Il y a quelques temps, l’un des collaborateurs d’Ar Gedour évoquait la chapelle de Locadour en Kervignac (Diocèse de Vannes). Les échanges de nos lecteurs furent intéressants (cf commentaires). Voici la contribution d’Alan J. Raude pour les lecteurs d’Ar Gedour :
Quel saint représente le Locadour de Kervignac ?
Joseph Loth (NSB-1911) voit dans Locadour un saint Cadour. Il cite, d’ après Iolo Morgannwg, un évêque de ce nom, à Cyfekkion sur Wye. Cela ne prouve pas l’ existence d’un « Saint Cadour ». Car Locadour peut être composé de Log- et Hadour « semeur.
Cette question de nom relève de la série des toponymes britto-chrétiens qui, au 5ème siècle, dans le territoire limité par l’ embouchure du Blavet et la rivière d’ Etel, s’ajoutèrent aux toponymes celtiques et celto-romains des siècles précédents : Bels, Riantec, Mendon…La Vita de s.Gworthiern nous livre sa version de circonstances qui s’y rapportent :
5.3 En ce temps-là, sous le règne du comte Werec, une infestion se répandit dans le Pays de Werec, à savoir des vers qui dévoraient les récoltes. C’ est pourquoi le dit comte envoya es messagers, à savoir Gwedwal et Cadoc à Saint Gworthiern pour qu’ il vienne au secours de son pays.
5.4 L’ homme de Dieu vint donc et bénit de l’ eau et en fit répandre à travers ce pays . Et une immense quantité de vermine s’ enfuit. C’ est pourquoi le comte Werec lui donna la ploue de Winiac sur le fleuve Blavet. Elle est appelée Kerviniac, de par sa bonté. Le saint homme y resta donc lui-même jusqu’ à son trépas.
Kervignac se trouve dans le Pow Bels (*Pagus Belisamas), du nom de la grande déesse celtique. Plebs Winiaka « Ploue viticole » était le nom de la circonscription dans le cadastre armoricain du 4ème siècle. Le nom de Kervignac remonte à Koros-ie-winiaka « Domaine du vignoble ». Pour une abbaye, la production de vin était fort utile.
La Vita rapporte donc un événement du temps où le pouvoir, en Armorique, était aux mains de Weroc I. (Gerontius Virâcus = Gerent) comte du Tractus Armoricanus, devenu protectorat breton. Cela se passe avant 407, car cette année-là Gerontius prend la tête des armées de Constantin III et confie l’ Armorique à son fils Riwal, qui avait dirigé le transport des troupes Cornovalentiennes chez les Osismes et les Namnètes en 400-401.
Or il se trouvait que le comte gouverneur du Tractus était un neveu de Gworthiern. Demander un service à un oncle parait naturel, mais ici il s’ agit de demander un miracle, ce qui paraît exclu de la part du peu chrétien Geruntius (l’honorable évêque Fastidius l’ avait qualifié de impius). L’ hagiographe aura brodé sur un terme ancien mal compris ou mutilé.
Le terme central de l’ exposé est vermes, pluriel de vermis « ver », dont le correspondant vieux-celtique est owis « rampant » ( larve, ver, serpent, dragon). Selon la Vita, le nom du père du saint était, en vieux-breton, Outam l’ Ancien, vieux-celtique *Owitamos Senos, « Tronc de dragon ». L’ avenir d’ Ervinic dépendait donc de deux « dragonides », puisque Ertbin, père de Wertoc, était aussi fils de Outam.
Ils n’étaient pas isolés. A quelques kilomètres au sud-est, la commune récente de Sainte-Hélène doit son nom à une chapelle ancienne, aujourd’hui ruinée. On y honore à présent l’ épouse de Constant I, mais dans notre contexte la Santes Elen doit bien plutôt être Elen épouse de Magnus Maximus, soeur de Gworthiern et grand-mère de Tudwal.
En gallois son nom est Elen Luydhawc « Elen celle du chef des armées » ; ( v.celt. *Alina Slougia)
Ensuite s. Cado, éponyme de l’île, l’un des cinq fils de Gerent-Weroc connus comme saints. Son nom est Cadwy en gallois et Kadow en breton. (Ne pas le confondre avec s. Cadoc fils de Gwenlew.)
Enfin s. Efflamm (graphie ancienne Eufflam /ewflam/) qui a aussi une chapelle à Kervignac. Son nom remonte à *Owi=flamma, « flamme de dragon » qui ne peut être qu’une épithète pour un personnage du « clan » des Dragonides.
Cela mène, par delà vaux et monts, en Trégor, à Plestin, paroisse où l’on retrouvera Efflam comme patron de la paroisse de Plestin.
A suivre.
P.S. LOCADOUR peut être LOG-KADOUR ou LOD-HADOUR
Texte latin de la Vita Gurthierni
t5.2 Inde uolauit fama ipsius usque ad Gradlonum Magnum, Cornugallie consulem, qui misit legatum suum ad illum ut ad se ueniet, deditque sibi ipse consul Anaurotam, ubi conueniunt Heleia atque Idola, et mille passus terre in circuitu ipsius uille, necnon et Beiam plebem.
5.3 In tempore illo, regnante Uerech comite, orta est pestilentia et faames in Bro Guerec, scilicet uermes comedebant segetes. Quapropter misit predictus comes nuntios suos ad sanctum Gurthiernum, uidelicet Guedgual et Caduoth et Cadur, ut subueniret patrie.
5.4 Uir autem Dei aduenit et benedixit aquam, misitque per illam patriam, fugauitquue immensam uermium multitudinem. Propter hoc Comes Guerec dedit illi Ueneacaam plebem super Blauetum flumen, que postea uocata est Cheruenac, bonitate ipsius. Perseuerauit autemù uir idem sanctus ibi usque ad obitum suum.
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