En ce jour de la fête de saint Gildas de Rhuys, voici la magnifique et mystérieuse prière qu’il a écrite : la Lorica (en latin : cuirasse). C’est une prière de protection sur le modèle des incantations druidiques qui s’inspire de celle de saint Patrice. Le Prologue revendique d’ailleurs cette filiation en citant saint Patrice.
Le texte original latin est très étrange et déroutant, à l’instar du latin qui était écrit au Haut Moyen Age dans les scriptoria irlandais et bretons ; qualifié de latin « hibernique » , il se caractérise par des structures de phrases assez complexes, des emprunts au grec, voire au syriaque. Non qu’ils ne connussent le latin classique : ils sont à l’origine de la préservation d’une bonne partie de la littérature latine et du savoir antique. C’était pour ces moines comme un exercice littéraire adapté à leur mentalité celte teintée de merveilleux.
À l’époque de la renaissance carolingienne au VIIème et IXème siècle, l’empire franc imposa aux monastère bretons en même temps que la règle bénédictine un style littéraire plus classique.
Toutefois, en plein IXème siècle, on trouve encore de vieux moines bretons qui font de la résistance passive en continuant à écrire à l’ancienne mode.
Les plus anciens manuscrits contenant la Lorica datent du VIIIème siècle et proviennent de monastères anglo-saxons de la frontière avec le Pays de Galles. Signe que même s’ils étaient ennemis, Bretons et Anglo-Saxons entretenaient des relations par le biais des monastères.
Des historiens débattent quant à savoir s’il y a un ou deux Gildas. La Lorica est un indice qui fait pencher en faveur de cette dernière hypothèse. En effet, l’auteur du De exidio et conquestu Britanniae (à propos de la ruine et de la conquête de la Bretagne) était un breton romanisé du sud de l’île et écrivait lui un latin très classique et aurait sans doute été horrifié par le latin de son homonyme. Il se considérait d’ailleurs comme « Britannien » et non comme « Britto ».
C’est lui que l’on surnomme « saint Gildas le sage », l’auteur de la Lorica et l’abbé de Rhuys étant quant à lui surnommé « le Breton » ou « l’Armoricain », (en Anglais, Gildas the Briton) même si originaire de la frontière avec l’Écosse.
À ce sujet, voir l’article de notre regretté collaborateur Alan Raude.
Le texte lui-même commence par un prologue qui explique la provenance de la Lorica, ses vertus protectrices contre les assauts des démons, son transfert en Irlande par Laidcend Mac Baíth Bandaig moine-poête irlandais du VIIème siècle. S’ensuit l’explication de la versification qui au passage est assez rare : des vers de 11 pieds, dits hendécasyllabiques.
La première partie invoque la protection de la Trinité, du Christ, des Anges, et des saints, on reconnaît une forte parenté avec la Lorica de saint Patrice.
Puis la seconde partie est plus singulière : elle détaille toutes les parties de l’anatomie humaine pour demander à Dieu leur protection.
C’est donc non seulement une prière mais un précieux témoignage du vocabulaire anatomique du Haut Moyen Âge.
Pour ceux qui lisent l’anglais : voici (en cliquant sur ce lien) une étude très complète publiée en 1919 dans le bulletin de la Royal society of medicine britannique par Charles Singer, éminent historien spécialiste de l’histoire des sciences, de la technologie et de la médecine
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Lorica Gildæ
Prière-cuirasse de saint Gildas le Breton, abbé de Rhuys
Traduction Uisant Er Rouz (DR)
Erratum : au lieu de lire « latin scottique », lire « latin hibernique » (en latin, Irlande se dit Hibernia)
Pour accéder au texte de l’article en anglais, faire copier-coller le lien souligné dans un nouvel onglet, cela ne fonctionne pas quand on clique dessus.
J’ai lu avec beaucoup de respect et recueillement ce « poème » de Saint Gildas ! Merci de nous l’avoir communiqué. Je me permets de » l’enregistrer » pour le relire de temps en temps. Merci Merci.
Bonjour,
Merci pour cet article.
Où puis-je trouver le texte original en latin s’il vous plaît ? Quelle est votre source ?
Un grand merci d’avance,
Juliette
Vous trouverez des réponses à votre question ci-dessous. Si vous avez d’autres questions, je suis à votre disposition
Demat deoc’h,
J’ai pris comme base le texte établi par le docteur Charles Singer (1876-1960) médecin militiare et zoologue britannique, historien érudit, spécialiste de l’histoire de la médecine, professeur de médecine, docteur en littérature à Oxford, qui fut longtemps président de la Royal society of medicine. Son épouse, historienne de la période médiévale, lui a té très précieuse ans ses travaux sur l’histoire de la médecine.
Voici le lien de la traduction de sa biographie qui est très riche : Un érudit complet comme l’Angleterre victorienne en a beaucoup engendré.
oghttps://en-m-wikipedia-org.translate.goog/wiki/Charles_Singer?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=scf medicine
Si vous lisez un peu l’anglais, j’ai mis en lien ci-dessus son article très complet dans le bulletin de la Royal society en date de 1919. Le Dr Singer a confronté différents manuscrits médiévaux et son texte établi se retrouve à la P. 136. J’ai repris le texte de Singer en le traduisant directement du latin tout en m’aidant de la Traduction anglaise de Singer.