Saints bretons à découvrir

« La force des musiques celtiques, c’est leur renouvellement continu »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 4 min

ENTRETIEN Jusqu’au 12 août, la 48e édition du Festival Interceltique de Lorient se tient en Bretagne. Son succès ne se dément jamais, entre spectacles de danses bretonnes, concours de Bagadoù et Nuits Interceltiques. L’ethnomusicologue Yves Defrance, enseignant à l’Université de Rennes, décrypte dans LA CROIX les raisons de ce succès. C’est un peu court, mais on vous le partage ici.

La Croix : Quelles sont les principales caractéristiques de la musique celtique ?

Yves Defrance : Premièrement, il ne faut pas parler de « la » musique celtique, mais « des » musiques des pays celtiques, sachant qu’elles proviennent d’Irlande, d’Écosse, du Pays de Galles ou de Bretagne. Néanmoins, il est possible d’identifier de grands points communs. Une des premières particularités : la tradition orale. En effet, le bouche-à-oreille est à l’origine de la transmission de ces musiques, qui perdure depuis le Moyen-Âge au moins, avec quelques rares chants attestés comme remontant à une période pré-chrétienne. D’ailleurs, les modes (la répartition des intervalles entre les notes d’une gamme) des musiques celtiques ressemblent à ceux des chants liturgiques grégoriens.

La deuxième similitude se trouve dans les langues, qui appartiennent toutes à la famille des langues celtiques. Le gaélique et le gallois sont officiellement reconnus, le breton ne l’est pas. Enfin, et c’est peut-être le plus évident, si l’on peut parler des musiques celtiques, c’est bien parce qu’elles relèvent de sensibilités musicales communes. Par exemple : le goût pour la danse, la cornemuse et les Bagadoù, ces orchestres typiques. Les concours de Bagadoù en Bretagne sont d’ailleurs à l’origine du festival de Lorient.

Comment expliquer le succès des musiques des pays celtiques, que l’on remarque particulièrement à Lorient ?

Y. D. : Ces musiques sont très conviviales et festives : elles rassemblent facilement. Les danses bretonnes ont même été reconnues comme patrimoine mondial immatériel de l’humanité à l’Unesco ! Mais, ce qui fait la plus grande force des musiques des pays celtiques, ce sont leur renouvellement continu. Tout en restant ancrées dans la tradition, elles se sont ouvertes aux musiques actuelles, n’hésitant pas à emprunter des instruments (percussions d’Afrique), des rythmes (Balkans, Caraïbes, Afrique du Nord), et des thèmes mélodiques (pop rock). D’ailleurs, la folk song américaine, incarnée par Bob Dylan, et la country ont été impulsées par des migrants d’Écosse, d’Irlande et du Pays de Galles.

NOTE D’AR GEDOUR : ces musiques ne sont pas simplement festives et conviviales. Prenons le cas des Gwerzioù (complaintes) ou du pibroc’h (piobaireachd). Ce dernier style n’est pas sans rappeler le grégorien, comme le souligne à juste titre Yves Defrance. Mais les gwerzioù comme les piobaireachd ou encore les diverses complaintes des pays celtes ont cette similitude musicale capable de vous parler au-delà de la langue. Le thème musical d’un piobaireachd est souvent composé depuis un air très simple dont certains n’utilisent que 4 notes, thème racontant un événement, chantant les louanges d’un haut personnage ou pleurant un fait tragique. On peut établir un parallèle avec les gwerzioù bretonnes sans aucun problème.

Ces musiques se sont donc nourries de l’extérieur, à l’image d’Alan Stivell, qui fut le premier à jouer sur des scènes internationales dans les années 1970. Enfin, ce succès peut s’expliquer par une grande accessibilité. Un groupe ne voit aucun inconvénient à intégrer à la fois en son sein des grands professionnels et des débutants. En Bretagne, 20 000 amateurs pratiquent le Bagad, les écoles de musique et de danse étant gratuites. Côté spectateur, le plus important est de participer, d’où la constante possibilité de danser au moins une fois lors des Fest-Noz, sans avoir besoin d’être un expert, loin de là !

Quel lien peut-on établir entre musiques celtiques et culture bretonne ?

Y. D. : La musique faisait partie de la vie quotidienne des Bretons. Elle soutenait le moral des travailleurs dans les champs, accompagnait les voyages des marins, et participait à la fraternité. Pour l’anecdote, lorsque les paysans devaient aplatir un sol, il arrivait que tout le monde dansât dessus pour les aider… Et si les musiciens venaient à manquer, pas de problème, il suffisait de chanter pour accompagner la danse !

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2 Commentaires

  1. Louis-Marie SALAÜN

    Dans l’ensemble, un bon article. Néanmoins il est plus que nécessaire de corriger certaines erreures et de mettre les choses au point.

    D’abord le titre de l’article : non, la force de la musique bretonne, (comme de toute musique traditionnelle attachée à un terroir, un territoire voir un pays) n’est pas de se renouveler mais de se continuer sans vieillir, sans perdre de sa vitalité.

    Dans certains esprits, renouveler pourrais signifier changer or, la musique bretonne ne doit ni changer ni évoluer, elle doit continuer. Continuer en restant le plus possible fidèle au style et à l’esprit de la musique des anciens. Sinon il est trompeur de parler de musique traditionnelle. On devrait plutôt parler de « nouvelle musique bretonne » ou « musique bretonne actuelle ». Reste à savoir ce que l’on veut : continuer et transmettre fidèlement l’héritage des anciens ou créer une nouvelle musique qui s’inspire vaguement de la tradition multiséculaire?

    Une des maladies (et pas des moindres hélas) de la musique bretonne actuelle est de sombrer dans « l’ouverture culturelle et musicale », la noyant dans une pseudo catégorie « Word music », sorte de fourre-tout exotique. Tout cela au nom d’un multiculturalisme, d’une ouverture au Monde qui n’a aucun sens.

    La musique bretonne profane ou sacrée nourrie de plusieurs siècles de mélodies et de textes se suffit à elle-même et n’a pas besoin d’aller chercher dans d’autres « cultures » ce qu’elle a largement chez Elle.

    Cette manie du métissage de la musique bretonne très chère à tous les artistes bobo-gaucho, contribue hélas depuis des années à détruire profondément son caractère intrinsèque et son identité telle que nous l’ont légués nos anciens.

    Cela ne l’empêche pas d’enrichir son répertoire comme elle le fait depuis des siècles avec de nouveaux airs, de nouveaux textes. Mais enrichir son répertoire tout en restant fidèle aux fondamentaux de la musique bretonne : caractère modal et simplicité des mélodies, caractère poétique du texte (surtout pour la gwerz) en s’inspirant d’abord de la musique et des textes anciens.

    Quand on entend aujourd’hui les compositions nouvelles des bagadoù, de certains groupes de fest-noz ou chanteurs; compositions assez éloignées des sonorités de la musique bretonne trad. on peut se demander si ces compositions qui sonnent tantôt jazz, tantôt électro,, tantot rap, tantôt bossa-nova ou autres meritent le titre de musique bretonne…

    Les bagadoù, les groupes de fest-noz et les chanteurs bretons ont-ils donc depuis 50 ans joués ou chantés les milliers d’airs bretons traditionnels du Moyen-Âge au début 20eme. Ont-ils donc ainsi « raclés les fonds de tiroir » et épuisé l’ensemble du répertoire traditionnel breton qui s’est constitué depuis des siècles, pour qu’ils se croient obligés de faire des compositions nouvelles dont encore fois les airs sonnent peu « breton » la plupart du temps ?

    • Je suis tout à fait d’accord avec ce commentaire. Ce désir de toujours plus de métissage musical dénature la musique bretonne.

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