Elles étaient là mais on ne les voyait pas, ces deux colonnes encadrant l’entrée de la Tossen. Azenor et Konan dominaient ainsi le visiteur de leurs treize coudées, avant que celui-ci n’entre sur ce périmètre hors du temps, sans barrières. En ce printemps bien avancé, les myosotis couvraient le sol des pétales bleutées, alternant avec l’herbe fraiche et créant un damier naturel aux couleurs délicates.
Etonnamment, les myosotis sont arrivés bien après l’installation des géants de granit, ne semblant pas gênés par l’arrivée massive des promeneurs. Nul ne s’en étonnait. Ils étaient là mais qui y prêtait attention ?
Au loin, les pierres sonnaient au son du maillet et du ciseau, offrant aux saints d’autrefois de se dégager de leur gangue lithique. Après une dernière accolade aux artistes ciseleurs, les évangélisateurs d’hier enracinés au sol de la Tossen comme des totems de granit, regardant vers le ciel, devenaient veilleurs sur l’omphalos de jadis.
Depuis des semaines, abandonnés, ils semblaient murmurer à celui qui osait les interroger. « Ne nous oubliez pas ! » suppliaient-ils. « Rappelez à la Bretagne qui nous étions. Eveillez les consciences et engagez vos pas dans nos pas. Ne nous demandez pas notre âge mais souvenez-vous pour quelle Raison nous avons traversé les siècles comme nous avons traversé les mers. Voyages à travers le brouillard en curragh ou en chevauchant les baleines, nous déployant au-delà des sept îles par nos vaisseaux de pierres et de peau ».
Peut-être l’abandon à saint Gildas, celui qui sait voir, était-elle la seule voie. Peut-être le grand silence était-il plus propice à tendre l’oreille. Car à celui qui voulait entendre, le son fossile devenait audible : « prendras-tu uniquement l’épique et la fortune ? Ou prendras-tu plutôt les fleurs d’espérance et les chardons du Roc’h Tredudon ? Prendras-tu les lignes de légendes ou percevras-tu plutôt le filigrane de l’Essentiel ? Raviveras-tu les braises qui sommeillent sous la cendre ou éteindras-tu sans mesure la flamme de renaissance, étouffée par les démons d’un monde pris dans son funeste tourbillon ? Fuiras-tu la voie métallique pour écouter enfin la voix de l’Unique ? »
Le chant des pierres aux notes minérales résonnait dans le silence de la Vallée et les pas des quelques visiteurs s’égrenaient comme une avancée initiatique à travers un livre ouvert et qui ne vieillit pas. Un ouvrage qui se dévoile comme un phare éclairant les nations à la proue du continent, nous dégageant d’un miroir anthropocentré absorbant et annihilant les lumières de l’univers qui rejaillissaient jusqu’alors sur les géants de granit.
à suivre…
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