Saints bretons à découvrir

De « Vive Henry IV » à « Soñjit Mab den / Gwerz ar Maro »: l’histoire d’un chant

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min
Illustration Ar Gedour (DR)

Le chant breton « Soñjit mab den », également connu sous le nom de « Gwerz ar Maro », est une adaptation religieuse de la célèbre chanson française « Vive Henri IV ! ». Cette transformation a été réalisée au XVIIe siècle par le père Julien Maunoir, qui a réharmonisé l’air populaire pour en faire un cantique religieux dans le cadre de ses missions. 

Origine de l’air

L’air de « Vive Henri IV ! » provient d’un Noël populaire du XVIe siècle figurant dans le recueil de Christophe de Bordeaux (1581) mais dont une partie appartient à une danse plus ancienne également du XVIème siècle « Les Tricotets », thème qui est réutilisé dans le « Bransle Coupé de Cassandre » de L’Orchésographie de Thoinot Arbeau (1588) datant donc d’avant l’avènement d’Henri IV (1589). Il a été utilisé pour célébrer Henri IV, roi de France, et est devenu un hymne populaire en France.

D’après Michel Lefèvre, Chants et chansons du Boulonnais, l’air serait de Du Caurroy, Maître de chapelle de Henri IV. Charles Collé augmenta encore la popularité de ce chant, en le plaçant dans sa charmante comédie de la Partie de Chasse d’Henri IV (vers 1770). 

1- Vive Henri IV !
Vive ce roi vaillant !
Vive Henri IV !
Vive ce roi vaillant !
Ce diable à quatre
A le triple talent
De boire et de battre
Et d’être un vert galant.

2- Au diable guerres,
Rancunes et partis !
Au diable guerres,
Rancunes et partis !
Comme nos pères
Chantons en vrais amis,
Au choc des verres
Les roses et les lys.

3 – Chantons l’antienne
Qu’on chantera dans mille ans ;
Chantons l’antienne
Qu’on chantera dans mille ans ;
Que Dieu maintienne
En paix ses descendants
Jusqu’à ce qu’on prenne
La Lune avec les dents.

4 – Vive la France !
Vive le roi Henri !
Vive la France !
Vive le roi Henri !
Qu’à Reims on danse,
En disant comme Paris :
Vive la France !
Vive le roi Henri

La mélodie étant très populaire, les royalistes l’utilisèrent en 1814 dans une chanson célébrant le rétablissement de la monarchie en France : Le Retour des Princes français à Paris. Elle est chantée pour la première fois en public par François Lay le 3 avril 1814 à l’Opéra. Sous la Restauration, l’air Vive Henri IV ! est ensuite fréquemment chanté dans les cérémonies se déroulant hors de la présence du roi et de la famille royale à cause de son couplet « J’aimons les filles et j’aimons le bon vin », on évitait de le chanter devant les personnes royales. Pour accueillir le roi ou des membres de la famille royale, quand ils faisaient leurs entrées dans une cérémonie publique, on utilisait plutôt « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? », air tiré de l’opéra-comique Lucile (Comédie en un acte mêlée d’ariettes, 1769) d’André-Modeste Grétry et dont les paroles sont de Jean-François Marmontel.

Le thème a également été repris dans d’autres œuvres, notamment dans l’air final Viva il diletto de l’opéra de Rossini Le Voyage à Reims (composé à l’occasion du sacre de Charles X) et dans le final du ballet de Tchaïkovski La Belle au bois dormant (que l’on retrouve dans le film d’animation de Disney). Dans l’adaptation cinématographique russe de 1967 du roman Guerre et Paix de Tolstoï, l’hymne est chanté par les prisonniers français. Il est en outre présent dans l’œuvre originale.

 

Une version arrangée par René Cloërec est également chantée dans Vive Henri IV, vive l’amour, un film de Claude Autant-Lara, interprétée par les Quatre Barbus. Elle est utilisée pour indiquer que la scène se passe dans un camp ou un navire des forces militaires françaises dans Turn. Au XXe siècle, Jacques Chailley utilise cet air pour écrire le chant scout : Vive la route et les routiers.

 

 

Transformation en cantique breton

Comme il l’a fait sur divers répertoires, le père Julien Maunoir, dans sa mission d’évangélisation en Bretagne, a adapté cet air populaire en y substituant des paroles religieuses sur la mort. Il a ainsi créé « Gwerz ar Maro », ce chant qui évoque la mort et l’au-delà, et en modifiant la rythmique tout en conservant la mélodie de l’original. Cette adaptation a permis de diffuser le message chrétien de manière accessible et mémorable auprès des populations bretonnes.

Paroles et signification

Les paroles de « Soñjit mab den » abordent les thèmes de la mort et de l’au-delà. Le titre « Soñjit mab den » se traduit par « Souviens-toi, homme », un appel à la méditation sur la finitude humaine et les fins dernières . Ce chant était souvent interprétée lors des funérailles, en raison de sa portée spirituelle et de sa mélodie poignante.

Soñjit mab den en hoh eur diwezhañ,
Pa vezo ret da viken finvezañ,
Gant ho puhez ho pinvidigezhioù,
Ho kloar dister, ho pliiadurezioù.

Ar maro kriz gant e valc’h diremet,
Gant e viroù lemnroc’h eget luc’hed,
Biskoazh morse na bardonas da zen,
Hag a dra sur na bardono biken.

Ar maro kriz a vale diarc’hen,
Hep trouz ebet e teu en ho kichen,
Mut ha bouzar na ra van deus klemmoù,
Eus yaouankiz, nerzh gened ha madoù.

Pensez fils de l’homme, à votre heure
dernière,
Quand il faudra à jamais tout quitter,
Votre vie, vos richesses,
Votre gloire vaine et vos plaisirs.

La mort cruelle avec sa faux sans merci,
Avec ses armes plus vifs que les éclairs,
Jamais ne pardonna à personne
Et certainement ne le fera jamais.

La mort cruelle marche pieds nus,
Sans bruit elle vient à vos côtés,
Sourde et muette, elle se moque des
plaintes,
De la jeunesse, de la force, de la beauté
et des biens.

Héritage et influence

« Soñjit mabden » a été repris par de nombreux artistes bretons, tels que Yann-Fañch Kemener et les sœurs Goadec, ou encore Didier Squiban dans le premier mouvement de sa Symphonie Bretagne, contribuant à sa préservation et à sa diffusion. Les Gedourion ar Mintin l’avaient à leur répertoire dans les années 2000, dans une version polyphonique écrite par Goulven Airault. 

Ce chant demeure un exemple significatif de l’inculturation musicale, notamment dans la manière dont les traditions populaires peuvent être adaptées pour transmettre des messages spirituels. 

Une passerelle culturelle

L’adaptation de « Vive Henri IV ! » en « Soñjit mab den » illustre la richesse de la culture bretonne, capable de réinterpréter des influences extérieures pour les intégrer harmonieusement dans son propre patrimoine. Ce processus de transformation témoigne de la créativité et de la résilience des traditions bretonnes face aux changements historiques et culturels. Ainsi, « Soñjit mab den » n’est pas seulement un chant religieux, mais aussi un symbole de l’adaptabilité et de la richesse de la culture bretonne, qui sait puiser dans son histoire pour nourrir sa spiritualité et son identité.

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

Articles du même auteur

[SURZUR] Oferenn e brezhoneg d’ar 15 a viz Mezheven 2025

Amzer-lenn / Temps de lecture : 1 minLidet ‘vo gant an Ao. Ivan Brient un …

Suivre la voie du Christ : pour une diplomatie liturgique au-delà des étiquettes

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 minDans un monde polarisé, où chaque position semble …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *