Nous vénérons au cours des célébrations de ce dimanche, Saint Coulitz, en son église paroissiale, et Saint Dispars, dans sa chapelle en Dinéault. Le week-end dernier était fêtés Sant Vic, ou Saint Mic alias Saint Nicaise, et les dimanches qui viennent, nous célébrerons Mahouarn et Miliau dans le Porzay, Edern à Lannedern
De ces vénérables témoins de la fondation de nos églises, nous ne savons pas grand-chose, sinon que nous avons trace de leur nom, de leurs fontaines et de leurs chapelles. L’Eglise « officielle » au moment de la Contre Réforme Catholique à voulu gommer leur nom au profit de saints reconnus par le calendrier de Rome. Sant Dispars, en son ermitage de Loguispars est rebaptisé Saint Exupère, tout comme le saint patron de Brasparts, Tujean, ou Tugen comme à Primelin, verra nombre de ses chapelles renommées « Saint Eugène » ; faut-il en rire ou se désoler, des hommes comme Sant Sev (prononcer Séo) ou Voran, devenir saintes, Sainte Sève pour l’un et Sainte Marine pour l’autre…
Les historiens « officiels », à la fin du Moyen Age, dont la mission était d’asseoir l’autorité de l’évêque ou de l’abbé du monastère, n’ont pas retenu leurs noms. Les cantiques, souvent œuvre du clergé à la fin du 19ème ou au début du 20ème siècle, ont voulu justifier les pratiques paroissiales alors en cours. Ainsi le cantique de Saint Pérec souligne sa volonté de fonder des écoles catholiques ! Les historiens actuels tentent de découvrir au travers des noms de lieux quelle fut l’itinérance de ces hommes, fondateurs de communautés croyantes, dont nous sommes les héritiers.
Parmi ces historiens, soulignons le travail de Bernard Tanguy, trop tôt décédé, laissant une œuvre inachevée, confiée à ses proches, et bien sur, le Père Job an Irien. Auprès des hommes comme le Père Marc, de Landévennec, et des communautés chrétiennes de Cornouaille anglaise, du Pays de Galles et d’Irlande, il a cherché à faire le lien entre les noms de lieux et des saints patrons, de part et d’autre de notre mer celtique. Il a cherché aussi à partager, grâce à ses publications, sa recherche de ce que pouvait être la manière de vivre le christianisme à l’aube de la christianisation de l’Armorique.
L’histoire pourrait apparaître comme une science optionnelle, un plaisir pour les érudits. Cependant, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. L’héritage biblique nous apprend de quelle manière chaque génération doit accueillir la nouveauté du présent sans se laisser éblouir, ni sans se bloquer face aux changements nécessaires. C’est dans la sagesse de la relecture des évènements passés que l’on peut trouver la ressource nécessaire afin d’affronter les chemins nouveaux. C’est aussi dans le respect des cultures et de leurs richesses spécifiques, et particulièrement en ce qui nous concerne, dans la spiritualité celtique accueillant la foi trinitaire dans une manière de vivre la communauté, au diapason de la création et du calendrier qui nous disent Dieu créateur et maître de l’histoire. Nos pardons et troménies autours des sources et collines sont, parmi tant d’autres, les signes de cet héritage.
Honorer les saints fondateurs de nos paroisses, c’est redécouvrir combien chacun dans l’originalité de son existence à voulu accueillir le Christ, dans la prière, dans la vie fraternelle et aussi dans la vie de solitude. Telle était la vie monastique à Landévennec et les ermitages de la vallée de l’Aulne qui lui étaient liés.
Honorer nos fondateurs, c’est se rappeler que le travail d’évangélisation n’a pas été le fruit d’un programme établi, d’un « projet pastoral » déterminé, mais plutôt un chemin d’adhésion à la suite de ces hommes exemplaires, homme de prière et de paix. La vocation d’un moine n’est pas de convertir le monde, mais d’accueillir tout homme en quête de Dieu, et de cheminer avec lui dans cette quête.
Honorer nos fondateurs, c’est courageusement, dans ce temps qui est le notre, enraciner notre vie dans le terreau de l’Evangile. Les tentations sont grandes de vouloir nous enfermer dans un « passé recomposé », tant il est vrai que l’expression « on a toujours fait comme ça » est la plus mensongère qui soit ! Les tentations sont grandes de vivre un christianisme en « demi-teinte », c’est-à-dire à le maintenir dans ses apparences extérieurs de culte et de faste, sans que le cœur y soit. Honorer nos fondateurs ; c’est, dans le combat qui fut le leur, éviter les pièges du Tentateur qui pousse l’apôtre Pierre lui-même à vouloir détourner le Christ de son chemin vers Pâques. Honorer nos fondateurs, c’est s’en remettre à la grâce de Dieu, qu’après nous, d’autres héritiers maintiennent dans ce monde le flambeau de la foi.
« De ces vénérables témoins de la fondation de nos églises, nous ne savons pas grand-chose, sinon que nous avons trace de leur nom, de leurs fontaines et de leurs chapelles ». Petite remarque au passage : nombre d’authentiques personnages (hommes ou femmes) qui émaillent nos évangiles sont dans le même cas. Il nous reste d’eux tout juste un nom et une anecdote…Mais ce n’est pas un hasard. C’est pour un instant de leur vie, un geste, une attitude qu’ils sont entrés dans la mémoire scripturaire chrétienne. De la même façon et quelques siècles plus tard, ce n’est pas non plus sans raison que nos saints celtiques, d’abord ont été considérés comme tels, puis sont entrés et restés dans la mémoire collective, fut-elle sur ce point distincte de celle de Rome… A chacun ses ancêtres.
« faut-il en rire ou se désoler [des altérations de nom, voire des changements de sexe signalés, dans la mémoire frelatée?]. » ? On peut aussi imaginer une solution alternative : redonner aux personnages saints leur nom d’origine (Dispars, Tugen, Dev, Voran,…) et parallèlement restaurer les noms de certaines chapelles , voire bourgs (Sant Alar,…). Si la sainteté est comme le granit, inaltérable – ce qu’il est permis de penser -, alors un coup de brosse permettrait de raviver les mémoires. Bien nommer nos saints, c’est les rendre plus proches et donner envie de se lancer aujourd’hui dans une aventure analogue. Vivre dans la Foi ici, dans ce formidable socle géologique, géographique, historique, culturel qu’est notre péninsule armoricaine et bretonne…
Pa soñjer mat, skouerenn a dud hardizh e chomont evidomp-ni, hirio c’hoazh. Quand on y pense, pour nous aujourd’hui, ils restent un exemple d’audace.