SOURCE
Saint Patric, dans sa Confession, ch.1, indique comme résidence de sa famille un uicus du nom de Banauem Taberniae, Bannauem Taberniae ou Bannauem Taburniae, selon les manuscrits. (SPC 70)
Les manuscrits ne séparant pas les mots, le texte ci-dessus est le découpage (« segmentation « ) choisi par les éditeurs. Le script latin donne : quifuituicobannauemtabernae (ou variantes) ; les éditeurs, lisant -taberniae, ont cru y voir le latin taberna « cabane », et ont coupé avant le t . Mais cela n’a donné aucune localisation, et le -m de *banauem*) ne se justifie ni en latin, ni en celtique. Il faut donc procéder à une autre segmentation.
Les mots.qui suivent uico étant assurés, les six syllabes bannauentaberniae se découpent en trois mots : banna, uenta et berniae .
ANALYSE
– UICUS
Uicus a le sens de « quartier », et plus précisément de « quartier d’activité. Ainsi, à Portus Namnétum -Nantes- le uicus comprenait les entrepôts, magasins et ateliers de la Classis Britannica, la flotte romaine de Britannie. A Brest on avait un Uicus Boueius « Quartier Bovin », pour l’activité des éleveurs.
Il entre dans la composition de noms de garnison, comme Borcouicium, » citadelle « , Longouicium » base navale « , etc…
Dans sa fonction commerciale, uicus a même pris le sens de « port » et marqué par -vik, -wick, -wich, les escales des marchands des mers du nord. En Cornwall il y a un port de Gweek, et en langue cornique, gwika signifie « commercer »
BANNA
Banna, pour un celtisant, signifie « corne », « sommet », « promontoire », tels, en Ecosse, Ban Rubia, en Bretagne : Ar Vann » Pointe du Van « , Bann Gawr, devant Port-Louis. Le nom de Plovan remonte à *Plês -od-banna » ploue du cap de la sortie « , à savoir l’embouchure de trois ruisseaux.
UENTA
Uenta est un toponyme connu, mais de fréquence limitée. En Britannie on en connait trois : Uenta Belgarum, Uenta Icenorum, Uenta Silurum. Ce dernier, à présent Caerwent, a engendré le nom de province Gwent . Il s’agit de localités d’importance.
Uenta remonte à uentus « venue dans un lieu », mis au féminin pour indiquer le lieu à gagner.(Comparer l’ anglais convent « réunion » et le français couvent » lieu où l’on est réuni ». La notion de « vente », uendita, s’ y ajoute sans nul doute, car il s’ agit de lieux de rencontres commerciales périodiques, attestées depuis des millénaires.
BERNIA > UERNIA
-berniae, est une graphie du latin tardif, comme Benetis pour Uenetus -Vannes ( b pour [w] est fréquent en Britannie au 4ème siècle. Patric écrivait Hibeiio pour Iwerio), pour uerniae, de uernia, qui signifie « marécage où poussent des aulnes ».
L’ADRESSE
Le nom donné par Patric est ainsi clair :
*uicus Banna-uenta uerniae « quartier du marais du marché du Cap « .
Il fournit de bons repères pour l’identification .
GLANNOUENTA
Parmi les noms du littoral exposé aux raids Scots on n’ en trouve pas d’exact équivalent, mais la Notitia Dignitatum (fin du 4. s., au ch.40) fournit un nom composé, Glannobenta, qui s’ en rapproche.
Le nom Glannobenta, est reconstitué à partir des variantes Clanouenta (Itinéraire d’Antonin), Glannibanta (Notitia dIgn;), Cantiuenti (Anonyme de Ravenne).
Il faut ici préciser que, comme plus haut berniae, benta doit être lu uenta
IDENTIFICATION
GLANNA
Glanna est un terme celtique pur « rive », « rivage ». Bien présent dans tous les pays brittoniques : Penn-ar-Lann à Ouessant, Ër-Lannig, près de Gavr-Inis, Glanndour , » Tour littorale « . En Cumbria Birdoswald était Camboglanna « Côte torte », base navale romaine.
Glanna n’ est pas en désaccord avec banna, puisqu’ un « cap » est une partie du littoral.
Rien ne s’oppose donc à ce que Glannouenta soit ainsi le Banna-Uenta de Patric. Au 4.s. c’était une base navale romaine, au nord du .Mare Torênium (Irish Sea), à l’ embouchure commune de trois cours d’eau, Irt, Mite et Esk. Sa garnison consistait en une cohorte recrutée chez les Morini de Belgique Seconde, peuple littoral aguerri (ELSM). Son préfet devait disposer d’une flottille d’ éclaireurs.
RAVENGLASS
Le site de Glanno-Banna-uenta est aujourd’hui Ravenglass, petit village, après avoir été ville prospère.
Dans les archives, Ravenglas était, en 1180, Renglas; en 1297 Ravenglas (PNC 425).
Ren- doit correspondre au gallois rhyn « cap » et glas est un nom brittonique pour « cours d’eau » (cf. Daoulas, v.br.Douglas, en Bretagne). Le nom « cours d’eau du cap » est justifié, mais désigne seulement l’estuaire de l’Irt. Ravenglass est un autre nom. Il remonte, en évolution brittonique, à Romana Classis « (sous-entendu Portus) » [Port de la] Flotte romaine « .
CONCLUSION
Suivant cette ligne cohérente, le uicus du père de Patric doit avoir été un quartier de la Uenta connue globalement comme Glannouenta mais dont un quartier était identifié toponymiquement par une « éminence » ou un « cap », banna, et un marais où croissent des aulnes, uernia.
Si l’on adoptait une correction en **Banno-nemeto-uernia on perdrait le repère uenta, et il faudrait chercher un sanctuaire près d’une éminence et d’un marais; ce qui élargirait le champ des recherches. Mais la situation de Ravenglass, à 19 milles marins de l’île de Man, qui servait d’escale aux pillards irois, était particulièrement exposée à leurs incursions. Cette localisation du pays d’origine de Patric est donc vraisemblable.
A 45 km au N de Ravenglass et 3O km au SW de Carlisle, à proximité de l’ancienne Alauna (Allenby) se trouve aujourd’hui Aspatria, écrit Aspatric v.1160. Des toponymistes anglais pensent y voir, germanico modo, « le Frêne de Patric « . Il serait plus acceptable d’y voir un v.breton *Wos Patric « demeure de Patrick » (*wos, ir. foss, est attesté dans Santos « St-Thois », Tregoures, * Rewos « Rieux »). Il s’agirait de la résidence de Patric comme évêque, au 4ème siècle avant son apostolat en Ibernie. Ceci peut contribuer à éclairer la relation du saint avec Corotic « roi d’Alauna » (OGBA 6.5.1).
Sans doute simple erreur d’un scribe ibernien, pour qui -mt- à l’intérieur d’un mot n’avait rien d’anormal (v. v.ir. maimte etc.) alors que les -nt- du v.celtique étaient en gaélique réduits à -t-.
BIBLIOGRAPHIE
AGBOrdnance Survey, Atlas of Great Britain, London, 1982
BRSAG FR. SAGOT La Bretagne Romaine<; Paris 1911, 418p.
DORLIM Dornier A. Was there a coastal Limes in Western Britain ? Roman frontier studies.
Tel-Aviv 1967, 15-20.
ELSOM Vanneufville E. De l’Elbe à la Somme. Amiens 1979 (Eklitra, Lévêque) 188p.
PNCA.M.Armstrong, A.Mawer, F.M.Stenton, B.Dickins, The place-names of Cumberland, Cambridge Univ.Press, 1971 (3 vol.VI-258p, p.259-457, LXXX-565p. English place-name society, vol XXII)
SPC SAINT PATRIC Confessuin et Lettre à Coroticus. Ed. R.P.C. Hanson. Paris 1978
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* Ouvrages d’Alan Joseph Raude
- L’origine géographique des Bretons armoricains. Série Etudes et recherches de Dalc’homp Soñj
- Ecrire le gallo : précis d’orthographe britto-romane
- Petite histoire linguistique de la Bretagne
- Introduction à la connaissance du gallo
- Liste des communes galaises du département des Côtes-d’Armor (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- Liste des communes du département de l’Ille-et-Vilaine (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- Liste des communes du département de Loire-de-Bretagne (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- Liste des communes galaises du département du Morbihan (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
- La Naissance des nations brittoniques – de 367 à 410 -, Ploudalmézeau : Editions Label LN, 2009
1ere diffusion de cet article le 1/08/2014