Le nouvel essor du Tro-Breizh témoigne du besoin largement ressenti de repères traditionnels enracinés. Le pèlerinage est un engagement sur des chemins balisés ou du moins vers un but déterminé. De l’ entreprise, on attend des fruits, et dans cette perspective il n’ est pas inutile de scruter les origines et les environnements de ce mouvement caractéristique de la société bretonne.
Le pèlerinage du Tro-Breizh met en action plusieurs concepts :
-Les 7 Saints
-Les Saints Fondateurs
-Les évêchés de fondation bretonne
-La perambulation sur le territoire breton
Les 7 Saints
La valeur symbolique du chiffre 7 est à la première place dans le concept des 7 Saints. Ceci posé, et en se limitant à la tradition chrétienne, les saints en question ne sont pas, au départ, des évêques. La religiosité chrétienne connait largement les « saints auxiliateurs », au nombre de 7, puis de 14. La Légende Dorée a largement répandu le nom des 7 Dormants d’ Ephèse et le Qoran lui-même les a adoptés. Mais avant qu’ un prêtre zélé n’ en ait fait une gwerz au bénéfice du sanctuaire mégalithique du Vieux-Marché il y avait bien eu sept cénobites honorés en ce lieu.
Mais les 7 Saints ne sont pas associés à un dolmen seulement au Vieux-Marché en Trégor, ils le sont aussi à Erdeven en Bro-Werec, à 113 km de distance. Or si l’ on prend pour base la ligne reliant les deux chapelles et que l’ on construit sur la carte de Bretagne un triangle équilatéral on trouve au sommet de ce triangle, non loin de Rennes, en Landujan, un lieu appelé « Les 7 Croix ». Le hasard , ici, n’ a pas de place.
L’ image s’ impose, de communautés de sept moines, avec leurs sept croix de prière, qui sans doute seront aussi celles de leurs tombes, voués à la louange de la lumière du Très-Haut. L’ image aussi, d’ une terre mesurée, triangulée, consacrée, où l’ homme est l’ officiant, rendant grâce à la grande mère des clans.
Là est un point de départ de la tradition des 7 Saints.
Les Saints Fondateurs
Parlant du Tro-Breizh, aujourd’hui, on compte comme « Saints Fondateurs » ceux à qui on attribue la fondation de 7 évêchés dits « bretons ». C’est une vue cavalière de la chose. En effet, on entend par « évêché » un district territorial dirigé par un épiscope ; Or, en Bretagne, avant l’ an 818, il n’ existait que 3 évêchés répondant à la définition romaine : ceux de Nantes, Rennes et Vannes, et encore l’ étendue et la plénitude de l’ autorité épiscopale y étaient incertaines. La chrétienté bretonne était monastique, les paroisses étaient desservies par des baculâci, baeleion, porteurs de bâtons monacaux, issus de congrégations cénobitiques. Il y avait des paroisses dépendant de la congrégation de Gwennolé, d’ autres dépendant de la congrégation de Tudi, d’ autres desservies par les baeleion de Brioc, par ceux de Paul Aurélien, par ceux de Iahoa, par ceux de Aler. Des évêques, il y en avait, chargés des ordinations, des consécrations, mais sans ministère territorial.
Ainsi les évêchés catholiques-romains d’ aujourd’hui ont eu au 9ème siècle des organisateurs, non des fondateurs. Les fondateurs sont ceux des congrégations, qui eurent des « maisons-mères » et des succursales (ploues et trèves), non des territoires. Si l’ on veut visiter les fondateurs on pourra bien sûr marcher sur Kastell-Pawl, mais aussi sur Dowlas (Iahoa), Landewenneg, Loktudi, Kemperlé (Gourthiern), Belz (Cado), Rhuys (Geltas), Allaire (Alar-Meler), Vertou (Arthal-Martin), Ploërmel (Arthvael), Gaël (Mewen), Dol (Samsun), St-Malo, St-Brieuc, Bréhat (Mawdez, Beuzeg), Tréguier (Tudwal), St-Méen (Mewen), Plounéour-Menez et Plougonvelen (Tangi). Le Tour de Bretagne des Fondateurs a bien plus de stations que le tour des évêchés.
Tous ces initiateurs monastiques étaient des maîtres spirituels et culturels, à l’ aise dans plusieurs langues et plusieurs traditions. Le premier d’ entre eux fut sans doute Tudwal, à l’ orée du 5ème siècle, appelé par son cousin Riwal, comte régnant (à cette époque un comte était au-dessus des rois des Barbares, Goths, Francs et autres). Tudwal fit lui-même un Tro-Breith, assumant la fonction apostolique d’ un Métropolite. Au fil des décennies suivirent Pawl-Aurelian, de famille de « porteurs de pourpre », Gworthiern, tïern avant d’ être pasteur d’ âmes, Dewi, Gwennolé, Brioc, qui étaient nés au début du siècle, Aler, probable fils de Gradlon. Au 6ème siècle Samson, Malo fondèrent ou conduisirent ces congrégations d’ où sortirent, au 9ème siècle, des évêchés territorialisés. Geltas, en Bro-Weroc, tint haut le flambeau du monachisme vis à vis du siège épiscopal de Vannes.
On peut sur cette voie concevoir un Tro-Breith moins sèchement formel, partant de Tréguier pour visiter les vrais initiateurs de la religiosité chrétienne-celtique en Armorique.
Evêchés de fondation bretonne ?
Nantes avait des évêques avant de devenir breton, et l’ esprit d’ Hilaire de Poitiers y avait régné avant que ne pèsent les appétits de prépotence de Tours, aiguisés par les nouveaux maîtres francs. L’ évêché de Rennes fut fondé dans l’ esprit de vassalité incarné par Melaine. Il est question d’ un évêque Breton qui aurait précédé Melaine, Aman. Son nom est connu en Galles et apparaît en Armorique comme Loc Aman, Lan-Aman, Amanlis, mais les documents manquent à son sujet. Paterne de Vannes appartient à l’officialité des synodes gallo-romains et l’ évêché de Vannes doit dater d’ environ 460.
La congrégation de Pawl-Awrelian était sans doute la mieux disposée à se couler dans un moule diocésain, car le culte de son fondateur ne semble pas dépasser les limites du Léon (les dédicaces à Paul en dehors du Léon s’ adressent sans doute à Paul fils de Clemens de Glevum et frère de Gonlé père de saint Cadoc.).
La Cornouaille était riche de congrégations. La principale était Landévennec, c’est pourquoi l’ empereur Louis convoqua en 818 son abbé Matmonoc pour lui dicter ses volontés, qui s’ adressaient à l’ ensemble de la chrétienté bretonne. Cela signifie clairement que Matmonoc était de facto Métropolite de Bretagne. Loctudi, Kemperlé, Daoulas partageaient avec Landevennec la pastorale du pays.
Kemper n’ avait pas d’ évêque avant 818 (sinon l’ empereur Louis l’ aurait convoqué). D’ évidence, Corentin était un un anachorète honoré à Kerfeunteun et promu sur place, quelques siècles après son obiit, ad beneficium causae. Il ne patronne d’ église qu’ à St-Connan (22), depuis le 16ème siècle.
Paterne, à Vannes, fondateur probable, n’ est guère mieux loti; avec trois chapelles et deux fontaines, il n’ a guère servi la piété populaire.
Les congrégations de Tudwal à Tréguier et de Brioc en Penthièvre ne furent pas remplacées par des évêchés territoriaux avant le 10ème siècle.
Le concept de Saints Fondateurs d’ évêchés est donc une vue moderne projetée sur le passé. D’ un point de vue breton elle apporte un aspect négatif : elle couvre seulement une partie de la Bretagne. C’ est d’ un Tro-Breizh tronqué qu’ il est question.
Troménie ancestrale
La circumambulation, ou mieux perambulation, Tromenie (*) est un rite immémorial. Lorsqu’ un moine breton délimitait – et consacrait- son domaine en en faisant le tour, il répétait l’ acte rituel usuel au temps des Druides. Chez les Goïdels, lorsque le roi primordial Tuathal Techtmar (v.celt. Toutowalos-Tectomaros « Rempart du peuple-Grand voyageur ») délimite la province centrale de l’ Ibernie par rapport aux quatre autres, il en fait le périple dans le sens du soleil. De même, lorsque l’ Armorique devient protectorat breton, c’ est Tudwal (v.celt. Toutowalos) qui assure la visitation des pagi du territoire armoricain administré. Le texte de sa Vita énumère seulement les pays de la côte nord, mais son nom est présent dans toute la Bretagne : St-Thual (35), Fontaine Tuaud en St-Nazaire (44), St-Tugual à l’ Ile d’ Yeu, St-Tudwal « Tugdual ! » (56), il est patron de Combrit en Cap Caval, etc. etc.
Province Centrale
Le triangle des 7-Saints est au centre de la Bretagne, l’ équivalent de la province de Meath en Irlande. Il est bien médian : son centre, à Penc’hoedow en Hémonstoir, est à 130km de la limite est de la Bretagne et à 138km de la Pointe du Raz. Il est à 70km du Cap Fréhel au nord et de Carnac au sud. Les 7-Saints ancestraux, ceux qui perpétuent la tradition mégalithique, sont donc ceux du Trégor et du Bro-Wérec. Le pied de la hauteur du côté nord du triangle équilatéral est à Piruit, nom qui doit remonter au vieux-breton *Penruit, *Pennos-Rêti « tête du réseau ».
Les médiatrices du triangle sont aussi significatives. La ligne E-W va de Landujan à St-Tugen (en Primelin) et aboutit à l’île de Sein; la ligne NS va de Piemont Point en Jersey à l’ ancienne île des Birvideaux « Les Ardents »; la ligne NW-SE va du Yaudet en frôlant le Mene-Bre, jusqu’ au lac de Grandlieu. Ces médiatrices divisent le territoire breton en trois sections dont trois quadrilatères, respectivement représentatifs des sections d’ ensemble sont enclos dans le triangle central. Alors que l’ Irlande est traditionnellement divisée en 4 > 5 « provinces », l’ Armorique bretonne se voit ainsi divisée en 3 > 4 provinces.
Tro Kreis Breizh
On peut donc évoquer un pèlerinage primordial aux 7-Saints qui, puisque Tudwal est, druidiquement autant que chrétiennement l’ officiant-arpenteur, part de Tréguier pour gagner le dolmen des 7-Saints en Vieux-Marché, de là met cap au SE, passe entre Pédernec et le Méné-Bré, traverse Guingamp, Plédran, Quessoy, St-Jouan-de l’Isle, pour atteindre Landujan, *Lanna Toutegeni « Enclos consacré au Fils de son Peuple », où attendent les 7-Croix. De là le pèlerin prend la route vers le SW et louvoie sur 113km, salue le Gaël de s.Mewen, traverse Josselin et aboutit à Erdeven, au pays des pierres ancestrales et des dieux celtes, aux 7-Saints du Bro-Weroc. Il doit ensuite passer la Rivière d’ Etel, saluer Ste Hélène, mère de Constantin, saluer à Ploerdut le saint chevalier Ildud, grand docteur ès-lettres des Brittons et des Scots, et rendre à nouveau hommage à Tudwal (cacographié « Tugdual »). Il passe ensuite par Rostrenen, Plougonver, Belle-Isle-en-Terre (Benac’h), pour clore son circuit à la crypte dolménique du Vieux-Marché.
Tel peut être un pèlerinage au coeur de la Bretagne intérieure, itinéraire abondant en enrichissement breton, celtique et spirituel, le Tro-Kreis-Breith.
*) On interprète d’ ordinaire le nom de Troménie comme une contraction de °Tro–ar-Minic’hi i.e. « le tour du domaine monastique ». Mais le nom s’ applique en premier lieu à la procession de Locronan, et le territoire perambulé n’ est pas un domaine monastique. Linguistiquement, d’ailleurs, cette explication est mal fondée. L’ordre de composition n’ est pas ancien, sinon on attendrait une mutation. Il n’ y a pas non plus d’ autre exemple d’ une abréviation de *menec’hi en meni. En réalité, dans Tromenie le Tro– n’ est pas le nom tro « tour », mais le préfixe que l’ on a dans tronos, Troc’hoed, d’ un v.celtique *tros, traduit en latin par trans « au delà de ». mais correspondant également au latin per-. Comme préposition tro est employé par exemple dans tro ën nos « toute la nuit » Quant à *ménie, c’ est une adaptation française d’ un breton *menei dérivé du radical *men « aller », comme dans tremen. Ce nom est bien connu en Galles, où Mynai est le détroit séparant l’ ïle de Môn de la grande terre. En Armorique nous avons plusieurs Méné qui ne sont ni mont ni colline, mais des « passages ».
très belle photo avec Mgr Centène, évêque du Tro-Breiz (et accessoirement de Vannes …) en tête des marcheurs… il n’y a que le pylône électrique qui soit statique !!
à dimanche