Y aura-t-il encore des bretonnants chrétiens demain ?

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

sainte anne.jpgLors du Jubilé sacerdotal du Père Job an Irien ce 27 octobre, une conférence a été faite sur ce thème, par Job an Irien et Yves de Boisanger. Voici un extrait (en italique) de la contribution de ce dernier, que vous pouvez retrouver en totalité sur le site de Minihi Levenez.

Des « bretonnants » ?  Il y en aura toujours : une langue ne meurt pas si facilement que ça …D’ailleurs, grâce à Diwan et à la dynamique déclenchée, le breton connaît un renouveau porteur d’espoir. Des « bretonnants » ? Il y en aura toujours. On peut même prédire, sans grand risque d’erreur, que l’avantage décisif qu’ils ont avec le bilinguisme précoce, en fera très vite une composante incontournable de l’élite régionale. Seulement, ces « bretonnants », seront-ils « chrétiens » ?


La question est bien là. Yves de Boisanger propose de regarder avant tout la nature exacte du problème.

Tant que le breton restera une langue minoritaire et menacée, être bretonnant relèvera d’un choix personnel fort. Disons les choses clairement : être bretonnant relèvera d’un choix d’amour militant. Or un tel choix s’accompagne toujours d’un sentiment d’hostilité, de rejet, pour tout ce qui ne reconnaît pas la légitimité de son amour ; pour tout ce qui affecte de l’ignorer ou, pire, pour tout ce qui lui refuse le droit de se manifester  là où il devrait avoir le plus sa place ; en l’occurrence, au moins historiquement, l’espace religieux.


On aura compris que le problème va se poser lorsque la dernière génération des bretonnants – de naissance et non de choix personnel –  aura fini de disparaître. A ce moment là, on peut craindre qu’il n’y ait que bien peu de chance d’avoir des « bretonnants chrétiens » si une communauté vivante et visible de « chrétiens bretonnants » ne vient pas leur prouver que l’Eglise reconnaît et partage pleinement leur choix, c’est à dire leur amour de la langue bretonne.


Aussi injuste que cela puisse paraître à certains, un observateur extérieur, au vu des actes officiels de l’évêché, de ses circulaires diverses, au vu de l’architecture de son site internet, au vu des signes donnés par la majorité des paroisses, que sais-je encore … cet observateur extérieur ne peut que conclure que la communauté actuelle de « chrétiens bretonnants », bien peu visible en dehors de quelques dates et de quelques lieux, est largement ignorée en temps habituel ; parfois même, tout juste tolérée.


Le conférencier précise ici un des propos largement entendu à travers la Bretagne :  « Ecoutez ! Croyez-vous vraiment qu’avec des églises qui se vident, avec des finances en perdition, avec des vocations sacerdotales et religieuses quasi inexistantes, nous ayons encore du temps à perdre avec votre histoire de langue bretonne ? » et propose alors de répondre à cette question : 


Sommes-nous en mesure de convaincre notre Eglise diocésaine de l’importance du témoignage que nous portons, nous, membres ou sympathisants du centre spirituel bretonnant de Quimper et Léon ?


Notons simplement ici que la dimension de l’importance du témoignage via l’ancrage bretonnant doit se vivre non seulement au niveau diocésain mais aussi au niveau interdiocésain, pour une efficacité au niveau du territoire breton. L’un et l’autre sont interdépendants pour toucher le coeur de chacun.


Yves de Boisanger continue son propos en proposant trois points de réflexion. Il débute par une définition de ce que peut être la langue en disant que « parce qu’elle charrie mille et mille richesses, enfouies et ignorées, une langue contribue à modeler l’inconscient – l’identité – d’un peuple. Si elle cesse d’être utilisée dans la vie de tous les jours, cet inconscient dont elle est porteuse ne s’évacue, lui, que très progressivement et, sans doute, jamais totalement.

Ainsi, quiconque veut toucher la fibre intime d’un peuple, « entrer en résonance » avec lui, doit chercher ce ressort dans les trésors de sa langue maternelle, quand bien même une majorité de ce peuple ne la pratiquerait-il plus couramment ».


Mais il pose alors la question sur ce que cette approche apporte à la compréhension du lien entre notre langue et la spécificité religieuse bretonne. Soulignant alors le mode syntaxique spécifique à la langue bretonne, il en dégage un aspect fondamental qui est la contemplation :

« Ce mode que j’appelle « contemplatif » a-t-il contribué à transmettre cet élément d’identité aux générations suivantes sans même qu’il soit nécessaire d’en parler ? S’agit-il d’un lait maternel ?  Toujours est-il que j’ai été tout naturellement conduit à établir un lien entre cette particularité syntaxique et une spiritualité dans laquelle l’immanence divine tient une place centrale. 


Rendre gloire et contempler n’est-ce pas ce qu’ils nous ont tous plus ou moins transmis de sainte Brigitte de Kildare à saint Hervé, le barde aveugle et, bien au delà, Salaün ar Foll ?Voir dans toute la création, dans les moindres détails de celle-ci, non pas seulement l’œuvre du Créateur mais le Créateur Lui-Même.


Les conséquences de cette sensibilité sont immenses ; déclinables à l’infini. Le Breton bretonnant, de naissance ou pas, mais avec lui le Breton qui croit tout ignorer de sa langue, le peuple breton en entier donc, peut parfaitement n’en avoir aucune conscience : son mental en est toujours, qu’il le veuille ou non, imprégné ».

Abordant le vocabulaire, il met en avant le lien étroit entre l’âme bretonne et le message de l’Evangile, précisant qu’une catéchèse qui reculerait, chez-nous, devant la difficulté d’associer la fête et les larmes, la joie du Paradis et la Croix, n’aurait, à mon très humble avis, que bien peu de chance de toucher le milieu du cœur breton


Sa conclusion est claire et simple :


Il y aura toujours des « bretonnants ».Beaucoup ? Pas beaucoup ? Cela ne tient qu’à nous et à la priorité que nous, Bretons, accorderons à cet enjeu.Dieu sait qu’il est capital !

Y aura-t-il, demain, des « bretonnants chrétiens » ? Là, la réponse appartient à notre Eglise. Saurons-nous l’en convaincre ? Tout, ou presque tout appelle les bretonnants à en faire partie ; à ceci près que le « presque » dont il est question c’est le partage visible par l’Eglise, de leur amour pour notre langue. La visibilité de ce partage, aujourd’hui, n’y est pas réalisée.

Ce qui est le plus grave, on l’aura compris, c’est que, ce faisant, notre Eglise se prive de la chance la plus sûre de toucher le cœur du peuple qui lui est confié. Ce peuple n’est plus majoritairement bretonnant ? La belle affaire ! Ouvrons les yeux : son mental l’est toujours ; qu’il le veuille ou non ; qu’il le sache ou pas.


Comment en appeler à un meilleur témoignage qu’à celui que l’on doit à la sensibilité poétique d’un Max Jacob ? Comment ne pas citer ce génial passage surréaliste du « Cornet à Dés » : « … Dans cette forêt bretonne où la calèche avance, il n’y a qu’un ange moqueur : la paysanne en rouge dans les branches qui se rit de mon ignorance de la langue celtique. » ?

Ce partage dont il est question, dépasserait-il les moyens humains ou financiers de l’Eglise d’aujourd’hui ? Non, bien sûr puisqu’il n’est nul besoin de moyens.Il n’est question que de compréhension, de reconnaissance et, surtout, d’amour.

Alors, oui, si cet amour se manifeste clairement, quotidiennement, c’est une certitude absolue, il y aura, demain, des « bretonnants chrétiens ».


Si le constat est bien réel, et que les structures diocésaines devraient donner un signal fort aux bretonnants, tout comme aux non-bretonnants, en ce qui concerne le lien étroit entre culture et foi, en l’inscrivant dans cet objectif de Nouvelle Evangélisation, chaque membre de l’Eglise se doit d’en comprendre les atouts. Nous avions donné ce qui serait un complément à ce propos d’Yves de Boisanger dans notre article JOB AN IRIEN, LA LANGUE BRETONNE ET LA FOI.

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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