Saints bretons à découvrir

Le Kabig, l’identité bretonne d’un vêtement du quotidien

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

Aujourd’hui, le Kabig est un vêtement typiquement breton bien oublié, passé de mode et cela est bien dommage. Néanmoins, il n’a pas totalement disparu. Il garde encore des fidèles, et d’autres le découvrent.  Il y eu toute une génération Kabig qui le porta avec fierté,  parce qu’il était pratique, parce qu’il contribuait à affirmer, dans les années d’après-guerre, une identité bretonne en pleine renaissance, et qui dans ce temps ne pouvait qu’investir le seul terrain culturel.

La Coop Breizh a eu l’heureuse initiative d’en éditer l’histoire (1),  contée avec clarté et bien documentée par trois auteurs : Pascal Aumasson, Yannik Bigouin et Gwenaël Le Berre. Ainsi,  vous saurez à peu près tout sur ce vêtement emblématique qui connut son apogée dans les années 50 et 60. Nous laissons au lecteur intéressé le soin de découvrir ce vêtement de travail qui avait toute les qualités : solidité, protection, élégance, originalité qui s’inspirait des vareuses des pêcheurs de Kerlouan du Pays Pagan.

Le kabig apparaît dans les années 1845-1850 sur le littoral nord-Finistère : c’est un manteau trois-quarts avec capuche, muni d’une poche ventrale, porté par les goémoniers du Pays pagan pour se protéger des intempéries. Mais avec l’arrivée du chemin de fer, toute une société de villégiateurs au train de vie confortable manifeste son admiration pour ce vêtement pratique, qui devient progressivement un vêtement pour tous, hommes, femmes, enfants.

Modernisé par le dessinateur ethnologue René-Yves Creston et le tailleur quimpérois Marc Le Berre en 1937, le kabig est désormais de toutes les couleurs alors qu’à l’origine, il était uniquement blanc ou bleu marine. Couturières et tailleurs le confectionnaient à partir d’un textile provenant vraisemblablement de… la Drôme, et la maison Le Minor, à Pont-l’Abbé, en fut un des principaux fabricants.

C’est à la faveur de sources encore inédites (témoignages, fonds photographiques…) que les auteurs nous proposent donc de redécouvrir l’extraordinaire aventure de ce vêtement définitivement inscrit dans le patrimoine culturel breton. Il continue d’être fabriqué aujourd’hui et est l’une des rares tenues d’origine maritime à avoir été adoptée bien au-delà de son territoire d’origine.

Loin de rester un simple vêtement de travail, le Kabig fut la preuve qu’une mode bretonne pouvait dans notre monde moderne s’inspirer des costumes bretons ; que tradition et modernité n’étaient pas incompatibles. Taillé dans du fort tissu de bure, sa singularité tiendra dans son encolure, ses poches, surtout la centrale qui permettait de mettre  les mains façon …Napoléon, aux épaulettes crantées, l’ensemble agrémenté de surpiqûres, parfois de couleurs. La fermeture faite de rangées de boutons-cigares soulignait encore sa spécificité. La capuche bien proportionnée lui donnait une élégance toute bénédictine. Le Kabig se déclinera en bleu-marine ou en blanc, mais on en verra aussi – plus rarement – en jaune et en noir.  Si une telle mode avait été suivie et développée, notre jeunesse bretonne ne porterait peut être pas aujourd’hui ces inélégants sweat à capuches qui donnent à ceux qui le portent des airs de zombies clonés et peu rassurants.

 

SI L’HABIT NE FAIT PAS LE MOINE, LE KABIG SEMBLAIT FAIRE LE BRETON …

Perig Géraud-Keraod, fondateur des Scouts Bleimor, portant le kabig (1966, archives Y. Caouissin – DR)

Le Kabig eu du succès en Bretagne, mais sans doute plus encore dans la diaspora bretonne,  car celui qui le portait, portait aussi avec lui une identité bretonne qui s’affichait. Les exemples sont multiples : citons en néanmoins quelques emblématiques comme les scouts et guides Bleimor qui l’adoptèrent comme vêtement idéal pour les camps, tant sa solidité et son imperméabilité assuraient une efficace protection lors des soirées feux de camps ; il fut un uniforme sur l’uniforme traditionnel scout.

ADD du 1/11/20 : un lecteur nous a ajouté que les Guides de France l’adoptèrent comme manteau d’uniforme ente 1960 et 1965. « Est-ce un leg non prévu des guides Bleimor? » interroge-t-il.

Le Kabig fut aussi « l’uniforme » de l’équipe cinématographique Brittia-Films lors des tournages (Mystère du Folgoët, Enfance de Botrel et autres productions). Dans le staff se trouvait alors un inconnu, un certain Emile Le Scanff qui, quelques années plus tard deviendra célèbre sous le nom de Glenmor, dont la grande silhouette en kabig dépassait celle des autres membres. De même, lors du tournage du film « Dieu a besoin des hommes » de Jean Delannoy, Herry Caouissin qui en sera le conseiller, fera habiller l’équipe technique et les figurants d’un Kabig. L’acteur Pierre Fresnay et Madeleine Robinson l’adopteront et le porteront régulièrement. Je me souviens encore de la venue du premier chez nous vêtu ainsi du kab an aod, le vêtement de grève.

Les cercles celtiques et les bagadoù l’adoptèrent également pour les mêmes raisons que les Bleimor. Chaque année, au mois de mai pour la Saint Yves qui se déroulait aux arènes de Lutèce de Paris, c’était comme un festival du Kabig. Rares étaient les militants qui ne le portaient pas. Les moines de Landévennec séduits par le Kabig, l’adoptèrent et abandonneront  leur habit traditionnel pour une tenue au goût du jour.

Dans les années 1970, le kabig devient un symbole de l’identité bretonne et rencontre un succès considérable auprès de la jeunesse. Des créateurs de mode parisiens s’en emparent, lui redonnant une nouvelle jeunesse dans les années 1980.

Ce livre digne d’intérêt a le mérite de relater un pan de notre culture et d’initiatives tombées dans l’oubli, prouvant que les anciens savaient, tout en restant fidèle à des traditions, à l’esprit breton, celtique, être de leur temps. Nous regretterons cependant quelques lacunes historiques. En dehors de l’association des Seiz Breur citée, il a été omis, sans doute par ignorance, les travaux effectués par l’Atelier Breton d’Art Chrétien « An Droellenn » ( La Spirale)  de James Bouillé ou encore l’association Giz ar Vro  (pour la rénovation du costume breton et de la mode celto-bretonne) de Herry et Ronan Caouissin, qui contribuèrent dans les années 1935 à lancer une mode vestimentaire authentiquement bretonne pour la vie quotidienne. Elles ne sont pas étrangères  à ces renouveaux, dont le Kabig est une évolution organique. A noter que ces trois ateliers  eurent, entre autres, les mêmes  tailleur et brodeur, les Quimpérois Marc Le Berre et Jacques Le Minor. Le barde Fañch Stéphan, fils de tailleur, avec la Comtesse de Planhol contribueront beaucoup à lancer cette mode « Giz ar Vro ».  Monseigneur Duparc inquiet,  comme bien d’autres, de la disparition des costumes bretons et de la séduction de la jeunesse pour les modes de Paris qui, disait-il, la rendait grotesque et vulgaire, approuvera ces initiatives. C’est la guerre qui brisa net les travaux de ces deux associations travaillant avec les Seiz Breur, dont d’ailleurs les responsables étaient aussi membres.

Moi-même j’ai appartenu à cette génération Kabig, en étant scout Bleimor, en participant aux tournages des films de mon père,  en le portant à l’école, et en bien d’autres occasions comme lors de sorties équestres, et ce,  jusqu’à l’orée des années soixante-dix. De même, mon épouse, sa famille comme bien d’autres familles bretonnes, toutes générations confondues, ont été des fidèles du Kabig.

  • KABIG, le destin d’un habit de grèves, éditions Coop-Breizh. 22 euros.

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À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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3 Commentaires

  1. Peut-on ajouter à l’attention de lecteurs lointains de la langue que « Kabig » se prononce Kabik (g dur en finale en breton), et devient « Kabigoù » au pluriel avec le g habituel (« -gou » comme dans « goût », et parfois légèrement diphtongué)?

    Plus important encore – j’ai moi-même appartenu à la génération kabig – il me semble que le « kabig » s’affichât d’une certaine manière comme un substitut à la langue non reçue… Dans les milieux culturels urbains, il exprimait, à la vue de tous, ce qui ne pouvait être transmis de façon sonore, puisque beaucoup de ceux qui le portaient ne pouvaient s’exprimer dans la langue. De sorte que le kabig – sans généraliser toutefois – fut à la fois un instrument d’affirmation d’identité et un aveu, de fait, de la perte d’identité. En matière d’habillement – T-shirts et autres -, les choses ont-elles changé aujourd’hui? Rien ne remplace vraiment la langue (au moins de bonnes notions) , qui – définitivement, comme diraient nos amis britanniques – est la véritable parure de la Bretagne…

    Merci enfin pour la photo d’archives. Toute une époque….

    Din-me, gwellañ tra zo eo gwiskañ ar yezh hag ober ganti ingal a-walc’h ha n’eo ket gwiskañ ur chupenn pe ur c’hab bennak, ken brav e vefe….N’on ket sur ez eo ar c’habig hag a ra ar Breton, ar yezh avat ne lavaran ket 🙂

    • dès la petite enfance, avant 5 ans, notre mère nous habillait avec un kabig et nous habitions le Pays de Retz au sud-ouest de Nantes. J’ai fait de même avec mes enfants. Mes petits-enfants ont aussi porté le kabig.

  2. Habitant Kerlouan où ma grand-mère était couturière, elle a commencé à fabriquer des kabig pour la famille, mais, devant le succès, elle fut débordée de demandes et n’arrêtait plus d’en coudre. Par contre, à Kerlouan, on disait kaPig, il est vrai qu’en Breton, le b et le p sont proches, (histoire de nasalisation ?). Moi-même j’en ai en porté pendant une quinzaine d’années à l’époque du revival Breton, avec des sabots en dessus de cuir : Les marchands de chaussures et de manteaux n’ont pas fait fortune avec moi pendant un bout de temps.

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