du manuscrit d’ Orléans de sa Vita.  J.Loth (NSB 83) avalise la prononciation Luner (à lire à la bretonne) et fait remonter le nom à un vieux-celtique *Lounorios, dérivé de *Louno– « forme », « image », « effigie ». Cet étymon n’explique cependant pas la latinisation en Leon– qui, manifestement, s’ inspire du nom du lion.

Il est exact que la désinence celtique –orios et la désinence latine –orius donnent en gallois –yr et en breton -er : Honorius devient en gallois Ynyr; en Armorique Ener (Lannener en Plounevez-Lochrist etc.). Mais les noms en –er  peuvent aussi provenir de noms vieux-celtiques en –rix au nominatif, alors que les cas « régime » donnent la finale moderne –ri, (St-Conner en Caudan), alors que *Kunorîgos ou *Kunorîgen a donné Koneri (Langonery en Plourin-Ploudalmézeau).

 

   *Woteporix a donné en gallois Gwdebyr. Comme Gildas le latinise en Uortiporius (De Exc. 31.1) on sait qu’au 6ème siècle déjà la prononciation du nominatif devait être [].  A partir du 7ème siècle, un scribe n’ était plus en mesure de restituer un nom en –rix au nominatif. Comme les dérivés en *-orj- sont rares en vieux-celtique, il est plus que probable que l’origine du nom Luner est *Lounorix  « roi par l’allure ».

 

LE PERE DE LUNER

Suivant la Vita le nom du père de Luner était Beteloc. J.Loth (NSB 1O4) suppose qu’il faut le corriger en Petheloc, nom que l’on retrouve dans Lambezellec (15O2: Lanbezelec). Mais d’une part, malgré les mutations consonantiques, la confusion de p avec b est rare (et touche plutôt d’ anciens féminins, tels baradoes « paradis ») alors que le P de Petheloc est assuré, et d’autre part ce dernier nom n’est  attesté qu’une seule fois, en Léon, (il n’y a même pas un seul °Kerbezelec). Petheloc doit donc être une épithète, un surnom dérivé de pethel « plat, « jatte » (apparenté au gallois peithyn « tuile ») et devait désigner « l’ ermite à la jatte » (qui aurait pu être, par exemple, Bavoes, éponyme de Gwipavas).

Beteloc est donc différent et peut aussi, puisqu’ il est unique, être une épithète dérivée du radical *bit– dans le sens de « vie », comme le gaélique beathail « vif », « vigoureux » (en toponymie on connait un Bidellec).

 

La version d’Arras de la Vita (Merdrignac VLSL 89) nomme Hoeloc le père du saint, et le bréviaire malouin de 1517 l’appelle Eloc. Même si l’on corrige Hoeloc en *Haeloc ces deux noms ne sont pas identiques car le breton comme le gallo respectent la valeur de l‘ h. Eloc est un nom bien attesté : Lannelec en Pleyben (1241: Lanneloc), Brenelec en Esquibien, SaintTheleu (=*Sant Eloc) en Noyal(22), Elawg fille de Don (ByA25, EWGT90) en Galles. Dans Hoeloc, Ho– peut être le préfixe signifiant « bon » (v.cel. su-), auquel cas on en revient au nom simple Eloc.

 

Conformément à la règle qui veut qu’un surnom allitère avec le nom, on a donc pu nommer le père de Luner Eloc Beteloc.

 

LA MERE DE LUNER

Le nom de la mère de Luner donné par sa Vita est Alma, ce qui renvoie évidemment au latin alma « nourricière ». Comme le Bréviaire de Saint-Malo l’appelle Alma-Pompa, F. Duine a rapproché ce dernier nom de celui de la mère de saint Tudwal, Pompae, et voit dans Pompa « un nom taillé sur Pompaia« , Alma n’étant qu’un qualifiant. Ceci est un peu rapide, car Pompaia est un nom latin bien connu, dont la mutilation n’apporte pas de sens. Pompa est en latin « cortège », « procession », « apparat ». En latin chrétien Pompa signifie « luxe ». Le mot est emprunté au grec pompè où il signifie entre autres « escorte », « sauvegarde » et l’adjectif pompos signifie « protecteur », « favorable ». Pompa a donc en soi-même un sens et a toute l’apparence d’ un qualifiant. On en revient donc au nom propre que doit être Alma . Tel quel il est évidemment inapproprié et on doit y soupçonner une erreur, qui peut provenir d’ un copiste. Dans ce nom la seule lettre qui prête à une erreur de copie est le m. Pour un copiste il comporte trois traits, et on sait d’expérience que ceux-ci prêtent à confusion. On peut y lire ui, iu, ni, in aussi bien que m ou w. Supposons que l’original ait eu aluia, représentant un v.celt. *Alwia. Ce dernier évolue d’abord en *Alwija, puis en v.br. *Alwid >m.br. *Aluez, nom que l’on trouve à St-Aloué en Lignol (142O: st Alvoez; 1433: St-Elvoez), à Lannelvoez  en Plouigneau, à Llanelwedd sur la Wye, en Galles. Elwedd est féminin.

 

Une correction de lecture infime rétablit donc une vraisemblance brittonique. Il se trouve que Llanelwedd est en Galles du sud, dont la province la plus connue est la Démétie. Lorsque l’auteur qualifie la Démétie de « voisine de la Britannie » cela doit signifier que pour lui la Combrogia ou Walia est distincte de la Loegria et que c’est cette dernière qui a conservé le nom de Britannie.

À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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