Il existe trois types de pardons que je ne manquerai pour rien au monde : ceux de ma paroisse, ceux qui célèbrent mon saint patron et ceux dédiés à la Sainte Vierge et à sa mère.
Ma paroisse est une des plus ancienne du diocèse de Vannes, elle date d’avant les migrations bretonnes, du temps de l’occupation romaine : comme la cathédrale, siège de l’évêché, l’église d’Inzinzac est vouée à Saint Pierre et le pardon s’y célèbre le jour de sa fête, le 29 juin. Entre les foins et la moisson, il y a un petit moment de répit : nous nous réunissons à la fontaine qui alimente le lavoir et montons vers l’église en procession derrière la croix et les bannières en chantant le cantique « sant Pier hour patronez » pour la suite de l’office dominical à l’issue duquel nous partagerons le verre de l’amitié.
Notre commune d’Inzinzac-Lochrist (56650) compte trois paroisses, outre celle du bourg évoquée ci-dessus, il y a, à Penquesten, Notre Dame de Victoire célébrée le 7 octobre, anniversaire de la bataille de Lépante (1571) et là Croix Glorieuse à Lochrist dont le pardon a lieu à la mi-septembre, dans les mêmes temps que celui de Saint Symphorien qui a sa chapelle au village du même nom. Sainte Geneviève a perdu la sienne, comme Saint Eutrope, l’évêque de Saintes au III° siècle et saint Aubin, évêque d’Angers au VI° siècle, né rive gauche du Blavet qui borde l’est du territoire communal.
Je n’oublie pas le pardon de la chapelle de Langroise au bout du pont de Lochrist qui traverse le Blavet. Situé sur la commune d’Hennebont, il retrouve, début septembre, ses fastes d’antan.
Les pardons qui se succèdent à la belle saison sont indispensables à la vie paroissiale et communale ; ils permettent notamment aux familles que la vie professionnelle a dispersées de se retrouver, aux citadins de remettre leur pas dans ceux de leurs ancêtres paysans et aux estivants de découvrir un pays fier de ses traditions religieuses, heureux de partager ses racines et sa culture.
Et puis la vie communautaire, familiale comme villageoise, entraine des frictions inévitables, voire des querelles de voisinage qu’il faut savoir clore ou du moins, taire…. Une fois l’an !
C’est aussi l’occasion, ici, de chauffer le vieux four banal pour la cuisson de pain comme on n’en fait plus, là, de boire la godinette, apéritif à base de cidre qui vous fait chanter en breton quand bien même vous ne le parleriez pas, et, partout, de se procurer une barquette de flan d’avoine pour le dessert du soir.
Je suis né à Châteauroux, mais mes parents m’ont donné pour prénom celui du grand saint breton : Yves, le patron des avocats. Alors je suis devenu avocat et j’ai épousé une bretonne !
C’est au cours de notre voyage de noces que j’ai découvert Tréguier où est honoré mon saint patron de baptême et de profession. Inscrit au barreau de Châteauroux je n’ai eu de cesse que d’y conduire une délégation de mon barreau, bâtonnier en tête, pour le grand pardon du 19 mai, anniversaire de la mort de Monsieur Saint Yves à l’âge de 50 ans en 1303… J’y retourne périodiquement, particulièrement lorsque, comme cette année 2019, le 19 mai « tombe » un dimanche.
En revanche, je ne manque pas, depuis que j’ai quitté mon Berry natal il y a une vingtaine d’année, d’honorer le dimanche suivant le grand pardon de Tréguier mon saint patron à Saint Yves-Bubry où il a sa chapelle qui conserve un bras reliquaire objet de vénération des populations locales, car si le chef est à Tréguier, le bras est à Saint Yves-Bubry et si le chef pense et commande c’est bien le bras qui agit !
Et pour rester dans mon diocèse je ne néglige pas, à l’occasion, d’aller fêter Monsieur Saint Yves à Cruguel (56420), à Lignol (56160) ou à Priziac (56320) où ses pardonneurs se rassemblent fin mai autour de son image et de son exemple de sainte mémoire et je n’ai pas fini d’épuiser les lieux qui lui sont consacrés et où son culte est célébré…
Gens de justice : magistrats, avocats, huissiers, notaires, etc, nous œuvrons pour le fonctionnement d’une administration régalienne qui porte le nom d’une vertu cardinale : la justice, comme la force, la tempérance et la prudence qui n’ont pas de ministère propre mais doivent présider au fonctionnement de toute activité humaine. Voilà pourquoi nous tenons à célébrer les vertus dont a fait preuve de son vivant Monsieur Saint Yves.
Cet exercice professionnel ardu, car entier, nécessite qu’au moins une fois l’an on se pardonne ses excès quitte à recommencer le lendemain !
Et tous les autres, anciens ou futurs justiciables, assoiffés de justice et de vérité, ils viennent se désaltérer au souvenir de ce serviteur de Dieu qui savait si bien redonner à chacun son dû.
La Sainte Vierge, « Intron Vari », est une mère qui se laisse amadouer, comme toute les mères, par ses enfants qui la sollicitent : ainsi à Hennebont, en 1699 elle a mis fin à une épidémie de peste qui ravageait la population comme cela arrivait souvent à l’époque dans les villes portuaires. Depuis, les habitants d’Hennebont et des environs ne manquent pas, chaque année, le dernier dimanche de septembre, d’honorer leur vœu en processionnant dans les rues de la ville depuis la basilique qui abrite sa statue offerte en « ex-voto ».
Le Dieu des chrétiens et des bretons n’est pas une idée fumeuse et lointaine, c’est une personne qui s’est incarnée dans le ventre de sa maman… tout comme chacun de nous. Et comme chacun de nous, Jésus a une grand-mère, une « Mamie » : Anne, apparue en 1625 à Yvon Nicolazic, paysan vêtu du kamayon (jaquette), en bagou braz (culotte) et boutou-coët (sabots). « ne zoujet ket : me zo Anna, mam Vari », « n’ayez pas peur : je suis Anne, la mère de Marie », Dieu veut que je sois honorée ici ! Et c’est ainsi que le sanctuaire de Sainte Anne d’Auray attire depuis tant de pèlerins de tous âges et de toutes conditions, notamment le 26 juillet, jour de sa fête.
Les pardons sont en Bretagne comme les pierres dressées dans nos campagnes, menhirs, calvaires et chapelles, la présence visible de l’âme de tout un peuple.