ALOUETTE DES CHAMPS, ALOUETTE DU CIEL

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

alouetteUne populaire chanson «Alouette, gentille alouette », qui a fait le bonheur des feux de camps de générations de scouts, guides et louveteaux, chantée souvent en « canon », semble aujourd’hui, à plus d’un titre, bien désuète. Désuète, davantage parce que l’alouette est en beaucoup de régions en voie de disparition, que par le côté enfantin et rétro de ladite chanson.

En effet, l’alouette est en voie de disparition. C’est infiniment triste car, par son chant mélodieux, c’est une jolie note de la grande symphonie musicale de nos campagnes qui disparait. Certes, elle n’est qu’un numéro sur la longue liste des oiseaux menacés d’extinction, et si elle retient notre attention, c’est parce qu’elle est un symbole très fort de la « terre nourricière ». Mais, c’est aussi un symbole de l’enracinement, de la ruralité qui s’éteint.  L’alouette n’a pas l’exclusivité de cette symbolique ; d’autres oiseaux tels que l’aigle, le hibou, la chouette ou la colombe peuvent y prétendre,  mais notre petit passereau par son espace vital, ses mœurs, son plumage fait totalement « corps » avec la terre de nos champs. N’est-ce d’ailleurs pas pour cela que nous la nommons alouette des champs, alors que les Anglais préfèrent l’appeler « alouette du ciel ou encore « alouette des nuages » (sky-lark). En breton Alc’houeder, ou en vannetais Eveder.

Dans les champs, elle trouve l’abondance de sa nourriture (graminées, larves, insectes en tous genres. Les sillons lui donnent la sécurité pour y nidifier. Oui, mais c’était avant  le remembrement, l’agriculture intensive qui ne laisse à la terre aucun repos, et l’usage mortifère des pesticides. Ainsi, l’alouette, comme beaucoup d’autres oiseaux, privée de son espace vital et de sa nourriture  traditionnelle,  s’est faite de plus en plus rare. En bien des campagnes, nous ne la voyons plus, nous ne l’entendons plus comme jadis.  Là, où elle trouve encore sa place, dès l’aurore, alors que le soleil commence seulement à dissiper la nuit et que ses rayons n’ont pas encore réchauffé la terre, notre petite boule de plumes couleur de la terre qui l’héberge, quitte son sillon où elle attendait les premiers rayons.  Au rythme  de sa joyeuse mélodie elle s’élance vers l’azur ; on dit alors qu’elle « grisolle », qu’elle « turlute » ou encore qu’elle « tirelire ». Elle monte si haut dans le ciel, qu’au bout d’un certain temps, notre œil ne la distingue plus. Puis, brusquement, ayant achevé son ascension, elle se laisse choir, regagnant  son sillon avec lequel elle va s’identifier.

 

Quand la campagne n’était que couleurs et musiques

Jusqu’à l’aube de l’agriculture industrialisée qui a bouleversé, non seulement les paysages séculaires, mais aussi sa flore et sa faune au point d’en causer la disparition, ainsi que les mentalités, nos campagnes n’étaient que palettes de couleurs par la richesse de la flore, que chants par les milliers de voix de la faune, où chaque être jouait sa partition, de jour comme de nuit, sans fausses notes. Mais s’y mêlait aussi le chant du travail des hommes : cela allait des bruits des machines agricoles, au roulement des lourds attelages avec leurs bandages de fer, du travail de la forge, de la roue du moulin aux heures égrenées par l’horloge du clocher, dont les Angélus rythmaient l’avancée de la journée. Et dans cette symphonie, l’alouette, si elle faisait corps avec la terre, elle faisait aussi corps avec le ciel. Les Gaulois disaient d’elle,  qu’en montant si haut dans le ciel tout en chantant, elle allait converser avec les dieux, puis redescendant sur terre, elle déposait dans les sillons des champs les secrets que les divinités lui avaient confiés. C’était une raison suffisante pour, face au majestueux aigle romain, faire d’elle l’emblème de la résistance gauloise. Elle aura l’honneur de figurer sur les casques, les boucliers. César, ayant conquis la Gaule, incorporera dans son armée une légion gauloise nommée  Alauda (nom latin de l’alouette : alauda arvensis)

Pour les générations qui ont connu cette ruralité faite de couleurs et de chants, les tintements des cloches sonnant l’Angélus s’unissant au chant  de l’alouette, était deux louanges qui montaient vers le ciel, vers le Créateur, est une image d’une intense spiritualité.  Si l’Angélus nous fait participer à la joie de Marie, apprenant par l’Ange qu’elle a été choisie pour être la mère du Christ « Le Fruit de vos entrailles est béni », l’alouette dans son ascendance vers l’azur du ciel, et par la joyeuseté de son chant, souligne toute la beauté du printemps où toutes les promesses de vie son aussi les enfantements  d’une nature sans cesse renouvelée.

En effet, après le temps des semailles, le temps des récoltes approchent. C’est aussi le cycle du Temps Pascal qui annonce le triomphe de la vie sur la mort, le triomphe de la Lumière sur les Ténèbres.  Si le chant des oiseaux a inspiré bien des poètes, des musiciens, comme Beethoven pour sa Symphonie Pastorale, le liturgiste mélomane, lui aussi, ne s’y est pas trompé : le chant de l’alouette n’était-il pas une douce mélodie qui montait vers Dieu, elle qui avait son nid dans le sillon où germait le blé du pain, ce pain qui pouvait devenir « le Corps du Christ ». Et de cette suave mélodie venant de la terre pour monter vers le ciel, le moine la fit chant grégorien. Ainsi, l’ Aurora Lucis  (Lumière de l’Aurore), d’une limpidité de cristal, comme l’alouette,  chante le renouveau perpétuel de la lumière, mais celle-ci est celle du Christ. De même, le  Surexit Dominus Vere  qui annonce le retour du Crucifié, le  Ad Coenam agni Providi  nous fait entrer dans le Mystère de la Rédemption. Mais l’exaltation de la Vie, de la Lumière s’exprime sans retenue dans le  Salve Festa Dies (Salut Jour de Fête) du moine-poète Venance Fortunat (VIe siècle), célébrant la Résurrection du Christ, unissant dans une cosmologie de Gloire le Dieu fait homme, l’homme lui-même et la terre nourricière qui laisse éclater toutes ses promesses.

Notre Angélus breton pour le Temps de Pâques, intitulé aussi « Regina Caeli breton », par son allégresse, chante toute cette joie pascale : « Alleluia ! pebez joa », et sa mélodie joyeuse n’est pas sans rappeler par intermittence celle de l’alouette.

           

Joie du chant, joie du travail

 N’oublions pas la fête des Rogations : alors que les récoltes ont bien levées, il convient de solliciter la Bénédiction Divine sur le travail des hommes, du moins en était-il ainsi avant que le paysan, pardon le « technicien de la terre » ne s’en remette aux programmes des Coopératives et aux pesticides. « Ut fructus terrae dare et conservare digneris, te rogamus, audi nos » (Daignez nous donner et nous conserver les fruits de la terre, nous vous en prions), chantions nous alors. Une époque bien révolue, où travailler la terre le dimanche n’était pas de bon augure « Labour zul, labour nul ».

Le barde Théodore Botrel  publia  un recueil de poèmes, dont le premier est dédié à l’alouette :

« Du sein de la moisson doré, s’élançant vers l’immensité, l’alouette monte, enivrée de soleil et de liberté ; elle monte seule et sereine, vers le grand ciel d’azur, de pourpre et d’or. Et son gai tireli l’entraine à monter, à monter encore. Elle abandonne tout sur terre : son vieux nid, ses jeunes amours. Pour monter solitaire, vers le soleil toujours, toujours … Et lorsque la lumière aimée, la brûlera de ses rayons, elle retombera pâmée, mais ravie, entre deux sillons » (1)

Nous serions nous éloigné de notre sujet, l’alouette ? Non ! Puisque dans la symbolique chrétienne notre petit oiseau des sillons est l’expression de la joie dans le travail : «Tout travail est une prière ». Saint François d’Assise, chantre de la nature pris sa « sœur l’alouette » comme modèle. C’est la modestie de son plumage qui lui inspirera la couleur »terre » de sa robe de bure de son ordre franciscain. Et la présentant à ses compagnons, il leur dira « Voilà, notre plumage sera comme celui de sœur alouette, et notre chant sera à l’école du sien ». A sa mort, Saint François d’Assise sera comparé à l’alouette qui s’envole vers le ciel (2).

Notre époque qui ne parle que d’écologie, et souvent par une ignorance désespérante l’oppose au christianisme, serait bien aise d’apprendre que la religion du Christ dans toutes ses expressions pour faire vivre l’Evangile, la Foi s’en refaire à l’œuvre du Créateur, et la nature y a toute sa place. Toute la Création est en soi liturgie tendant vers son Créateur, C’est donc  dans cette vision chrétienne  que l’alouette prend toute sa place, elle chante la terre, le dur travail des hommes, et portant son chant vers le ciel, l’y dépose comme une offrande agréée.

  • « Les Alouettes », poésies de Théodore Botrel. Bloud et Gay éditeurs, Paris. 1912.
  • « La harpe de Saint François » de Félix Timmermans. Editions Club du Livre Religieux. Bloud et Gay éditeurs 1935.

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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Un commentaire

  1. Merci Youenn, pour cette magnifique réflexion. L’as-tu proposée à un journal « grand public »? « L’homme nouveau »,  » Valeurs actuelles » ? M^me « le Figaro Madame » a parfois publié des textes que l’on est surpris de trouver entre ses pages glacées…

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