Lu sur Una Voce : Les cantiques populaires laissent peu de trace dans l’histoire de la musique religieuse. Tout d’abord parce que c’est un genre mineur, et par ailleurs parce que le chant sacré, selon les critères de l’Eglise, est constitué du propre et de l’ordinaire. Le reste n’a aucune existence, liturgiquement parlant.
On sait donc bien peu de choses sur ce qu’auront pu être, au cours des siècles passés, les chants de foule. Tout au plus constate-t-on que pendant longtemps – le Moyen-Age en témoigne – la frontière entre les airs populaires et les airs religieux était très perméable.
Des fragments de mélodies entendues maintes fois à la messe sont passés dans des airs populaires (parfois même, dans un esprit volontairement iconoclaste, on les transformait en chansons de corps de garde, le procédé avait encore cours au début du XXe s.). La technique médiévale de l’organa (mélodie aux valeurs doublée ou triplées, sur lesquelles on rajoute un contre chant ornementé) donna par exemple naissance à un arrangement fameux : à partir du ton du « Benedicamus Domino » pour les 1ères vêpres des fêtes de 1ère classe, la mélodie sur « Domino » est scandée à la basse sur un rythme profane fortement martelé, tandis qu’un contrechant particulièrement dansant y est superposé. Le résultat est remarquablement rythmé et festif, or pourtant il tire son origine du plain-chant monastique !
Les meilleurs cantiques populaires semblent encore être ceux que nous connaissons sous le terme de « cantique traditionnels » marqués par un style régional. Les cantiques bretons, alsaciens, bourguignons, provençaux, béarnais et basques, lorsqu’ils remontent au XVIIe ou XVIIIe s., nous paraissent à la fois dignes et familiers. L’ingrédient de cette recette qui marche à tout les coups est, comme par hasard, cette modalité – commune au plain chant – si naturelle que les paysans illettrés se l’appropriaient sans difficulté, et qui faite encore aujourd’hui le succès des festivals de musique bretonne et celtique.
Mais il n’en allait pas toujours ainsi, et parfois des airs populaires indignes du chant sacré entraient dans les églises. Le fameux « Il est né le Divin Enfant » n’est-il pas né, au XVIIIe s., d’un arrangement sur un air de trompe de chasse dit « La tête bizarde » ? Le clergé de l’époque aura été fort passif…
Aux lendemains du génocide causé par la Révolution française, un basculement se produit : alors que la musique s’imprègne globalement d’un style empire où la subtilité est exclue, on voit apparaître quantité de chants à trois voix égales en français dont l’écriture tient plus d’une aimable romance de salon que du chant sacré. Ce ne sont pas à proprement parler des cantiques pour le peuple, mais cet démagogie musicale est le début d’un long cheminement conduisant vers la ruine.
Un chroniqueur dénonce à l’époque des « cantique nigauds et ridicules, cuisinés par des tripatouilleurs, qui mettant à la place de Sylvie le nom de Jésus, transforment ‘O Fontenay, qu’embellissent les roses’ en ‘O Saint Autel qu’environnent les anges’ « , (ainsi transformé, cet air publié en l’An XI de la Révolution fut fort apprécié par sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ce qui est révélateur de la culture de l’époque). Parmi ces « tripatouilleurs » se trouvent – trois fois hélas – quelques membres du clergé ! En 1833 un éditeur avignonnais se vante même« d’emprunter les airs de chansons populaires pour enrichir les Cantiques divins » ! Certaines de ces mélodies niaises ont étrangement résisté au motu proprio de saint Pie X, et on en trouve encore dans quelques carnets de chants.
Cette situation ne fit qu’empirer avec les guerres de 1870 et les deux guerres mondiales. Par l’effet d’un patriotisme décuplé, la musique militaire fit son entrée dans le répertoires des cantiques populaires. Ce fut, sans aucun doute, la goutte qui contribua à faire déborder le vase…
Dans les années 60, le progressisme ne fit qu’une bouchée de ce répertoire pétri d’une musique profane creuse et empoussiérée. Les nouveaux compositeurs, affichant une « sureté de goût » prétentieuse, déversèrent un torrent impétueux de compositions modernes bien pires encore : bien plus décadentes au plan musical, elle remplaçaient surtout la foi catholique par un anthropocentrisme catastrophique.
La fin de cette décadence abyssale fut stoppée par un répertoire nouveau surgi des années 90, avec les chants de l’Emmanuel et autres communautés charismatiques, dont les textes se veulent éminemment spirituels, et y parviennent souvent. Malheureusement les mélodies et harmonisations sont invariablement issues de tablatures de guitare, et les adaptations en polyphonie vocale dénotent un vide abyssal en matière d’écriture pour chœur. Mais le pire de tout est sans doute la disparition complète de la science du « mouvement », avec cette écriture systématiquement syllabique et cette pulsion qui descend vers la bas (!) à tous les temps forts de la mesure…
Nous sommes désormais loin de ces chants populaires anciens qui portaient en eux d’excellents principes musicaux. De ce point de vue, nous sommes certainement, au XXIe s., encore moins évolués que les paysans du XVIIe s., qui savaient faire naître des mélodies pétries d’une modalité en qui tout homme ressent le fondement de l’harmonie universelle.
Pour continuer sur le sujet :
– CHANT D’EGLISE, CHANT D’ENNUI (par G. Delahaye)
– CANTIQUE BRETON, OUTIL DE NOUVELLE EVANGELISATION (par Y. Caouissin)
– SALUD DEOC’H ILIZ MA FARROUZ (par E. Caouissin)
Au sujet de ce texte « Lu sur Una Voce » :
1 Il n’est pas signé
2 Il est péremptoire et n’admet, sans doute pas, la réplique
3 Son auteur doit avoir un ego sur-dimensionné
4 Qu’il produise lui-même des chants qui puissent devenir populaires et nous croirons (peut-être!) en lui