Saints bretons à découvrir

A propos du migrationnisme dans l’histoire de Bretagne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

Actuellement, il est souvent fait mention des migrants bretons qui constituèrent la Bretagne Armoricaine des premiers siècles, en particulier les saints évangélisateurs. Peut-être pour faire écho à l’actualité, mais cette vision purement politique se fait ainsi au détriment de l’histoire et de l’humain, mais surtout au détriment d’un point bien précis. S’il y a eu des migrations, elles n’ont jamais été massives. Il n’est pas question par cet article de remettre en cause la détresse des migrants d’aujourd’hui, mais de rétablir l’histoire. Il y a certes eu ces milliers de personnes déplacées pour protéger l’empire romain via la conscription (cf nos autres articles et OGBA* sur le sujet). Mais par la suite, la majorité de nos saints bretons étaient des missionnaires, et leurs périples correspondaient non à une fuite mais à un choix de vie dicté par une foi profonde en Dieu, identique aux 12000 missionnaires bretons partis à travers le monde à la fin du XIXème siècle et début du XXème siècle. 

Face à cette liberté que certains prennent avec l’Histoire, nous publions ici un article d’Alan J. Raude, auteur de l’ouvrage « Origine géographique des Bretons armoricains » et relu par un autre spécialiste de ce sujet, qui remet en question cette position et qui démontre que cette légende n’est pas neuve. 

 

A l’aube de nos humanités, et au moins sur le seuil de l’Université, on nous enseignait que, pour être historique, un fait devait être attesté et documenté. C’est le postulat de Fustel de Coulanges. Ce n’est pas la seule exigence que l’on attend de l’historien, mais son absence est rédhibitoire.

Or bien rares sont les livres ou évocations de l’histoire  de la Bretagne où il ne soit pas question de vagues d’immigrants bretons, fuyant devant les « Saxons », aux 5ème et 6ème siècles. Historiquement, cela exige que l’on dispose de témoignages de ces événements. Je les cherche depuis 65 ans.

Le constat est clair et définitif  :  il n’existe Outre-Manche pas un seul document, pas un seul témoignage d’un départ vers l’Armorique de Britanniens chassés par les immigrés germaniques. Il n’existe en Armorique pas un seul  document témoignant du débarquement de réfugiés fuyant les « Saxons ». Rien, nope, nix,  nada, nitchevo, dim, netra !

 

Zéro pointé !

J’ai certes lu le récit dramatique qu’Arthur de La Borderie a emprunté à Gildas (De Excidio, ch.24), évocation d’une attaque dévastatrice de pillards germaniques répandant feu, mort et terreur, et  de la fuite des « citoyens » dans des forêts et « outre-mer ».

A bien l’étudier, ce passage doit concerner les ravages d’autour de 450 et une dévastation d’Eburacum (York), datée par les archéologues.  Le celtisant y constate aussi que le terme trancmarinus, employé par Gildas, correspond au britton tra-merin, signifiant couramment « au-delà de l’estuaire », c’est à dire, en l’occurrence, en Calédonie.

Mais le pire de cette page prétendue d’histoire, est que notre Arthur a tronqué le texte ! Car Gildas poursuit en rapportant que les pillards rentrent chez eux et que les « citoyens » reviennent « comme les abeilles à leur ruche ». Forfaiture de l’historien et zéro pointé pour les migrations.

Evoquerons-nous la venue de la famille de Fracan ? La Vita de Gwennolé dit expressément  que la peste en fut la cause. Sainte Ninnoc (Vita dans le Cartulaire de Kemperlé)  vint avec sept navires bien équipés et chargés, pour installer son moûtier à Lannénec, dans l’actuel Ploemeur (suivant les synchronismes de sa légende, cela aurait été vers 400).

 

Une invention franque du 8ème siècle

A défaut de témoin crédible, nous connaissons la source de l’invention des migrations. Elle n’est ni britannique ni armoricaine. Elle n’est pas contemporaine, mais de la fin du 8ème siècle, 400 ans après l’installation des Bretons. Il s’agit des Annales regni Francorum, chronique carolingienne que les historiens respectables abordent avec gants et pincettes, car elle est du nombre des sources polluées.

La matière des Annales carolingiennes consiste essentiellement en opérations militaires, ce que l’on a appelé Gesta Dei per Francos « les hauts-faits de Dieu réalisés par les Francs ». Et,  pour qu’il n’y ait pas d’ambiguité, le chroniqueur exposait un casusbelli de derrière les fagots, démontrant que l’agression des Francs était l’expression de leur magnanimité.

C’est ainsi  qu’une de leurs attaques contre la Bretagne fut justifiée par le refus des Bretons de payer un tribut, alors qu’ils auraient  dû, parce que leurs ancêtres seraient venus se réfugier dans le royaume des Mérovingiens. Casuistique propre à satisfaire la bonne renommée du padrone.  Mensonge sans vergogne, mais coup de génie, puisque cette minable « refuite » de racketteur a fait florès.

Adoptée d’emblée par les courtisans francs, elle est resservie lorsque Ludovicus, dit « Le Pieux », attaque Morvan, en 818. Jusqu’alors les Bretons avaient abondance de documents relatant la réalité historique. Mais, Morvan mort, Matmonoc obéissant au vainqueur, fit mettre au feu la totalité des bibliothèques monastiques celtiques.

Sur la table rase, les Francs pouvaient édicter leur histoire. Il est de règle qu’un vainqueur n’est lui-même convaincu de sa victoire, que lorsqu’il en a fixé la mémoire. Le migrationnisme devint doctrine historique pour les Carolingiens, puis pour les Capétiens, puis les Bourbons. Saluons au passage l’élégante oeuvre de casuistique proto-jacobine de l’abbé de Vertot, « Traité de la Mouvance de Bretagne » (1710).

On demandera : « Comment est-il possible qu’à présent on trouve encore des « migrations bretonnes » dans des livres dits d’histoire ? »

La Bretagne doit manquer d’historiens. Le copié-collé existait avant les ordinateurs. Le silence organisé aussi. Répétez-le.

(chronique à suivre dans un prochain article)

  • « Origine Géographique des Bretons armoricains », Alan J. Raude. Editions Dalc’homp Soñj.

À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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