Suite à une chronique diffusée sur RCF Sud Bretagne sur Dom Alexis Presse (cf ci-dessous), qui reprenait en partie un article publié sur Ar Gedour, des lecteurs nous ont demandé plus de précisions. « Je n’ai jamais entendu parler de pratique du breton (cantiques, etc) à Boquen… Ni connaissance d’échanges épistolaires de Dom Alexis sur le sujet » a confié un follower au rédacteur en chef d’Ar Gedour. Nous publions ici quelques précisions.
Il n’y a pas vraiment de lettres ou autres documents affirmant du désir de Dom Alexis Presse de faire de l’abbaye de Boquen une abbaye bretonne, un « Kalon Breizh » comme le souhaitait par exemple l’abbé Perrot pour Landévennec. Dom Alexis Presse était tout occupé à la restauration de sa communauté cistercienne dans la pureté de sa règle, dans la liturgie très dépouillée de cet ordre, ce qui n’excluait pas une certaine tenue. Le caractère breton de l’abbaye, dans l’esprit de Dom Alexis, allait de soi. Il n’aura de cesse de le dire ou, plus rarement, de l’écrire. Si certaines correspondances dorment sans doute auprès d’amis, nous pouvons supposer des intentions bretonnes par plusieurs éléments. Nous considérerons déjà l’extrême attention qu’il portait aux reliques des saints bretons : Samson, Magloire, Méloir, Trémeur, Colomban… qu’il fera rapatrier dans son abbaye, y compris les reliques de Yann-Vari Perrot qui lui furent confiées pendant plus de vingt ans. Il vénérait ces reliques tout autant que les autres, et il faut savoir que le portrait du recteur de Scrignac était en permanence exposé dans l’abbatiale, ainsi offert à la dévotion des visiteurs. Sa recherche du tombeau du prince Gilles de Bretagne, qui a son tombeau et son gisant dans l’abbatiale en est un autre exemple.
Avec de tels parrains, il est difficile de nier les références bretonnes que s’était donné Dom Alexis. On le voit mal s’inquiéter du devenir de ses reliques (l’un de ses courriers en notre possession le dit clairement), de jouer au collectionneur, s’il n’avait pas un projet breton évident.
Autre preuve : le choix de ses armoiries, avec un écu blasonné, partie gauche champ d’hermines plein de Bretagne-Dreux, partie droite de gueules au chevron d’or. Il affirme ainsi sa filiation entre son ancienne abbaye de Tamié (Savoie) et sa nouvelle abbaye : Boquen. Sa devise sera « Veritas in Caritate ». Or le choix d’un blason ou d’une devise par un Père-abbé, par un évêque ou un pape n’est jamais sans signification sur le caractère et le programme de l’homme.
Dans un modeste mot en date du 25 février 1944, il écrit à Herry Caouissin, dont il fut un grand ami : « C’est pour moi une grande peine de voir que les Bretons ne semblent pas comprendre et apprécier notre oeuvre ; les jeunes, aucun ne vient se joindre à nous. Nous sommes peu nombreux : huit, et il n’y a que deux bretons ! Faudra-t-il voir Botgwen peuplé d’étrangers ? Certes, si je savais qu’il en dût être ainsi, je serais porté à regretter d’avoir choisi ce lieu, alors qu’en d’autres provinces on me proposait autre chose. A la grâce de Dieu… «
Dans une autre lettre en date du 9 décembre 1959, toujours à Herry Caouissin, Dom Alexis Presse est très clair dans ce qui fut son voeu breton le plus cher : fonder une abbaye bretonne. Mais il est tout aussi clair dans cet échec et ne dissimule pas sa déception :
« Personne ici qui soit vraiment intéressé à la Bretagne. Je suis bien déçu, moi qui espérais faire ici un centre breton, une abbaye vraiment bretonne ; les Bretons ne sont pas venus, ne viennent pas… »
Dans ces deux lettres, tout est dit. A l’évidence, même si comme le dit Yvon Tranvouez (Catholiques en Bretagne au XXème siècle), Dom Alexis n’est pas arrivé porteur d’un projet breton mais d’un projet monastique auquel il donnera une couleur celtique, il rêvait de faire de Boquen un Kalon Breizh mais il n’y est pas parvenu, faute de moines bretons motivés, et par la suite du tournant très progressiste (dans les années 60) que lui donna son successeur, Dom Bernard Besret et sa Communion de Boquen, qui trahirent l’idéal du fondateur. Son ami, l’académicien Daniel Rops, qui connaissait tout de Boquen et du caractère breton bien trempé de Dom Alexis, dans un article -hommage (revue Ecclesia de mars 1966) passe sous silence ce caractère breton de l’abbaye. Certes, il parle de Boquen comme un haut-lieu de l’esprit, mais aucune allusion à un esprit breton. Même si cette dimension est aujourd’hui inconnue de beaucoup, il est difficile de nier les intentions de Dom Alexis de fonder une abbaye bretonne dans son essence, à l’instar de l’abbé Perrot pour Landévennec. D’autant que l’adhésion immédiate de personnalité culturelles, politiques et religieuses bretonnes et l’affluence de leurs dons confirment cet intérêt pour un destin breton qui s’exprimerait dans la liturgie et la culture propre du lieu.
Dom Alexis Presse n’éprouvait pas le besoin d’affirmer partout ce caractère breton qu’il voulait donner à son abbaye, car cela allait de soi, se traduisait dans les faits : les reliques en témoignaient, la venue des scouts pour s’en imprégner tout autant.
Par la suite, les articles consacrés à Boquen tout comme ceux dédiés à Landévennec omettront (délibérément ?) de souligner ce caractère breton affirmé de leurs restaurateurs pour éviter une justification d’une trahison laissant de côté l’esprit breton de ces lieux spirituels uniques.