La Bretagne est un territoire présentant une triple originalité : le plus important maillage de sanctuaires chrétiens en France (églises, chapelles, oratoires, fontaines de dévotion), un extraordinaire festiaire de 460 saints jouissant d’une dévotion populaire, et la permanence de pardons (Basse-Bretagne) ou assemblées (Haute-Bretagne) célébrant la fondation de ces sanctuaires et leur dédicace généralement aux saints insulaires venus évangéliser la Bretagne armoricaine entre le troisième et le dixième siècle.
Le pardon est ainsi indissociable de l’espace qu’il anime et du temporel qu’il active. L’attachement des Bretons à leurs chapelles et à leurs saints ne se dément pas au fil des siècles. Il se manifeste chaque année depuis le bas moyen-âge dans le placître des chapelles où la fête alterne une dimension sacrée et des réjouissances profanes, rassemble les générations, intègre les nouveaux venus dans le village, attire les visiteurs de passage.
Retrouver une parenté, des amis ou des voisins le jour du pardon va de soi. Nul n’a besoin de noter sur son agenda la date de la fête tant elle est inscrite dans les mémoires, et le pardon prime alors sur toute autre activité et rendez-vous. Mais, avant le grand jour du pardon, le village est en effervescence. C’est alors que des hameaux ensommeillés se réveillent, que la campagne résonne de cris et de bruits inhabituels. Chacun sait ce qu’il a à faire : curer et fleurir la fontaine, balayer et fleurir la chapelle, faucher le pré voisin où les chapiteaux seront élevés pour recevoir des centaines de convives, éplucher les pommes de terre, préparer la pâte à crêpes. Tout doit être prêt pour le jour J et toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.
Le pardon offre ainsi une formidable opportunité de faire connaissance avec des personnes croisées de loin en loin et même de purger les différents. On y vient le coeur et l’âme en paix. telle est la règle établie et connue de tous. On y revient tous les ans. Il y a ceux qui assistent à l’office religieux, ceux qui se contentent de la procession à la fontaine, ceux qui campent à la buvette, ceux qui viennent danser sur le parquet installé la veille devant la chapelle. J’apprécie ces parenthèses saisonnières, au début du printemps au pardon de Lomelec à Lanvaudan et à la fin de l’été au pardon du Vray Secours à Plouay, les deux pardons les plus proches de mon domicile, mais je quitte aussi ce périmètre local pour assister à d’autres pardons que je qualifierais de confluents : Notre-Dame de Kernascléden ou Notre-Dame de Quelven au milieu de l’été. Car une autre qualité du pardon n’est pas seulement de se retrouver entre soi, mais d’ouvrir son horizon. Le “pardonneur” peut ainsi alterner les lieux et les rencontres, s’immerger dans une mémoire où la légende se conjugue à l’histoire, et se projeter dans l’invisible… De même que certains randonneurs (venus du monde entier) se transforment en pélerins pour marcher jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle, il est possible de privilégier la déambulation pédestre au déplacement automobile pour se rendre au pardon. Alors, le rendez-vous se pare d’une dimension “autre”… C’est là un exercice physique et intellectuel qui aboutit à l’essence même de ce rendez-vous hors d’âge : une démarche spirituelle, et permet un recentrage de l’homme dans un temps et un espace étranger à tout consumérisme.
Bernard Rio est écrivain, spécialiste du patrimoine. Auteur d’une soixantaine d’ouvrages, et de nombreuses études, il collabore régulièrement avec la presse spécialisée dans les domaines de l’histoire des religions et des traditions populaires.
Auteur notamment de “Sur les chemins des pardons et pèlerinages de Bretagne” (éditions Ouest-France, 2019, nouvelle édition revue et augmentée de l’ouvrage paru en 2015 aux éditions Le Passeur), “Sur les chemins de pèlerinages en France” (éditions Ouest-France, 2018), “Pélerins sur les chemins du Tro Breiz” (éditions Ouest-France, 2016), “Le livre des saints bretons” (éditions Ouest-France, 2016), “Guide du Tro Breiz” (éditions Coop Breizh, 2014), “Pardons de Bretagne” (éditions Le Télégramme, 2007).