Le maquis du Père Jérôme

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

Dans son livre-résumé qu’il a intitulé « Tisons » publié par les Editions Ad Solem en 2015, le Père Jérôme reprend, pages 136 à 142, un texte qu’il a écrit en 1958 aux termes desquels il explique ce qu’est le maquis et la nécessité d’y recourir.

« Actuellement, dans les ordres religieux, en France, à en juger par de nombreux contacts, les conditions sont telles que le religieux qui veut réaliser en pleine vérité sa vocation n’a qu’une solution : prendre le maquis. »

Plus fort que Rod Dreher qui, pour « rester chrétien dans un monde qui ne l’est plus », nous invite à relever « le défi bénédictin », Le Père Jérôme, moine cistercien, au sein de son monastère, prend le maquis !

« Dans un monastère, l’existence d’un maquis n’est-elle pas une réponse donnée par Dieu à l’abus du communautaire qui est le dada de notre époque ? Car chez les moines eux-mêmes se sont infiltrées les notions de « social », de « communautaire », « d’équipe », de « partage ».
Et Dieu permet la stérilité de ces orientations. Jamais peut être on a vu aussi nettement que l’union avec Dieu n’est pas affaire de groupe, de bavardage, ni même d’institution.
L’union à Dieu n’est reçue que par des personnes très séparées. Leur « petit troupeau » ne fait une communauté, ou plutôt une famille, que dans le Cœur de Notre Seigneur, et sous le regard attentif du Père. »

On ne peut, en effet, mieux ramer à contre-courant. Alors quand faut-il prendre le maquis ?

« Un maquis se crée spontanément dans les monastères où le temporel prend trop d’importance…. Quand les emplois se développent et compliquent la vie conventuelle…
L’excès dans l’érudition, le bavardage théologique, ou patristique, ou historique ; l’excès dans la liturgie, quand celle-ci tourne à la manie creuse, provoquent également l’apparition d’un maquis.
Le maquis est une réaction contre tout gaspillage : gaspillage des personnes, des temps libres, de l’idéal, de l’héritage commun, des possibilités offertes à chacun par la grâce. »

Un maquis est composé de maquisards, de résistants, mais qui sont-ils vraiment et comment les reconnaitre ?

« Le maquisard ne lutte pas contre l’autorité, ni ne s’exclut de la communauté (…) Sans rompre le contact ni la subordination légitime, c’est au sein même du pays que le maquisard disparait »

« Le maquisard ne lutte pas contre l’ordre établi (…) cet ordre est trop massif et trop lourd ; mais il s’en sert. En effet, l’ordre établi le couvre. Il vaut mieux que l’organisation demeure et que le train-train continue. »

« Celui qui prend le maquis opère seul. Il n’est responsable que de sa propre fidélité. Il sait qu’il n’est pas en son pouvoir de provoquer des vocations de partisan. »

« Agir seul ; tenir son poste ; et laisser aux mains de Dieu l’extension du « mouvement ».

« Le maquisard cherche Dieu, c’est-à-dire la grâce que Dieu offre et donne, la divine grâce qui est vie et force venant de Dieu seul, jamais produite par l’institution. »

« Le maquisard cherche l’union contemplative avec Dieu, et selon l’aspect le plus gratuit de celle-ci, en ce qu’elle défie toute fabrication humaine. »

On n’est évidemment pas tout seul dans le maquis : « pour aider de façon permanente les autres maquisards, il n’existe donc que la fidélité personnelle, avec son apparence d’isolement. Les autres maquisards sauront tout de même que, derrière tel rocher, je tiens le poste et garde le secteur. Ils peuvent ne pas me voir ; ils connaissent de loin ma fidélité, et cela suffit à soutenir leur propre action. »

Et voici les consignes :

« Car spirituels sont les buts du maquisard : diffuser un esprit, pour sauver une qualité de vie.
C’est pourquoi : éviter tout conflit, toute controverse parce qu’ils feraient dévier les buts de leur pureté et parce qu’ils rendraient précaires les conditions de la vie intérieure. Et aussi pour garantir le désintéressement personnel, si indispensable. Et encore pour éviter que les puissances établies, ayant connaissance de l’action du maquis, ne veuillent la prendre à leur compte, ce qui la rendrait inefficace.
Etre insaisissable, c’est donc le premier impératif du maquis. »

On prend, en effet, le maquis dans une perspective bien précise :

« C’est dans le but de mettre les grâces d’intimité à l’abri des entreprises humaines que Dieu inspire à ses vrais amis de se cacher dans le maquis. »

« Dieu est jaloux de mettre son intimité à l’abri de ceux qui, alléchés par l’excellence de la contemplation, veulent se faire eux-mêmes contemplatifs, sans dépendre de la grâce. Dieu échappe à leur avidité et à leur impatience. Et il inspire à ses vrais intimes de taire les grâces reçues, de ne pas révéler à tout venant les voies de la vie intérieure ni la doctrine des grands mystiques. Le maquis est donc une nécessité, surtout pour défendre la vie contemplative contre ses faux amis. »

« Le maquisard n’est point un jaloux. Quand on a subtilisé pour soi le droit d’ainesse, quand on est entré comme en fraude dans la bénédiction que se transmettent les grands amis de Dieu, on laisse volontiers à d’autres le plat de lentilles »

On se rappelle qu’Esaü, le chasseur, le préféré de son père Isaac amateur de gibier, a vendu pour un plat de lentilles son droit d’ainesse dont il ne faisait que peu de cas (Gn 25, 34) à son frère jumeau Jacob, le préféré de Rébecca, leur mère. Esaü est alors taxé par saint Paul d’«impudique et profanateur » et c’est pour ce motif et non à cause de la ruse de Jacob qu’il n’a pas obtenu la bénédiction de leur père vieillissant (lettre aux Hébreux, 12, 16).

En définitive, le maquisard n’est « ni réformateur, ni novateur ; seulement prophète de biens immuables qui sont présentement méconnus, et précurseur de valeurs très anciennes, qui ne seront comprise que vingt ans après lui »

Voire même plus et prendre le maquis reste bien encore de nos jours une nécessité vitale, voire même un impératif pour tout chrétien que le baptême a fait, irrémédiablement, prêtre, prophète et roi.

Je me demande, par ailleurs, si « maquisard » ne pourrait pas se traduire en breton, par « gedour » ?

Je suis le grand Veilleur debout sur la tranchée.
Je sais ce que je suis et je sais ce que je fais :
L’âme de l’Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs,
C’est toute la beauté du Monde que je garde cette nuit. (Yann-Ber Calloc’h, 1888-1917, « Ar an deulin »)

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. Belle plume: mais cela est cependant osé de mettre Yann Bec’h Calloc’h, Dieu et le maquis sur le même pied. En effet, très peu de maquisards étaient pour la Bretagne. Beaucoup d’autres étaient communistes et donc, à l’époque, antichrétiens…..Il y a à mon sens un amalgame car, maquis ou pas, un des commandement de Dieu est “tu ne tueras pas”.
    S’il y a eu de bons maquisards, car l’heure était à la lutte, malheureusement, il y a eu aussi des criminels tel l’assassin de l’abbé Perrot

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