Bretagne en 3D et Ar Gedour sont heureux de vous présenter ci-dessous en avant-goût d’un travail plus important à découvrir bientôt sur Ar Gedour : une découverte d’un panorama à 360° des anges musiciens de l’église de Kernascléden. Cet édifice est une ancienne chapelle tréviale qui fut fondée par la famille des Rohan-Guéméné sur leur domaine. Le 13 mai 1430, le pape Martin V autorisa Alain IX de Rohan à y installer deux chapelains perpétuels « pour y célébrer le culte divin et y recevoir les pauvres passants ». Il est probable que la construction fut commencée légèrement avant cette date, du temps d’Alain VIII et de Béatrice de Clisson. La nef fut construite alors ainsi que le transept dont la voûte de la croisée dut être terminée en 1433. Vous pouvez en savoir plus via ce lien.
Cette superbe église du XVème siècle dont nous vous entretenons régulièrement, eu égard à notre proximité de coeur avec ce lieu, possède des fresques magnifiques, dont des fresques d’anges musiciens et d’apôtres recouvrant les voûtes de la nef et du chœur. La fresque des anges musiciens se trouve au-dessus d’une chapelle latérale, et les voix des chanteurs elles-mêmes sont portées sous ces créatures célestes. Ces dernières portent des rouleaux sur lesquels on peut apercevoir les éléments musicaux qui composent ce qui sera appelé la messe de Kernascléden, que vous pouvez retrouver sur ce lien.
Pour cette visite, nous vous proposons d’écouter en même temps cette messe, interprétée par l’Ensemble Cortolea.
Vous pourrez bientôt retrouver, en partenariat avec Bretagne en 3D, une visite virtuelle interactive de ce joyau du gothique flamboyant breton.
En attendant, nous vous livrons ci-dessous un document d’André Mussat, mis en avant dans un très bon article de Jean-Yves Cordier consacré à cette église sur son blog.
« Le Congrès archéologique de Cornouaille en 1957 publia une notice de P. Deschamps sur Kernascleden essentiellement consacrée à l’iconographie des célèbres fresques, sur lesquelles le peintre Maurice Denis avait en 1910 dit son émerveillement (Théories, p. 125). L’étude stylistique reste à faire, mais Mme Ursula Günther, professeur de musicologie à l’Université de Göttingen, a apporté récemment des éléments très nouveaux sur lesquels il convient de revenir. Rappelons d’abord que cette chapelle tréviale (aujourd’hui église paroissiale) est une fondation de la famille des Rohan sur les terres desquels elle se trouve, exactement dans le domaine des Rohan-Guéméné et dans l’ancien diocèse de Vannes (contrairement à ce que le Congrès de Cornouaille pourrait faire croire). En 1430, le pape Martin V autorisa Alain IX de Rohan à y installer des chapelains. A la clef de la croisée du transept figurent les armes du duc Jean V et son épouse Jeanne de France (f 1433). Le chœur fut construit ou reconstruit en 1453 et voûté d’ogives en 1464 d’après une inscription encore en place, que confirment les clefs aux armes du duc et des Rohan, Louis II de Rohan- Guéméné et Jean II de Rohan, vicomte du Porhoët.
« Les peintures murales se trouvent à la voûte du transept nord et aux murs du transept sud ainsi qu’à la voûte du chœur. Les thèmes sont le Paradis, représenté par des anges musiciens, l’Enfer et la Danse macabre ; dans le chœur, la Vie de la Vierge et aux tympans, entre grandes arcades et formerets de la voûte centrale, la Passion du Christ. P. Deschamps ne proposait point de datation et s’en tenait à ce que les textes et l’inscription laissaient entrevoir. Il remarquait seulement « Les peintures de la voûte du bras nord du transept durent être exécutés après celles du chœur puisqu’elles constituent la suite du récit ». Or, Mme Günther apporte des repères nouveaux fort intéressants. C’est la regrettée Geneviève Thibault qui en 1970-1971 ouvrit le dossier. En 1976, notre collègue de Göttingen put le reprendre. Il s’agissait, comme cela avait été fait à l’oratoire du château des d’Harcourt à Montreuil-Bellay, dans le Saumurois, d’identifier la musique que chantaient les anges du transept nord. Une savante analyse aboutit à des conclusions précises : il s’agit de musique espagnole. Dans chaque voûtain, deux anges : l’un tient un instrument de musique et l’autre, un rouleau sur lesquels se lisent le début d’un Sanctus, d’un Agnus Dei ; un Et in terra évoque le Gloria, et Patrem le Credo. La comparaison de ces textes, de leurs modes de notation permet de dire qu’il s’agit d’une messe complète d’origine espagnole ou avignonnaise. Elle est proche en effet de textes aragonais connus aussi à Avignon (le pape Benoît XIII, en 1394, était un cardinal aragonais). Même si le chant de toutes les parties n’est pas indiqué, il semble que la messe soit une messe à trois voix, le peintre gêné par le manque d’espace étant passé d’une partie à l’autre. Mme Günther fait alors remarquer que « vers 1470 le style musical vivant à peu près entre 1370 et 1410 a été dépassé. La notation noire et le répertoire du xive siècle disparaissent déjà en 1430. » Elle est extrêmement rare dans les œuvres d’art de la seconde moitié du siècle, ce qui tendrait à admettre que ces peintures ont été exécutées peu après l’érection du transept dans les années 1430.
« Comment expliquer cette origine aragonaise ? Notre collègue retient deux hypothèses. D’abord, la venue dans le Vannetais en 1417-1419 du dominicain espagnol Vincent Ferrier protégé de Benoît XIII, mort à Vannes après une prédication pleine de violence infernale qui remua les foules bretonnes comme elle l’avait fait dans la Catalogne troublée de ce temps. Vincent fut enterré dans la cathédrale de Vannes, où vint le rejoindre à sa demande en 1433 la duchesse Jeanne de France. Le duc envoya à Rome un procureur pour obtenir la canonisation du dominicain. La présence de ce dernier en 1418 à Josselin et Guémené, dans les 13**terres des Kohan, est attestée. Mme Günther remarque que les thèmes de la Danse macabre, de l’Enfer et du Paradis musical « correspondent parfaitement à, la pensée de Vincent Ferrier », les Dominicains ayant peu à peu abandonné à cette époque l’interdiction de 1242 de la polyphonie dans leurs offices. Notre collègue mentionne sans beaucoup la retenir, une autre hypothèse, celle des alliances des Rohan ou même du duc. Charles de Rohan-Guéméné, dont les armes sont à la clef du transept sud, était le fUs de Jean Ier de Rohan et de sa seconde épouse (1386) Jeanne de Navarre la Jeune. Le duc Jean V était le fils de la troisième femme de Jean IV, Jeanne de Navarre, fille de Charles le Mauvais. On pourrait cependant ajouter à cette remarque que Jeanne de Navarre la Jeune, était la sœur de Charles le Noble dont le mausolée fut édifié dans la cathédrale de Pampelune par un sculpteur tournaisien. R. Coufîon (Bulletin monumental, 1967, II, p. 167) l’a judicieusement comparé au cénotaphe du connétable de Clisson et de son épouse à Josselin. Les Rohan, par leurs alliances et leur rôle politique, s’inscrivent dans le mouvement artistique international. Les peintures de Kernascleden ne sont pas un fait isolé. La vie de saint Mériadec au chœur de Stival, près de Pontivy, les fresques disparues de Notre-Dame du Roncier à Josselin dans la chapelle privative de Sainte-Marguerite et dans une chapelle nord où se trouvait une Danse macabre, enfin l’étonnante découverte récente du lambris du chœur de Notre-Dame de Carmes en Neuillac avec des anges musiciens (Bulletin monumental, note B. Mouton, 1984/1, p. 95), tous les décors montrent une remarquable diversité des artistes, leurs niveaux fort différenciés, ce qui confirme les études sur Kernascleden. Je noterai enfin que le thème du Paradis musical est bien connu dans le principat breton aussi bien dans les réseaux des fenêtres flamboyantes qu’à des endroits inattendus comme, à Saint- Armel de Ploermel, cet ange au luth admirablement représenté sur l’entrait qui surplombe le sanctuaire. Les anges du chœur de Notre-Dame de Carmes chantent des musiques notées à la gloire de la Vierge.
« Les remarques musicologiques de Mme Günther obligent à une nouvelle réflexion sur la chronologie de Kernascleden. P. Deschamps avait remarqué à juste titre la ressemblance de style de la voûte du transept nord et de la scène de l’Ascension, peinte sur le tympan entre la grande arcade nord de la croisée et le formeret de la dite voûte. Cela est certain : même façon d’envelopper les silhouettes en grandes courbes liées entre elles, mêmes visages arrondis, mêmes auréoles ornées. Or cette main ne se retrouve pas dans les scènes des tympans du chœur : la manière est plus sèche, plus anguleuse dans les draperies, par exemple dans la Montée au Calvaire, la Crucifixion ou la Résurrection. Le goût de la narration pittoresque du drame est affirmé par la multiplication des détails réalistes des hommes d’armes en particulier. La technique est aussi différente puisque la Passion est peinte directement sur le mur alors que l’Ascension est exécutée sur un mortier comme la voûte proche. L’œuvre du transept nord n’est pas non plus de la main de l’artiste exceptionnel qui exécuta sur les voûtains du chœur la Vie de la Vierge. Effets de perspective, association du carrelage et de fonds architecturaux, finesse des traits de pinceau des figures et des vêtements, diversité enfin des mises en scène, tels sont les caractères d’un peintre très au courant de l’art de son temps. La finesse d’exécution n’est pas sans rappeler tel vitrail de Louvigné-de-Bais alors que la recherche de la perspective fait penser aux vitraux de Lantic (1464). Toutes ces remarques — et il en faudrait bien d’autres — confrontées à ce que nous apprend la lecture de la musique angélique amènent à se demander si le thème iconographique du Paradis, de l’Enfer et de la Danse macabre ne fermait pas un ensemble iconographique cohérent, exécuté dans les années 1440 avec d’ailleurs une extrême diversité de mains. Cette date nous rapprocherait soit du souvenir des prédications de l’Espagnol et des manuscrits qu’il aurait pu apporter, soit des alliances navarraises de Jean V et de Charles de Rohan-Guéméné. L’Ascension pourrait être considérée en soi comme l’introduction du Paradis ou bien en fragment, en rapport avec le décor du chœur antérieur à celui de 1453- 1464. Tous les problèmes ne sont certes pas résolus et ne peuvent l’être que dans une reprise d’ensemble des questions du décor peint. Mais les remarques musicologiques de Mme Ursula Günther sont capitales : exemple heureux de ce que peuvent s’apporter des lectures d’oeuvres à partir d’approches différentes. » André Mussat.
Dans le transept de gauche, à la voûte, huit anges vêtus de robes lilas, rose, vert, jaune, auréoles de vert émeraude, chantent en s’accompagnant d’instruments, viole, harpe, tympanon : quelques-uns déroulent des cahiers où le chant est écrit en belle gothique et noté en notation carrée. La couleur est tout en rapports de blancs, et de quels blancs savoureux ! avec deux ou trois valeurs fermes parmi des nuances. Dans les visages délicieusement blonds, encadrés d’une abondante chevelure, dessinés avec art, les yeux ont une importance toute française, comme chez Nattier, comme chez Renoir. La grâce des formes, la souplesse des draperies ne se peuvent décrire. Point de plis cassés, point de détails inutiles. Comme dans le plafond de l’hôtel de Jacques Cœur, qui peut-être est moins aérien, moins mystique, les ailes des anges, chargées d’ornements, contrastent à souhait avec la simplicité des figures.
Maurice Denis