Mgr Dognin, évêque de Quimper & Léon vient récemment de déclarer, lors d’un entretien au quotidien Ouest-France, que « les pardons ont une autre dimension par le grand nombre de personnes qu’ils rassemblent. Parmi elles, il y a aussi des non croyantes. La dimension de la prière y est aussi très forte. Je trouve que c’est une belle opportunité pour annoncer la foi et toucher des gens qui ne viennent pas habituellement à l’église.
Un pardon est également une expérience humaine en raison de ses aspects festif et convivial. Cela contribue à favoriser les liens entre les uns et les autres. C’est dans ce genre de rencontres que l’on peut témoigner de sa foi et partager des convictions profondes. »
Certes… mais pas que ! Un pardon n’est pas uniquement une expérience humaine en raison des aspects festif et convivial… ou de prière. Un des problèmes actuels de la déliquescence de certains pardons est justement la limitation de ces événements ancestraux à ces dimensions qui, si elles sont importantes ne sont pas seules. N’oublions pas que les pardons existent depuis des centaines d’années, tout comme la dévotion aux saints locaux et pour qui les pardons sont célébrés. Les racines bretonnes fortes et l’affirmation de celles-ci font AUSSI (et surtout !) partie de cette fameuse expérience humaine dont parle Mgr Dognin. Une affirmation qui est loin d’un simple aspect folklorique mais qui témoigne d’une foi forte profondément ancrée. En bref, le pardon possède une dimension missionnaire qui permet de toucher des gens parfois loin de l’Eglise, mais l’effacement des racines bretonnes – que l’on peut voir dans beaucoup de pardons – portent justement atteinte à cette dimension missionnaire.
Il n’y a qu’à constater l’effet de la francisation des pardons, voire de certains pèlerinages : ils se maintiennent bon gré mal gré grâce à quelques bénévoles puis peu à peu l’assemblée se réduit, pour ensuite disparaître… laissant alors la place à « l’art » dans les chapelles ou encore au lierre et aux racines qui peu à peu font de ces endroits sacrés des ruines sous lesquelles reposent ce qui a porté nos aïeux, les trésors dont parlent Jean-Paul II quant il dit «Quand j’entends autour de moi diverses langues, je sens croître les générations, chacune apporte un trésor de leur terre, choses anciennes et choses nouvelles» (Extrait de « Quand je pense patrie »).
Comparons avec les pardons « qui fonctionnent », voire ceux qui revivent. La conclusion se fait d’elle-même !
La Bretagne et le christianisme sont étroitement liés et ce lien profond est porté par la langue bretonne, qui a sa structure propre et son mode de pensée propre. Or, le passage d’une langue à l’autre ne se réduit pas une transmutation de vocabulaire mais à épouser toute une nouvelle structure culturelle. Les Pères de l’Eglise eux-mêmes d’ailleurs en ont fait l’expérience avant de la proposer à leurs contemporains, comme le rappelle Marie-Laure Chaïeb. En passant de la langue bretonne à la langue française, l’Eglise impose donc une nouvelle structure culturelle qui ne correspond en rien (ou presque) à la structuration culturelle bretonne, faisant donc du hors-sol (voire un déracinement) alors même que la terre bretonne a été labourée par tous nos missionnaires et saints fondateurs, par nos pères – dont le legs se perd peu à peu- pour en faire la terre chrétienne que le monde connait par le foisonnement des missionnaires.
Le nombre important de missionnaires envoyés par la Bretagne à travers le monde, une Bretagne profondément chrétienne (et dont les nombreux pardons témoignent encore) montre le lien profond entre la foi et la culture Bretonne. Or, nous rappelle le Pape François « il n’est pas bien d’ignorer l’importance décisive que revêt une culture marquée par la foi, parce que cette culture évangélisée, au-delà de ses limites, a beaucoup plus de ressources qu’une simple somme de croyants placés devant les attaques du sécularisme actuel »(Evangelii Gaudium). Les missionnaires le savaient : coupons les racines d’un arbre et il dépérira. Il en est de même pour l’être humain… et donc pour toutes les Eglises locales. Ce n’est pas pour rien que Vatican II a dit dans Ad Gentes (III, 22) que « la vie chrétienne sera ajustée au génie et au caractère de chaque culture, les traditions particulières avec les qualités propres, éclairées de la lumière de l’Evangile, de chaque famille des peuples, seront assumées dans l’unité catholique. »
Alors oui, l’aspect festif et convivial attirent, sorte de communion fraternelle post-ecclésiale dans laquelle beaucoup se retrouvent. Mais n’oublions pas les racines. Il est important de transmettre ce patrimoine breton et de garder ses spécificités, disait Mgr Centène, car elles font partie de notre identité profonde. » Nous l’avons vu : on ne peut limiter les pardons à une expérience humaine par les aspects conviviaux et festifs. Ils vont bien au-delà, et il est nécessaire d’en prendre conscience, voire d’en prendre exemple pour la vie paroissiale. Il faut réussir à sortir du complexe que l’on a imposé disant que parler breton était arriéré. Il faut retrouver cette fierté d’être breton. On voit qu’une culture dominante peut écraser des cultures spécifiques, et il faut lutter contre cela. Car pour savoir ou l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Et cela est essentiel dans nos temps troublés, ajoutait Mgr Centène. Aujourd’hui, à travers les écoles bilingues, une génération refleurit. L’Eglise a eu un grand rôle dans la préservation de la langue bretonne. Aujourd’hui, il y a une résurgence des cultures locales. Il faut que l’Eglise reprenne sa place dans cette préservation, mais aussi pour évangéliser. Car nos cantiques bretons favorisent l’intériorité essentielle à l’évangélisation… » (Mgr Centène, évêque de Vannes, février 2014).
EC
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Pour approfondir le sujet :
– LITURGIE ROMAINE & INCULTURATION (document)
– LES DEFIS DE L’INCULTURATION DE LA FOI (Pape François)
– LA FOI PRISE AU MOT : L’INCULTURATION (vidéo)
– CONCERNANT L’INCULTURATION DE LA LITURGIE (chronique)
– CANTIQUE BRETON, OUTIL DE NOUVELLE EVANGELISATION (article)
– LE FOLKORE DANS NOTRE MONDE MECANISE (Pie XII)
– L’ EGLISE ET L’INCULTURATION
– LA VIE CHRETIENNE AJUSTEE AU CARACTERE PROPRE DE CHAQUE CULTURE
– A propos de l’Inculturation de l’Eglise en Bretagne
– Les Pardons, avenirs de nos paroisses ?
Il faudrait que les évêques et le clergé montrent l’exemple en utilisant systématiquement la langue bretonne On a l’impression, en lisant les déclarations des évêques, qu’ils regardent les Bretons « en dehors », en observateurs, comme de journalistes. Il faudrait qu’ils descendent parmi les fidèles et soient les premiers à s’adresser à eux en breton Chiche ?