A la suite de la première partie de ma balade en Centre Bretagne, continuons notre promenade ensemble.
Sur les rives de l’Oust, en amont de Josselin, vers Lanouée, sa forêt et ses Forges, sur l’ancienne voie romaine reliant Rennes (Condate) à Carhaix (Vorgium) ne manquez pas de vous arrêter au village de Pomeleuc, le pont de saint Melec : c’est vraisemblablement là que l’autre voie romaine reliant Vannes (Darioritum) à Corseul (Fanum Martis) franchissait la rivière.
Le lieu où ces voies de communication est-ouest et nord-sud se croisaient a eu son importance, perdue par la suite, placé sous la protection de saint Melec, « qui partit prêcher en 601 chez les Saxons à la demande du pape Grégoire I° et devint évêque de Londres en 604. Il fut chassé de cette ville en 616 par les païens, se réfugia en Gaule, puis revint en Grande Bretagne où il fut consacré archevêque de Cantorbery en 619. Il mourut le 24 avril 624 » (Bernard Rio, « le livre des saints bretons », éditions Ouest-France, 2016). Melec est aussi honoré tout près, à Tréganteur, près de Guégon, à Lanvaudan, Pluneret et Plumélec, au sud du diocèse de Vannes. On le prie pour faire passer les maux de ventre, particulièrement les coliques des enfants, à la fontaine de dévotion qui se trouve perdue au milieu des champs, à quelques centaines de mètres au dessus de la chapelle.
Lors de sa construction, le canal de Nantes à Brest, inauguré en 1858 par l’empereur Napoléon III, a soigneusement épargné ici le lit de l’Oust, tout en captant la plus grande partie de son flux, entre l’écluse de Pomeleuc et celles de la Tertraie, en amont (N° 40, 41 et 42).
Arrêtez vous sur le bord de la route au café-bar qui vous ouvre ses portes et dont la patronne, Monique Boutte, vous accueillera de son sourire avenant. Les rafraîchissements sont bienvenus en cette période caniculaire (il fait plus de 25°, c’est dire !) et sont agréablement dégustés à la terrasse, sur la rue qui n’est pas outrageusement encombrée de camions et autres véhicules polluants susceptibles de gâcher le plaisir.
Surtout, avant de partir, demandez lui la clef de la chapelle Saint Melec, plus communément dénommée Notre Dame des Fleurs, c’est elle qui en est la dépositaire et vous la confiera – à charge de retour – bien volontiers.
Derrière le débit de boisson de Madame Boutte, sur les bords de la rivière que traverse une légère passerelle dont les piliers laissent imaginer ce que pouvait être le pont romain qui l’enjambait jusqu’à ce qu’une crue l’emporte ou qu’une charge trop lourde et le poids des siècles le fasse céder, vous trouverez une petite chapelle qui, d’extérieur, ne paye pas de mine comme beaucoup d’autres de ses semblables…
Vous aurez emprunté sur quelques mètres le dédale de chemins moussus qui y conduit, ne troublant que la joyeuse occupation quotidienne de respectables joueurs de boules débonnairement surveillés par leurs épouses blasées.
Faites le tour de l’édifice dont la construction remonte à l’année 1220 : vous verrez ainsi un magnifique calvaire, un ossuaire laissant a la vue une partie de son vénérable contenu, un énorme if dont les racines ont carrément absorbé une partie du mur d’enceinte de ce qui était autrefois le cimetière enserrant l’église, initialement dépendance de l’abbaye Saint Jean des Prés, située aux bord de l’Oust, en aval de Josselin. Bâtie en granit et moellons de schiste, en forme de croix latine, restaurée en 1639 et agrandie au XVIII°siècle, l’église de Poméleuc a été paroissiale jusqu’à la révolution qui a rattaché le village à la commune de Lanouée, toute proche.
Mais le trésor se trouve à l’intérieur et n’hésitez pas à faire usage de la clef confiée par madame Boutte pour ouvrir la porte latérale nord.
Au lieu de quelques vieilles et vénérables statues maladroitement taillées par un artisan local du siècle dernier, vous voilà émerveillé devant trois magnifique retables qui meublent le fond du chœur et la façade est des deux transepts.
Au nord, à votre gauche : la sainte famille, composée, tout en haut, de Dieu le père au-dessus de la colombe, image évangélique de l’Esprit Saint, dominant l’enfant Jésus, au centre de la composition, ayant à sa droite sa mère, la Vierge Marie et sa grand-mère maternelle, sainte Anne que nous révérons particulièrement en Bretagne ; à gauche, saint Joseph, l’époux de Marie et saint Joachim, le grand-père maternel de Jésus.
Ce tableau de 1719 serait du au pinceau du père ou du fils Le Corre, dit Dupont, originaires de Pontivy, actifs dans toute la Bretagne entre 1685 et 1745.
Vous voyez là la représentation de deux mystères centraux de la religion catholique : le mystère de la sainte Trinité et celui de l’Incarnation : Dieu s’est révélé aux hommes dans toute sa complexité : un seul Dieu en trois personnes : Père, Fils et Esprit. Dieu s’est incarné dans une famille humaine, comme annoncé dans l’histoire d’Israël que raconte la Bible, Jésus, fils de Marie et petit fils d’Anne et de Joachim est le messie attendu. Pour sauver l’humanité de sa tendance congénitale au mal, Dieu s’est fait homme lui-même (épître de saint Paul aux Philippiens, ch. 2, versets 6 à 11). « Gwir Doué, gwir dén », vrai Dieu, vrai homme, dit-on ici.
Parler de « père » et de « fils » traduit, par analogie, une relation d’amour et non un lien de sang et une différence de génération ! Relation d’amour tellement forte et présente qu’elle constitue la 3° personne, l’Esprit Saint !
A l’issue du concile de Trente clos en 1563 et la contre réforme catholique, il n’est pas rare de trouver de tels tableaux dits « de dévotion », comme au presbytère de Pont-Scorff
Celui du transept sud, représentant plus classiquement le don du chapelet du rosaire à saint Dominique de Guzman et à sainte Catherine de Sienne, aurait été peint en 1717 par le même artiste. Ce thème se retrouve sous quelque forme que ce soit dans presque toutes les églises de Bretagne où le rosaire avait été remis « à la mode » par le dominicain breton du couvent de Dinan, le bienheureux Alain de la Roche (1428-1475
Le somptueux retable du chœur présente une illustration de la scène de l’annonciation, Ce par quoi tout a commencé : l’ange Gabriel annonce à la jeune Marie sa prochaine maternité miraculeuse, l’enfant qu’elle va porter n’est, ni plus ni moins que le Fils de Dieu, une des trois « personnes » de la Trinité, en fait, Dieu lui-même, le messie.
Sa réponse fut le « fiat » : « oui, qu’il en soit fait ainsi », et le « magnificat » que l’on chante en son honneur ; si telle n’avait pas été sa réponse, nous serions toujours dans de beaux draps !….
Au dessus du tableau central couronné des 9 mascles des Rohan, la statue de la Sainte Vierge portant l’enfant Jésus domine l’ensemble du retable, permettant de donner son nouveau nom à la chapelle Notre Dame des Fleurs, dont l’image, constamment fleurie de fleurs fraîches, orne la partie droite de l’entrée du chœur
Sur la gauche du retable, la statue de Saint Mélec en costume pontifical d’évêque de Londres puis d’archevêque de Canterbury qu’il fut au début du VII° siècle. Il tient de la main droite un livre ouvert dans l’attitude du prêcheur.
A droite, celle du saint diacre, portant l’étole en bandoulière, Étienne, facilement identifiable par les pierres qui furent l’instrument de son supplice : il fut le premier martyr, lapidé à Jérusalem par les juifs qu’il traitait de « nuques raides, oreilles et cœur incirconcis » (Actes de Apôtres, ch 7, v 51). Trois de ces pierres lui forment comme une couronne de gloire.
Deux plus petites statues encadrent le retable, à gauche, à côté de saint Méleuc, un personnage coiffé d’un turban, un juif de l’ancien temps, tenant en mains un gros livre fermé, tandis que la statue à droite est celle d’un jeune homme, barbu, nue tête, tenant de la main gauche un livre moins épais, mais toujours fermé, tandis que de la main droite il paraît tendre un objet qui a disparu.
Qui sont ces deux personnages ? j’y vois l’illustration de l’ancien testament à gauche, et du nouveau à droite, sous la représentation du saint patron de l’abbaye des chanoines réguliers, Saint Jean des Prés, mère de la paroisse, Jean l’Évangéliste, également auteur de l’Apocalypse et de trois lettres dites catholiques, à qui, sur la croix, le Christ a confié sa mère « qu’il accueillit chez lui » (Jn 19, 26-27), image de l’Église naissante. Il tient dans sa main gauche le livre de ses écrits.
En revanche, faute de détails caractéristiques, difficile de mettre un nom sur le personnage biblique de gauche, vraisemblablement un prophète, Isaïe, par exemple, un des rédacteurs de l’ancien testament, dont le livre annonce l’avènement du Christ.
Mais que vient faire Saint Étienne au milieu de tous ces personnages tenant un livre ?
On sait qu’il existe entre Pontivy et Loudéac une commune des Côtes d’Armor, Saint Étienne du Gué de l’Isle (22210) qui fut, à la suite du mariage en 1270 d’Aliette de Coëtlogon, dame du Gué de l’Isle avec Eon (ou Eudon) de Rohan, un des fils du second mariage d’Alain VI (1232-1304), le fief d’une branche des riches et puissants seigneurs du Porhoët, dite Rohan du Gué de l’Isle qui s’éteindra en 1520 par le mariage de Cyprienne de Rohan avec François de la Feuillée.
En 1484, 14 ans après l’implantation de la première imprimerie à Paris, Jean de Rohan du Gué-de-l’Isle, a fait venir sur la rive droite du Lié, du côté de Bréhan-Loudéac, Robin Foucquet et Jean Crès, tous deux imprimeurs ; de leurs presses vont sortir un certain nombre d’ouvrages religieux et de droit coutumier.
Est-ce ces antécédents de la famille Rohan, branche du Gué de l’Isle, dans le monde de l’impression à ses débuts que la statue de Saint Etienne sur le retable de l’église de Pomelec au même titre que celles de saint Mélec, du prophête Isaïe et de saint Jean l’évangéliste – tous les trois représentés un livre en main -, vient rappeler ?
Revenus dans le sein de l’Église catholique à la suite du mariage en 1647 de Marguerite de Rohan (1617-1684), fille d’Henri II, 1° duc de Rohan, un des chefs du parti huguenot, avec le catholique Henri Chabot (1616-1655), autorisé à reprendre le titre et le nom des Rohan, leurs descendants n’ont eu de cesse de faire oublier leur appartenance à la religion prétendue réformée en finançant largement l’embellissement des chapelles du Porhoët, adoptant largement le style baroque de la contre réforme catholique apparu à l’issue du concile de Trente.
Après la Trinité-Porhoët, Saint Aignan, Notre Dame de Carmés, Notre Dame des Fleurs à Pomelec en est un autre exemple.
… et on n’a pas encore tout vu !
Les Rohan, en mettant partie de leur immense fortune, non pas au service des pauvres, mais, pour la plus grande gloire de Dieu, faisant ainsi leur la devise jésuite « ad majorem Dei gloriam », réitèrent le geste de Marie de Béthanie oignant les pieds de Jésus d’un parfum coûteux au grand dame des apôtres…. « Des pauvres vous en aurez toujours, tandis que moi, vous ne m’aurez pas tout le temps » leur rétorqua Jésus. (Mt 26, 6-13 ; Mc 14, 3-9 et Jn 12, 1-9)
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merci Yves !
l’an prochain en mai ou juin, si c’est possible, la fraternité Saint Patern de l’association les chemins du Tro Breiz prévoit d’organiser un tro breiz d’un jour du côté de Lanouée avec la chapelle de Pommeleuc située sur l’itinéraire historique du Tro Breiz !