Des mariages forcés des communes à la francisation des noms de lieux : un même combat !

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

Les médias relaient ces jours-ci l’appel de la centaine d’artistes, d’auteurs et personnalités diverses bretonnes, après que Telgruc ou Pleyben aient décidé de franciser des noms de rues ou que La Poste ait argué la brittophobie de ses machines qui refusent de reconnaître les adresses e brezhoneg. Au moment où l’article est publié, nous apprenons que la Poste a finalement nié cette brittophobie, renvoyant aux décisions des élus.

Début juillet, Alan Stivell avait publié cet appel, qui voit aujourd’hui de nombreux signataires, et il est heureux de constater qu’enfin certains se rebellent face à cette aberration de franciser toute une toponymie marquant l’histoire de Bretagne de manière large et de manière plus locale. La Bretagne se caractérise en effet par des toponymes aux formes particulières liées à la langue bretonne, que ce soit les toponymes liés à la religion, les toponymes liés en rapport avec les éléments naturels ou encore les toponymes exprimant les activités humaines.

Ce samedi, un rassemblement aura lieu ce samedi à Telgruc pour s’opposer aux décisions des édiles francisants. Mais il est sans doute intéressant de souligner ici que la francisation des noms de lieux et la disparition des noms de nos villes vont de pair. Que ce travail de sape  – volontaire ou non – a commencé dès lors que l’on a accepté d’avoir dans la majorité de nos villes bretonnes (dont les noms ont déjà pour la plupart été francisés) des rues Gambetta, Mitterand, ou Talleyrand au lieu de prendre les noms de ceux qui ont marqué l’histoire de la Bretagne. Il a débuté lorsqu’on a accepté sans broncher des rues portant le noms d’événements de l’histoire de France, en omettant notre propre histoire. Soljenytsine disait qu’afin de détruire un peuple il faut d’abord détruire ses racines. En taisant l’histoire de la terre de Bretagne étaient déjà jetés les prémices de ce que nous vivons aujourd’hui. Et les unions forcées des communes, appelant aujourd’hui de nouveaux noms offrant une originalité faisant fi de la toponymie locale, arrachent encore plus les racines bretonnes (et donc chrétiennes) de ces localités.

Des mariages forcés des communes

Par exemple, dans le Finistère, Audierne et Esquibien ont fusionné pour ne donner qu’une entité : Audierne. Adieu Eskibien, dont les racines remontent au moins à 1110. En Ille-et-Vilaine, la Chapelle-du-Lou-du-Lac regroupe la Chapelle-du-Lou et de Lou-du- Lac. Dans le Morbihan, La Chapelle-Caro, Quily, le Roc-Saint-André ont fusionné pour créer « Val d’Oust ». Une ânerie qui n’est pas sans lien avec les affaires de francisation à outrance. Naizin, Remungol et Moustoir-Remungol forment les «Evellys », nom tiré des deux ruisseaux – l’Evel et l’Illys  – qui arrosent ces communes. Qui s’est vraiment opposé à ça ?

De même, à notre connaissance, très peu de personnes se sont opposées à ce que par exemple Plouhinec  (du Finistère) décide de se métamorphoser en Plouhinec – sur-Mer par souci de distinction avec Plouhinec (du Morbihan). Or, si, au lieu de participer à la francisation de nos noms de villes et de contribuer au déracinement comme le font les mariages forcés de nos communes au détriment de leur identité, le maire avait opté pour une “modification” invitant à n’utiliser désormais que le nom de la ville en breton, la question de l’homonymie aurait été vite réglée, puisque le Plouhinec du Morbihan s’écrit Pleheneg, alors que le Plouhinec du Finistère s’écrit Ploeneg. Plus de confusion possible en utilisant cette solution d’un nom désormais uniquement en breton.

 

Beñveg an diaoul !

On peut peindre en bleu, en blanc, en rouge, le feuillage éphémère d’un arbre, mais les racines elles, continuent d’exister ! Or on tente ici de les arracher. Les Tri Yann chantaient « An tourter » (voir ci-dessous) une chanson à propos du remembrement bien à propos, illustrant bien cette idée que faire disparaître les appellations de nos communes en dépit de tout bon sens toponymique est à mettre en parallèle d’un remembrement qui a défiguré nos campagnes et les ont impacté avec des conséquences désastreuses, au profit d’une pseudo société moderne et ouverte au nouveau monde.

Alors aujourd’hui, des personnalités bretonnes disent fermement leur opposition à ce suprémacisme linguistique, et c’est louable. Il y a la volonté de ne pas laisser faire.  Mais ayons chacun conscience que cette francisation des noms de lieux n’est qu’une suite logique de tout un travail de destruction hérité de la révolution française qui débaptisait jusqu’aux mois de l’année, suite à laquelle nous devons systématiquement nous opposer. Les promoteurs de noms hors-sol et de la débretonnisation massive ne sont que des héritiers des sans-culottes et de l’abbé Grégoire, qui ont jeté en terre les semences d’un populicide sournois, qui ont prospéré avec  constance. Comme l’affirmait Milan Hübl, « pour liquider les peuples,  on commence par leur enlever la mémoire. On détruit leurs livres, leur culture, leur histoire. Puis quelqu’un d’autres leur écrit d’autres livres, leur donne une autre culture, leur invente une autre histoire. Ensuite, le peuple commence à oublier ce qu’il est et ce qu’il était . Et le monde autour de lui l’oublie encore plus vite ».

Pour paraphraser La Villemarqué, ce n’est, « ni l’espoir d’établir en l’unité de langage, des moeurs et des idées, ni le désir de voir la Bretagne s’asseoir, comme on dit, au banquet de la civilisation commune qui pousse nos ennemis à détruire la langue de nos pères ; s’ils civilisent, assure-t-on, c’est pour dominer ; de sorte qu’on peut dire encore aujourd’hui des Bretons qui propagent chez eux la langue et les idées françaises (et donc cette francisation des noms de lieux par un mépris toponymique), ce qu’en disait Tacite, il y a dix-huit siècles, en les voyant favoriser le progrès des moeurs des Romains : “Ils sont les instruments de leur propre esclavage, Instrumenta Servitus.”

Une manifestation pique-nique est organisée le 14 septembre à midi sur la plage de Traez-Beleg à Telgruc contre la francisation de la toponymie bretonne
Benveg an diaoul, ô petra ‘rez?
Dizah ‘r bleuz, diskar ar gwéz!
Freuza ‘r park, karga an hent!
Diskolpa ‘r menez gand da zent!
Mahagna ‘rez ar parkeier,
An drevajou, ar hoajeier.
Frigasa ‘rez yeot ar ‘foenneg
Ha diskolpa brug al lanneg.
‘Vel eun taro dall pennfollet.
E tourter kriz ‘vel dirrolet.
Eun druez eo flastra glazur!
Ober labour ken dinatur!
Ouz da zilehr ne jom nemed
Gwez toull-govet, glazvez breset…
Eur brén-douar ne rafe két
Gwasoh dismantr e leh e-bed.
Da storlokou, pell, a drégern
Muioh eged eun trouz ivern.
Da harvanou a zo euzuz.
Ha da êzenn a zo fleuriuz.
Piou an diaoul e-neus ijinet
Eur seurt benveg ken milliget?
A laz, a sko ‘vel eun treitour,
A ra d’an dén chom dilabour…
Benveg ganet ‘kreiz ar brezel,
Tres an ivern war beb ezel,
Ganit e klever c’hwéz ar poultr…
Kerz kuit da strakal gand ar foultr.
Outil diabolique, que fais-tu ?
Renverser les talus, abattre les arbres!
Détruire le champs, boucher la route!
Déchiqueter la montagne à l’aide de tes dents!
Tu mutiles les champs,
Les moissons, les bois.
Tu écrases l’herbe de la prairie
Et tu mets en pièce la bruyère de la lande.
Comme un taureau aveugle devenu fou
Comme déchaîné tu cognes de la tête avec cruauté.
Quel malheur d’écraser la nature,
De faire un travail si meurtrier!
Après ton passage, il ne reste
Qu’arbres éventrés, nature piétinée…
Un tremblement de terre ne ferait pas
Davantage de dégâts nulle part au monde.
Tes craquements au loin éclatent
Plus forts que les râles de l’enfer.
Tes mâchoires sont horribles,
La fumée est fétide.
Qui diable imagina
Un tel outil de malédiction?
Qui tue, qui frappe comme un traître.
Qui met l’homme au chômage…
Machine née au cœur de la guerre,
Le visage de l’enfer sur chaque aile,
Grâce à toi, nous respirons l’odeur de la poussière…
Déguerpis et que la foudre te fasse voler en éclats.

 

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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6 Commentaires

  1. La réponse de la Poste est incomplète : Quid des adresses rédigées EN Breton, et sous la forme orthographique correcte ? Il arrive en effet que les adresses écrites en breton ne sont pas traitées correctement, non seulement concernant le nom de la commune, mais aussi du fait des mots « straed », « bali » etc ou bien du fait de la graphie ou de la forme en breton… A-du a grenn ganeoc’h diwar-benn orin ar gudenn : diberc’hennet eo ar vretoned eus o istor.

  2. Bonjour ! Dans le style de je croyais avoir tout vu, je n’en reviens pas. La Poste ne devrait-elle pas se remettre sérieusement en question? Vu la baisse du courrier, et vu de son incompétence à traiter correctement le peu de courrier qu’il lui reste, sans compter les colis. Je passerais sous silence le long parcours d’un courrier qui a mis 15 jours pour parcourir 2 kilomètres, les recommandations de spécialistes en médecine qui stipulent clairement en bas de leurs examens médicaux (non c’est pas mon cas) que l’envoi par mail leur semble plus approprié vu le peu de sérieux dans la distribution du courrier ! Et bien d’autres amertumes émanents d’autres usagers. Quand au maire de ce village de Plouhinec (cité dans votre article), comment peut-on confondre un code postal commençant par 29 (Finistère) et 56 (Morbihan), qui sont le début du classement par département ? Sous couvert de facilitation de distribution de son courrier, la Poste, pourtant organisme semi privé-public, se permet, sans concertation aucune, de modifier unilatéralement des noms de lieux, rejetant ainsi son incompétence notoire sur des noms ingérables par des machines pourtant programmables en plusieurs langues. Mais quelle facilité extraordinaire ! Passons la niveleuse tant qu’à faire !
    La même qui a servi à démonter la langue bretonne (suivez mon regard).
    Quand au « cachet de la Poste faisant foi » oublier ce terme, il est devenu obsolète. Et la facilité de recouvrir à des intérimaires pour la distribution ne peut que générer des erreurs qui sont inadmissibles, vu le coût du timbre constamment en augmentation. Cette politique d’éradication peut cacher une future intégration dans un Groupe européen, une Poste européenne aseptisée de ces particularismes locaux. Ils auront fort à faire je pense, à moins de s’adapter… Ce qui est moins sûr…

  3. Bonjour,

    Certain on suggére de franciser le nom du Maire de Telgruc sur Mer…
    qui s’appelle Le Pennec…

    Je laisse au linguiste le nom qu’il faudrait lui donner en bon français et demandez lui son avis…

    Merci pour la réponse.

  4. Le hideux visage de l’impérialisme linguistique français apparaît dans toute sa laideur au travers de cette injonction scandaleuse. Elle doit susciter un rejet massif et déterminé. Nous n’avons pas besoin de toponymes français ou francisés. Supprimons Quimper. Kemper suffit. Nous sommes chez nous. Nous n’avons pas besoin de lois venues d’ailleurs. Nous n’avons pas besoin de maîtres. Le colonialisme, c’est fini !

  5. Pour aller vers la modernisation et sortir les campagnes de la misère, nos parents ont pensé qu’il fallait monter dans le train français de la modernisation que beaucoup de bretons ont participé à construire en s’exilant, attirés par les lumières des grandes villes et des usines. La grande guerre, au delà d’avoir saigné la Bretagne plus que tout autre région, avait déjà allumé bien des esprits. Nos représentants élus, pour beaucoup largement acquis, aveuglément, à cette adhésion, ont appuyé et organisé, sans discernement, cette orientation mortifère. Nous commençons à prendre conscience de la perte de richesse que représente cette culture, cette histoire…. qui sont les nôtres, qui sont notre âme, qui nous distinguent des autres, nous font exister, reconnaître, émerger un peu, encore, malgré tout, de la bouillie de la mondialisation qui asphyxie, englue, uniformise. Les édiles biberonnés aux pensées jacobines et du siècle des lumières depuis des lustres commencent à prendre conscience de l’importance de la biodiversité, de la richesse de la différence. Comprendront-ils enfin qu’ils continuent de porter un crime contre l’intelligence qu’ils prétendent pourtant exercer ? La république n’a rien à craindre des spécificités bretonnes. Nous avons trop contribué à celle-ci. Elle a tout à y gagner. Alors il n’est pas trop tard pour redresser la barre, que la Bretagne retrouve son territoire, son histoire, ses richesses culturelles, linguistiques…. bien des noms ont été francisés, ou mal orthographiés, à une époque où ceux qui savaient écrire le faisaient en français. Plutôt que de continuer à subir des dérives d’édiles incultes, défendons, imposons la véritable appellation de nos villes, de nos villages, de nos campagnes. Retrouvons notre âme et nous serons mieux armés pour avancer.

  6. Si les noms de lieux Français en Ile de France étaient remplacés par des noms en d’autres langues: Anglais, Allemand, Chinois, Arabe et j’en passe…, que dirait-on???? Ce serait aberrant car ces noms résonnent d’une histoire de France riche.
    Chaque terre a sa langue et son histoire, forgés par son peuple: vouloir les gommer est une atteinte aux droits de l’homme, et aux droits des peuples d’exister.
    La France sans la langue Française n’existerait plus et ce serait une grande perte. La Bretagne sans la langue Bretonne n’est plus la Bretagne. Et on peut décliner cela pour tout peuple et tout pays. Je parle Breton, Français, Anglais…Et ça ne me pose aucun problème.
    Alors, vive le multilinguisme…..

    Si noms de lieux il y a à changer, commençons par enlever les noms des criminels de nos rues: Danton,Rbespierre, Lenine, Staline, ou encore Gambetta et ses 70 000 morts du camp de Conlie, en Mayenne….

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