Saint Yves est à la Bretagne et aux bretons ce que Saint Patrick est à l’Irlande et aux irlandais, une fête nationale et religieuse célébrée le jour anniversaire de leur mort : le 17 mars 461 à Down au sud de Belfast pour Patrick, le 19 mai 1303 au manoir de Kermartin, au Minihy, près de Treguier pour Yves.
Et cette année 2019, le 19 mai « tombait » un dimanche, impossible, alors de manquer le grand pardon de Monsieur Saint Yves dans sa bonne ville de Tréguier, spécialement dédié, cette année, aux gens de la mer dont il est un des patrons : « saint Yves, priez pour les marins »
Alors, tant pis pour le pèlerinage militaire international à Lourdes, ce dimanche 19 mai, c’est à Tréguier qu’il faut être ! …
Et puis Tréguier, comme chacun sait, c’est le pèlerinage international des juristes : avocats, magistrats professeurs de droit, ils y étaient tous, en robe noires et rouges, épitoge plus ou moins herminée.
La veille, les bâtonniers du ressort des cours d’appel d’Angers et de Rennes s’y étaient donné rendez-vous, et le barreau de Saint Brieuc avait organisé son 26° colloque, cette année sur le thème « migrations et fraternité à l’épreuve de la réalité », tout un programme !
La messe pontificale a été célébrée par une bonne douzaine d’évêques, présidée par Mgr Aupetit, archevêque de Paris. En peine de cathédrale depuis quelques semaines, il a exprimé sa gratitude à son confrère local, Mgr Denis Moutel, évêque de Saint Brieuc et de Tréguier qui a mis une des siennes à sa disposition.
Tout docteur en médecine qu’il soit, Mgr Aupetit nous a fait, en guise d’homélie, un cours de droit des successions qui n’est pas une des branches les plus facilement abordables de notre droit civil. En effet, Jésus le Christ n’est pas décédé « ab intestat » comme le disent les spécialistes : il a fait un testament rapporté par les Evangiles, notamment celui du jour (Jn 13, 31-33a & 34-35)
« Parce que dans l’Évangile que nous venons d’entendre, Jésus écrit son testament tout simplement. Il est à quelques heures de sa Passion. Il sait qu’il va mourir. Il sait qu’il va partir vers son Père. Alors, il donne à ceux qu’il aime, à ses disciples qui l’ont suivi ce qu’il possède. Non pas quelques biens terrestres mais ce qu’il est lui-même : Christ-Dieu, Dieu Amour. La seule chose que Jésus peut léguer, c’est l’amour. Voilà son testament : Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Voilà le trésor que Jésus nous lègue car l’amour est véritablement le trésor de notre vie. Sans amour, nous le savons bien par expérience, nous sommes les plus malheureux des hommes. Sans être aimé, sans pouvoir être aimé, qu’est-ce qu’il nous reste ? »
Et Mgr Aupetit de poursuivre son cours ainsi :
« Et voilà que ce testament permet au monde de reconnaître ceux qui appartiennent au Christ. Si vous avez de l’amour les uns pour les autres – le pardon de Saint-Yves peut être une occasion d’y réfléchir -, nous devons nous arrêter et nous situer par rapport à ce testament du Christ. Et si c’est possible, pas seulement aujourd’hui mais tous les jours de l’année ! Vous avez entendu que le Seigneur a parlé de gloire. En quoi cela est-il glorieux ? La gloire, pour nous, c’est d’être reconnu dans la rue, de chanter à l’Eurovision ou de participer aux jeux télévisés afin que les gens nous reconnaissent. Ça, ce n’est pas la gloire ! C’est la gloriole, ce n’est pas la même chose. C’est la vanité, quoi. D’ailleurs, Jésus le dit : Vous, vous tirez votre gloire les uns des autres, votre gloire c’est le regard des autres. Non. Quand Jésus parle de gloire, il s’agit d’autre chose. En hébreu, le mot « gloire » veut dire « ce qui a du poids », c’est-à-dire que la gloire, c’est le poids de notre vie.
Peut-être faut-il nous poser la question : Et moi, quel poids à ma vie ? Ai-je un poids infini de vie ? Qu’est-ce qui a du poids dans notre vie ? C’est justement ce que le Seigneur vient de nous laisser comme testament : ce qui a du poids, c’est notre capacité d’aimer vraiment. L’amour du Père va se révéler dans le monde que le Fils va faire de sa propre vie, manifestant ainsi le don que le Père fait lui-même. Le Fils lui-même va être glorifié car l’amour du Père va le ressusciter pour montrer comment l’amour va jusqu’au bout et est à l’origine de toute vie, non pas seulement la vie organique, biologique mais la vie en soi. Il s’agit de la vie ici-bas, de la vie terrestre qui, dès aujourd’hui, accueille l’amour de Dieu qui se manifeste autour de nous. Rappelez-vous qu’au ciel, comme disait Jean de la Croix, le grand mystique espagnol : « nous serons pesés et jugés sur l’amour. »
Aujourd’hui, nous avons la joie de fêter Saint Yves, cet homme magnifique. Lui, il a vécu entièrement ce commandement de l’amour en reconnaissant Jésus dans les plus pauvres dans son métier de magistrat où la justice des hommes vient rejoindre la justesse de Dieu. La justice repose essentiellement sur l’équité. La justesse de Dieu repose sur l’ajustement à Dieu : Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns des autres. C’est-à-dire qu’au-delà de l’équité, qui peut s’exercer par la raison humaine, il s’agit d’y mettre toute sa personne dans laquelle va se refléter l’amour de Dieu. Et c’est bien ce qu’a fait Saint Yves qui a accompli la justice des hommes. Il y a là aussi tout l’amour d’un homme quand il se laisse habiter par Dieu. Voilà ce que signifie ce pardon et merci aux avocats et aux magistrats d’avoir pris Saint Yves comme saint patron parce que c’est un signe extraordinaire qui nous permet vraiment d’avoir confiance dans la justice des hommes.
Voilà pourquoi Saint Yves connaît une gloire terrestre – cette gloire terrestre se perpétue au fil des ans par ce pardon auquel nous sommes fidèles -, mais aussi la gloire qu’il a au Ciel. Cette gloire divine qui le fait ressembler à notre Seigneur Jésus-Christ et qui lui permet aujourd’hui d’intercéder au plus haut. »
A l’issue de la messe, le reliquaire contenant, bien visible, le chef – le crâne – de saint Yves porté à tour de rôle par les ecclésiastiques, évêques, abbés, prêtres – les juristes de toutes nations ayant honneur à en porter les cordons – précédé des bannières a ainsi processionné à travers la ville jusqu’au Minihy, comme chaque année depuis sa canonisation en 1347.
Mais une telle procession ne se raconte pas : elle se vit.
Mgr Moutel, évêque de Saint Brieuc et Tréguier, portant la châsse du chef de saint Yves, derrière lui Mgr Aupetit, archevêque de Paris qui présidait le grand pardon, à gauche, M° Olivier Morice, avocat au barreau de Paris, célèbre pénaliste, chantre de la liberté d’expression des avocats, merveilleux lecteur des actes des apôtres (1° lecture : chapitre 14, 21b-27) avec derrière lui, en toque, M° Alain Guilloux, ancien bâtonnier de Vannes, désormais accueillant des pèlerins de saint jacques de Compostelle à l’hospitalité sainte Foy de Conques sur la via podensis. A droite, le soussigné.
Les fraternités du Tro-Breiz, s’étaient, quant à elles données rendez-vous sur les bords du Guindy (cf photos ci-dessous) pour le déjeuner et cela a été un plaisir de se retrouver avant le grand départ, cet été, le 29 juillet de Saint Brieuc pour Saint Malo et Dol, siège épiscopal de saint Samson.
Puis, à 15 heures, ce furent les vêpres, suivies du salut au Saint sacrement, à la cathédrale où le public, certes moins nombreux que le matin à la messe pontificale y était tout aussi recueilli, porté par les psaumes chantés par les enfants de la Psallette, soutenue par la Manécanterie saint Joseph de Lannion.
Il ne faut pas manquer les vêpres quand il y en a ! …
Ce n’est malheureusement plus le cas à Saint Yves-Bubry où le pardon de saint Yves se déroule traditionnellement le dimanche suivant celui de Tréguier ; cette année le 26 mai.
Le petit bourg de Saint Yves, au sud de Bubry en descendant sur le Blavet, a fait peau neuve : un vaste parking a été créé derrière le cimetière et les aménagements effectués par la commune mettent bien en valeur la jolie chapelle élevée là par la piété populaire et les offrandes des pèlerins : en effet on honore ici, non pas le chef, comme à Tréguier, mais le bras de Monsieur saint Yves, du moins une relique enfermée dans un magnifique reliquaire en argent en forme de bras terminé par une main, la dextre, bien sûr !
Et, comme chacun sait, si la tête est le siège de la pensée, c’est avec le bras que l’on agit !
A l’issue de la messe présidée, à la demande du recteur local, le Père Bruno Belleg, par le vicaire général du diocèse de Vannes, le Père Jean-Yves Le Saux, mon professeur de Droit Canon à la Catho, le bras-reliquaire est porté en procession jusqu’au tantad avant, de retour à la chapelle précédé des bagadou, d’être présenté à la dévotion des pardonneurs qui ne manquent pas de venir baiser pieusement la relique.
Tout ceci ne manque pas de susciter faim et soif : il est temps de passer à la partie profane du pardon. Un petit verre avec les amis à la buvette, puis un bon déjeuner en bonne compagnie…
En guise de vêpres on peut apprécier à juste titre les prestations des sonneurs et des danseurs qui se disputent les trophées des concours organisés à leur intention.
Encore une fois, Monsieur saint Yves aura été fêté comme il le mérite à Tréguier comme à Saint Yves-Bubry : voilà ce qu’est la fête de la Bretagne !
Et ne me dites pas qu’il y est indifférent : voyez le cas Vincent Lambert, le type même du pauvre dont Monsieur saint Yves restera toujours l’ultime recours : le lendemain du jour de sa fête, le lundi 20 mai, la Cour d’Appel de Paris ordonnait la reprise de l’alimentation et de l’hydratation artificielle de ce malheureux polyhandicapé dont la mort avait été programmée par ses médecins.
L’année prochaine 2020, le 19 mai « tombera » un mardi et si je ne suis pas certain d’être à Tréguier le dimanche 24, je serai fidèle comme chaque année au pardon de Saint Yves-Bubry le dimanche suivant 31 mai, en robe, décorations pendantes !
Si Dieu le veut !
Photos JF Kermen / Ar Gedour (tous droits réservés)