La messe dominicale du Jour du Seigneur sera retransmise le 1er juillet 2018 depuis le pardon du Guelhouit, à Melrand (Diocèse de Vannes), chapelle dont nous avons déjà parlé ici (vous trouvez d’ailleurs maintenant cet explicatif dans la chapelle).
L’équipe de la messe télévisée sera présente sur le pardon, qui sera présidé par le Père Francis Le Goff, la prédication étant assurée par le Père Denis Ledogar, du JDS. L’office sera animé par la chorale de Melrand, les Kaloneù Derv Bro Pondi, Claudy Jouanno et Thierry Chevalier.
Pour l’occasion, le bulletin du Jour du Seigneur (n° de juin 2018) consacre plusieurs pages à ce que sont les pardons, via un entretien avec Bernard Rio, spécialiste des pardons bretons, que nous reprenons ici. Vous pourrez retrouver Bernard Rio en conférence sur ce même thème le jeudi 14 juin à Lorient (pour en savoir plus).
Le Bulletin : Qu’est-ce qu’un pardon ?
Bernard Rio : Davantage qu’un pèlerinage, le pardon breton mélange la fête religieuse et la foire profane. Il participe à une double culture chrétienne et celtique. Il se rattache à un espace, la chapelle, et à un temps, la fête du saint, qui s’enracinent dans un passé à la fois mythique et historique. A l’origine, cette assemblée perpétue annuellement la fondation du sanctuaire -entre le IIIè siècle et le Xè, des moines souvent irlandais, écossais, cornouaillais et gallois ont évangélisé la Bretagne – et de son saint dédicataire. Par la suite, le terme de « pardon » désigne un pèlerinage, auquel est attachée une indulgence. Le « pardon » découle naturellement de la demande de pardon et de l’indulgence qui accompagnent la participation à une fête religieuse. Mais, en Bretagne, le pardon sert aussi pour les assemblées religieuses non indulgenciées et les fêtes patronales. Sa fonction recouvre un usage plus universel qui suppose une dévotion très originale à l’égard des saints protecteurs. Les « pardonneurs », c’es-à-dire tous ceux qui fréquentent le pardon, s’adressent davantage au saint local qu’à Dieu le Père…. Les Bretons commercent avec leurs saints indigènes sans malice. Ils prient pour se faire entendre, se prêtant à des rites que l’Eglise catholique romaine n’a pas toujours réussi à christianiser, comme la triple ambulation autour du sanctuaire, le baiser des statues et des reliques, l’ablution à la fontaine, l’embrasement du bûcher…
Vous avez référencé mille deux cents pardons. Toute la Bretagne est-elle une région de pardons ?
Il n’y a pas assez de dimanches entre Pâques et la Toussaint pour assister aux innombrables pardons. Il en existe plusieurs milliers en Bretagne occidentale, mais seulement quelques dizaines à l’est d’une ligne de Saint-Malo à Saint-Nazaire. Cette fracture géographique et culturelle est due à l’action des évangélisateurs insulaires dans la partie occidentale de la Bretagne, tandis que l’influence de Rome et de l’épiscopat de Tours est plus prégnante dans les marches orientales.
Quels sont les signes distinctifs d’un pardon ?
L’énumération des particularités serait aussi longue que la litanie des mille saints populaires bretons qui structurent et animent ce phénomène religieux dont le point commun est la « circumambulation dextrogyre », c’est-à-dire le fait de processionner autour de l’enceinte sacrée dans le sens solaire. On peut aussi tenter une classification avec les pardons dédiés aux saints « topiques » c’est-à-dire spécialisés : les pardons de la mer, les pardons animaliers, en particulier équestres, auxquels on peut rattacher la forme moderne du pardon des motards à Notre-Dame de Porcaro, les pardons mariaux, et les troménies, littéralement tro minihy « le tour du monastère » comme à Locronan, Landeleau et Plougasnou.
« Il est inconcevable que la procession n’ait pas lieu. Quel que soit le temps ». (Bernard Rio)
La procession est-elle le point culminant d’un pardon ?
Il est inconcevable que la procession n’ait pas lieu. Quel que soit le temps. Lorsqu’un prêtre se refuse parfois à affronter les intempéries pour processionner, il se trouve toujours quelques personnes pour perpétuer le rite mémorial et braver les éléments. Et les saints donnent raison aux téméraires qui sortent les bannières sous la pluie et dans le vent. Un dimanche ou les intempéries étaient de la partie, le curé de Gouarec dédaigna de bénir le bûcher préparé par les fabriciens à Notre-Dame de Bon-Repos. Qu’à cela ne tienne : la procession se fit, sonneurs de biniou et bombarde en tête. Le prêtre s’était mis de facto au ban de la communauté assemblée autour du feu qui flambait bellement.
Comment expliquez-vous la pérennité des pardons au XXIème siècle ?
L’originalité culturelle et cultuelle des pardons suscite encore des interrogations. Ils attirent encore les fidèles malgré la concurrence des pèlerinages à vocation nationale dont le plus connu et le plus couru demeure Lourdes. D’antiques pardons déclinent tandis que de nouveaux émergent, comme le pardon des surfeurs créé en 2012 à la Pointe de la Torche à Saint-Jean-Trolimon ou le pardon des entrepreneurs initié en 2017 à Sainte Anne d’Auray. La permanence du pardon montre d’une part que les Bretons n’ont toujours pas fait abstraction du spirituel dans une société qu’on dit laïque et matérialiste. D’autre part, le pardon, qui parvient à rassembler vingt mille motards le 15 août à Porcaro ou quelques centaines de personnes à Notre-Dame de Vrai-Secours à Plouay en septembre, contredit les a-priori individualistes et consuméristes de la société. C’est la fête sacrée et profane où chacun apporte ses peines et ses joies. Elle ouvre une parenthèse dans l’année civile, renouant avec ce qui n’existe plus dans la société réglementée du travail, des retraites et des loisirs : un espace et un temps intérieurs.
Quels sont les relations entre l’Eglise et les pardons ?
Après Vatican II, l’Eglise catholique a tenter d’escamoter cette « particularité locale ». Le chrétien moderne se devait d’ignorer les « fables » de ces saints thaumaturges (guérisseurs), céphalophores (portant leur propre tête), sauroctones (tueurs de dragons), lycanthropes (transformés en loups) et autres merveilles attribuées à Ronan, Hervé, Samson, Armel… Dans beaucoup de lieux, ce sont les laïcs qui ont maintenu la tradition populaire vivante. La hiérarchie épiscopale hésite toujours entre l’opprobre ou l’approbation. Aujourd’hui, dans le Morbihan, c’est à un Catalan, Raymond Centène, évêque de Vannes depuis 2005, que les pardons doivent leur promotion alors que son prédécesseur breton, Mgr François-Mathurin Gourvès, y était réticent. C’est un sujet complexe face auquel l’église ne sait pas toujours sur quel pied danser et qui suscite bien des passions.
Nous serons avec les téléspectateurs du Jour du Seigneur à Notre -Dame-de-Guelhouit, à Melrand, dans le Morbihan, pour le pardon de saint Isidore le 1er juillet… Que dire de ce pardon paysan voué à un Espagnol ?
Saint Isidore est effectivement omniprésent dans les églises et chapelles de Bretagne, puisqu’il patronne les laboureurs. Il est représenté en costume traditionnel breton et portant une gerbe de blé dans les bras. A Melrand, la chapelle du XVIIème siècle conserve vingt-quatre tableaux réprésentant la vie du saint et ses miracles. Dans une Bretagne paysanne et rurale, c’est un saint incontournable, de même que saint Cornély, patron des bêtes à cornes dans le diocèse de Vannes, ou son équivalent saint Herbot dans le diocèse de Quimper.
Le pardon de Melrand est aussi placé sous le vocable de Notre-Dame de Guelhouit, nom qui pourrait signifier « Toutes Aides » mais aussi être dû à une déformation de ker er hoët « hameau boisé ». Il s’agit d’un pardon indulgencié, dû à l’octroi par le pape Clément XIV d’indulgences à la confrérie de saint Isidore. La date du pardon, le dimanche le plus proche de la fête de la Visitation, est en relation avec la dédicace de la chapelle à Notre-Dame. (propos recueillis par Magali Michel)
Messe en direct de ND de Guelhouit (Melrand) sur France 2 le 1er juillet à 10h30
Accueil des fidèles jusque 9h45
Répétition des chants de 9h45 à 10h40
Messe en directe à 10h45
La messe sera animée par la chorale paroissiale de Melrand, la chorale des Kaloneu er Bro Pondi, Claudy Jouanno et Thierry Chevalier.
Entretien publié sur Ar Gedour avec l’aimable autorisation de Bernard Rio.
ar gelwid signifie : « la coudraie » ( « kelwezid » en Breton KLT), les explications de B. Rio « toutes aides », « hameau boisé » sont farfelues, comme souvent.
Entièrement d’accord avec vous. Je me souviens d’une autre étymologie fantaisiste qui avait fait l’objet de discussions sur Ar Gedour : Locadour à Kervignac qu’il pensait être à l’origine Loc-an-dour (le lieu de l’eau) :
https://www.argedour.bzh/dimanche-a-kervignac/
Or il suffit d’ouvrir la vita Gunthierni pour entendre parler de saint Cadour… Ar Gedour avait publié un article complémentaire (cf sur ce lien)
Dans cet entretien pour le jour du Seigneur, nous retrouvons quelques erreurs que je me permets de souligner :
Au IIIème siècle, la quasi-totalité de l’Armorique et des îles britanniques était encore païenne. La première mention de chrétiens se trouve à Nantes avec le martyre de saints Donatien et Rogatien. Il faut attendre les Vème et VIème siècle pour que débute l’ère des saints bretons.
Faux, les Bretons ont une conscience aigüe de la communion des saints et de la valeur de leur intercession auprès du Père. Il suffit de lire la plupart des refrains de cantiques bretons pour se rendre compte que quand on s’adresse aux saints, c’est pour s’adresser à Dieu : » Goulennet get Jézuz (demandez à Jésus), Goulennet ‘dreist pep tra (demandez par-dessus tout) Aveidomp pédet Doué (priez Dieu pour nous) : on peut multiplier les exemples et les variantes par centaines.
Pour le phantasme de la survivance païenne, il est nécessaire de préciser que cette pratique est complètement dans la tradition de l’Église et l’orthodoxie de la foi. C’est d’ailleurs pourquoi les chrétiens des premiers siècles célébraient déjà la messe sur les tombeaux des martyrs. Il s’agit d’une coutume pleinement chrétienne d’origine romaine qui s’est adaptée un peu partout dans la Chrétienté au fil des siècles.
Sans compter qu’un certain nombre de pardons sont aussi dédiés à la sainte Trinité ou à la sainte Croix et sont aussi très fréquentés. Que dire dans ces cas-là ?
Primo, on ne va pas à un pardon pour « commercer » et se livrer à des marchandages triviaux avec les Saints, mais d’abord en action de grâces, en pénitence et en supplication, on vient demander l’intercession des saints pour recevoir une faveur de Dieu. Lors d’un pardon, c’est avant tout le sacrifice eucharistique qui reste le cœur, d’ailleurs, nombre de fidèles offrent des messes les jours de pardon pour leurs défunts. Quant aux saints « indigènes », il y aussi nombre de pardons dédiés à des saints de l’Église universelle que les Bretons ont adopté puis naturalisé, en premier lieu sainte Anne, mais aussi saint Jean-Baptiste (sant Yehann Badeour) et nombre d’apôtres : saint Matthieu (sant Maheù ou Maze) saint Barthélémy ( Bertelamé), saint André (Andreù) ou des saints martyrs des premiers siècles : saint Adrien, saint Symphorien, sainte Barbe…
Faux : La triple ambulation honore la sainte Trinité, la vénération des images et des reliques se retrouve dans toute l’Église aussi bien en Orient qu’en Occident depuis des siècles, et seuls les Iconoclastes ou les Protestants y trouvent quelque chose à redire. L’ablution et l’aspersion à la fontaine rappelle l’eau du baptême et la purification des péchés, cela se retrouve déjà dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau : cf Jn IX : l’aveugle à la piscine de Siloé…etc Quand au feu de joie, il est vrai qu’il est d’origine celtique (fête de Beltane) mais Saint Patrice l’a christianisé, et l’Église universelle l’a adopté pour la vigile pascale ! Pour ce qui est des rites plus superstitieux, comme jeter des miettes de pain dans des fontaines pour savoir si un marin est mort ou autres rites plus ou moins magiques ils sont toujours en marge des pardons car ils n’y ont tout simplement pas leur place.
Au passage, je voudrai revenir sur un peu de vocabulaire ecclésiastique. « L’épiscopat » signifie la durée où un évêque est en charge d’un diocèse et non la circonscription en tant que telle. Je suppose que Mr Rio voulait dire : « l’archevêché » ou « la métropole » comme on disait au Haut Moyen Âge. De même, comme chez beaucoup de gens, il y a une confusion entre recteur et curé. En Bretagne, le curé d’une paroisse est traditionnellement appelé « recteur », (person) et le mot « curé » (kuré) désigne son vicaire, sauf pour les curés-doyens (person_kanton, jusqu’au concordat on disait déan) ou dans les grandes paroisses urbaines où l’on suit l’usage français. Quand au mot vicaire, il ne désigne normalement que le vicaire général (ar vikêl bras) En tout état de fait, à Gouarec, il s’agissait d’un recteur, et si c’était le curé-doyen de Rostrenen, il agissait là en tant que recteur de Gouarec… Je sais que ces précisions de vocabulaire se perdent comme beaucoup de choses…
Je ne sais pas s’il parle lui-même le breton mais je reviens maintenant sur du vocabulaire breton. Minihi ne veut pas dire monastère, même si sa racine est menac’h (moine) Il signifie enclos sacré, lieu de refuge.
Ah bon ? Les Bretons sont tellement buttés qu’ils vont aller sous tous les temps pour maintenir coûte que coûte la tradition ? Un peu de bon sens, bien sûr s’il y a quelques gouttes ou un peu de crachin, c’est une chose, mais quand il pleut des trombes d’eau, on ne va pas être stupides au point d’abîmer nos belles et précieuses bannières.
J’ai vu pour ma part nombre de procession annulées à cause du temps trop exécrable. D’ailleurs, certains pardons n’ont plus de procession depuis longtemps, c’est triste, mais il faut savoir que cela existe aussi des pardons sans procession.
il n’existe qu’un seul pardon à Sainte -Anne d’Auray : celui du 26 juillet. Le reste du temps, il s’agit du pèlerinage de saint Anne. Il existe de multiples pèlerinages de mouvement, de paroisses, de corps de métiers, de doyennés, de diocèses, de congrégations religieuses à sainte Anne sans que ce soit des pardons. Un pèlerinage de plus à sainte Anne n’a rien d’original et n’est pas un pardon.
De quelle Église parle-t-on ? De l’Église universelle ou diocésaine ? De quel concile parle-t-on ?
Des textes conciliaires ? (au passage, presque personne ne les a lus, mais beaucoup en dissertent allègrement ) ou du fameux esprit du concile qui est en fait l’exact opposé qui fut colporté par la frange moderniste iconoclaste du clergé. Non, l’Église n’a pas tenté « d’escamoter » les pardons, tout au plus s’est manifestée une certaine indifférence, une certaine commisération de la part d’un certain clergé, qui par contre n’a pas hésité pour le coup à escamoter le latin, le chant grégorien, les beaux ornements, les vêpres qui étaient chantées à presque tous les pardons. D’ailleurs, traditionnellement, c’était après le chant des vêpres qu’avaient lieu les processions et les feux de joies. Celles-ci ayant été supprimées dans la plupart des cas, la procession fut déplacée après la messe, et depuis quelques années, de plus en plus avant la messe, ce qui est une absurdité sur le plan symbolique. En fait, souvent le pardon est devenue une messe aussi laide et banale que les autres avec en plus un apéro une procession et un rost er forn. Souvent nombre de cantiques de saints ont été dégagés ou réduits à leur plus simple expression 2 couplets au lieu de 20…
Le Concile Vatican II reste assez laconique sur la piété populaire en se contentant d’énoncer quelques généralités dans le décret Ad gentes et la constitution Gaudium et spes.
Par contre, le Magistère ordinaire des papes Paul VI (evangelli nuntiandi, 1975), Jean-Paul II (directoire sur la piété populaire, Benoît XVI, dans nombre de ses discours et de ses écrits, puis François, avec son style un peu brouillon qui lui est propre, rappelle depuis plus de 40 ans l’importance des dévotions populaires traditionnelles, tout en les encadrant avec bienveillance.
Le jeu de mot est certes facile mais ne correspond pas à la réalité : le terme opprobre est une grave accusation : « Réprobation publique qui s’attache à des actions jugées condamnable » (petit Larousse)on n’en est pas là, loin s’en faut !
Faux. S’il est vrai que Mgr Gourvès, comme une bonne partie du clergé breton de sa génération-particulièrement dans le diocèse de Quimper et Léon, s’est éloigné un bon moment des expressions de la foi de sa jeunesse ainsi que de sa langue maternelle pour de multiple raisons, entre autres idéologiques, (il le reconnaît lui-même volontiers)la seconde partie de son épiscopat marque un tournant, notamment après la visite de Jean-Paul II à Sainte-Anne d’Auray. La langue et la culture bretonne et bien entendu les pardons vont retrouver leur place dans la pastorale du diocèse, alors qu’ils avaient été laissés de côté depuis plus d’une trentaine d’années. L’aboutissement de ce revirement est sa lettre pastorale de 2003 sur le renouveau de la culture bretonne.
Quand à Mgr Centène, il n’a fait que suivre ce qui avait déjà été mis en place sous son prédécesseur.
A galon,
merci pour cette nécessaire et bienvenue mise au point!
merci pour cette nécessaire et bienvenue mise au point!
( Non, je n’ai pas déjà envoyé ce commentaire!…)