Saints bretons à découvrir

[TEMOIGNAGE] Mon périple à Rome du 2 au 9 mars 2016

Amzer-lenn / Temps de lecture : 25 min

12002920_10206058859483194_1599378723268286682_n.jpgMe voici donc de retour à Brangolo et la rédaction de ces chroniques à ton intention, cher lecteur, me permet de parcourir de nouveau, en pensées, cette fois, nos pérégrinations estivales annuelles.

Bon, mais ce délicat soleil d’automne ne réussit pas à éteindre tout à fait cette soif d’envolée et les fourmis recommencent à grignoter les jambes.

Certes, il y a le grand pardon de N. D. du Roncier, le 8 septembre, à Josselin qui est au pays gallo ce qu’est à la basse Bretagne, Breiz Izél, le grand pardon de Saint Anne d’Auray du 24 juillet. J’y étais, bien sûr, mais avec la cérémonie conduite par le suisse en grande tenue –  je t’ai bien reconnu quand même -, le tour de ville et la visite à la fontaine n’ont pas suffi  à calmer mes envies ambulatoires

Le 8 décembre 2015, jour de la fête de l’immaculée conception, s’est ouvert, sur l’initiative du Pape François, le jubilé de la Miséricorde. Excellente occasion d’effectuer le voyage à Rome promis, il y a 45 ans, à ma fiancée ; d’autant que notre petit camarade Laurent, fils de nos vieux amis Bazochod, vient d’intégrer, comme pensionnaire, s’il vous plait, la villa Médicis. Nous nous y donnons rendez-vous.

N’est-ce pas la meilleure façon de boucler ce Tro-Breiz : d’ailleurs, chacun le sait : tous les chemins mènent à Rome… La ville aux 7 collines : le Capitole, le Palatin et l’Aventin près du Tibre et, plus éloignés vers l’est, du nord au sud : le Quirinal et le Viminal, puis l’Esquilin et le Caelius.

Première observation, arrivé à la gare Termini, après 22 ans d’absence : la bataille des pigeons a été gagnée, il n’y en a plus guère et ce qui en reste ne risque plus d’endommager les prestigieux bâtiments romains de l’acide de leur guano. La nature ayant horreur du vide, il semblerait qu’ils aient été rapidement remplacés par des goélands et leurs cris gutturaux qui nous sont familiers, faisant du Corso une autre avenue de la Perrière. Je crains que la municipalité de Rome n’y ait rien gagné au change, il n’est qu’à se renseigner auprès de celle de Lorient.

Autres batailles gagnées, celles du klaxon et des parkings automobiles : on n’entend plus que le bruit des moteurs et les plazzas sont libres de toute occupation sauvage, ce qui ne doit pas être du goût des automobilistes locaux, de plus en plus nombreux à circuler « intra-muros », malgré une sévère réglementation qui vise à en limiter le nombre en circulation.

Il reste des ormes à Rome et ils étaient en fleurs : il semble que les scolytes, insectes vecteurs de la graphiose n’y aient pas sévis comme dans mon Berry natal où ils ont radicalement disparus du paysage, victimes du champignon parasite.

Les touristes extrême-orientaux, quant à eux, prospèrent, de préférence en groupe ; leur activité principale consiste à se photographier au moyen de leurs téléphones portables  brandis au bout d’une perche que des vendeurs moyen-orientaux leurs vendent à cet effet, permettant ainsi d’immortaliser le souvenir d’un bref passage devant les monuments de la Rome antique, médiévale, baroque, bref, éternelle.

La cousine Cosi avait accepté gentiment de nous héberger avec notre fille aînée, Yasmina qui nous a opportunément rejoint. L’appartement de la via Flamine au nord de la place du Peuple, au bord du Tibre regorge de beaux meubles et bibelots parmi lesquels je reconnais ceux en provenance de l’Herbay. Nous évoquons ensemble avec nostalgie la mémoire de Philippe et nos lointaines années à Abidjan.

Le temps est encore frais et humide, mais quand il brille, le soleil fait chanter le marbre des palazzis, le sombre parasol des pins se détache vigoureusement sur l’azur du ciel romain et nous goûtons avidement notre plaisir d’être là.

Nos pas nous mènent bien sûr en premier lieu au Vatican, la chapelle Sixtine et la basilique Saint Pierre que nous atteignons en commençant par le sous- sol, les « grottes vaticanes ». Après une collation prise carrément au sommet du château Saint Ange, nous voilà bientôt à la recherche d’un morceau de Bretagne à Rome.

Qu’on se rappelle que la pragmatique sanction de Bourges du 7 juillet 1438, si elle a réglé les rapports entre le Saint Siège et le royaume de sa majesté très chrétienne jusqu’au concordat de Bologne qui a suivi la bataille de Marignan en 1515, n’était pas applicable au duché de Bretagne dont les évêchés – que nous avons parcourus un par un au fil de ces années écoulées – ressortaient tous directement, faute de concordat, de l’autorité du Pape et de l’administration apostolique. Sans doute ceci explique le nombre d’églises bretonnes placées sous le patronage de saint Pierre, à commencer par celle de ma paroisse d’Inzinzac et la cathédrale de Vannes.

 

A telle enseigne que le limousin, Pierre Roger de Beaufort (1291-1352), vassal d’Arthur II de Bretagne (1261-1312), vicomte de Limoges du « droit de son épouse », élu Pape à Avignon en  sous le nom de Clément VI, se revendiquait Breton lors des cérémonies de canonisation d’Yves Helory de Kermartin qu’il présidait, le 19 mai 1347 en Avignon !

A cette époque nombre de juristes bretons, assuraient auprès de la curie, à Avignon, puis, à partir de 1378 à Rome, avec le retour, sous l’influence de Sainte Catherine de Sienne, du Pape Grégoire XI (1330-1378), neveu de Clément VI, les tâches d’administration de l’Eglise au sein du duché de Bretagne, en qualité de notaire, procureurs, trésoriers, etc… fonctions qui étaient qualifiées de  «curiales ».

Il n’y eut que peu de bretons à recevoir – pour l’instant – le chapeau et la pourpre cardinalice. Ce fut le cas de Jean de Malestroit (1375-1443) fait cardinal par l’antipape Felix V du concile de Bâle en 1440 et d’Alain de Coëtivy (1407-1474) fait, en 1448, par le Pape Nicolas V, cardinal au titre de Sainte Praxède où il est inhumé,  c’est lui qui peut être considéré comme le fondateur de la paroisse des bretons à Rome qu’il vouera à Saint Yves, fraîchement canonisé.

saint yves des bretons - yd.jpgSaint Yves des Bretons

Enfin, on y est, pas facile à trouver, l’église de Saint Yves des Bretons : elle se situe presqu’au bord du Tibre, vicolo della Campana, en bifurcation de la via della Scrofa qui longe la façade de Saint Louis des Français. Mais il faudra revenir : elle n’ouvre qu’à 18 h 15. Bien.

Saint Yves des Bretons, sant’Ivo dei Bretoni, est, avec la Trinité des Monts, Saint Louis des Français, Saint Nicolas des Lorrains et saint Claude des Francs-comtois de Bourgogne, un des « pieux établissements de la France à Rome et à Lorette », institution nationale placée sous la tutelle de l’ambassade de France près le Saint Siège, Villa Bonaparte – à ne pas confondre avec le Palais Farnèse qui est le siège de l’ambassade de France en Italie.

Pour se rendre à l’église Saint Yves, le mieux est de prendre un taxi qui ne manquera pas de consulter la carte électronique de son iphone pour vous déposer à bon port.

Le successeur de l’abbé  Guillaume Le Floch au rectorat de Saint Yves est l’abbé Jean-Baptiste Bellet, prêtre du diocèse de Versailles – sans doute n’y a-t-il plus assez de jeunes prêtres bretons à Rome pour assurer ce service ? Il est parfaitement ponctuel et aimable et mérite largement d’occuper son office, d’autant qu’il se présente comme un ami de l’abbé Julien Naturel, ce qui équivaut largement à un brevet de britonitude.

Nous y retrouvons un jeune ménage « mixte » : la jeune femme est du Léon, tandis que son époux est berrichon, comme moi, ils viennent de convoler et entendent bien bénéficier à ce titre de l’audience papale promise aux jeunes ménages de moins de 6 mois, ce qui nous apparait dorénavant définitivement fermés à Béatrice et à moi au bout de toutes ces années de mariage !

Saint Yves des Bretons est une toute petite église, comparée aux belles basiliques romaines : elle conserve la taille humaine de nos chapelles bretonnes. Sa façade sombre – on la dirait en pierre de kersanton ! – est coincée entre deux grands immeubles couleur rose-brique.

L’abside représente, dans une mandorle, le Christ triomphant et bénissant, entouré, à sa droite, de Saint Yves en habits sacerdotaux, puis de Saint Martin qui partage son manteau militaire en deux parties pour en donner une au pauvre vieillard nu derrière lui et de Saint Clotilde, l’épouse de Clovis. A gauche du Christ, Saint Louis qui présente la couronne d’épine ramenée de terre sainte, Saint Bernard de Clairvaux, le croisé et Sainte Geneviève avec sa barque, la Geneviève parisienne, semble-t-il et non la bretonne, sœur de Saint Edern, fondatrice du monastère de Loqueffret près de Lannedern (Diocèse de Quimper et Léon),  au Xème siècle.

A droite, dans le chœur, une magnifique bannière, toute droite sortie des ateliers Le Minor de Pont Labbé, dédiéesaint yves des bretons - yd2.jpg aux saintes et saints de notre temps en Bretagne : le bienheureux Julien Maunoir (1606-1683), père jésuite, grand utilisateur des tableaux de mission (taolenou) du vénérable Michel Le Nobletz (1577-1652) pour le diocèse de Quimper et Léon ; la bienheureuse mère Saint Louis (1763-1825), comtesse Molé, née Marie Louise de Lamoignon, fondatrice des sœurs de la charité de Saint Louis, pour le diocèse de Vannes ; sainte Jeanne Jugan (1792-1879) fondatrice des petites sœurs des pauvres, chez qui nous sommes passés à Saint Servan, en 2013 et le jeune bienheureux Marcel Callo (1921-1945) mort en déportation à Mauthausen,  pour le diocèse de Rennes, Saint Malo et Dol, ainsi que la bienheureuse Marie de la Passion, née Hélène de Chappotin (1839-1904), fondatrice des franciscaines missionnaires de Marie, pour le diocèse de Nantes.

Pour le diocèse de Saint Brieuc et Tréguier, Sainte Anne-Thérèse Guérin, Mère Théodore (1798-1856), missionnaire de la Providence dans l’Etat de l’Indiana aux Etats-Unis, canonisée par Benoît XVI  en 2006, a été oubliée !… Mais il est vrai qu’il  y a tant de saints et de saintes en Bretagne : il n’est qu’à voir tous les fanions que les trobreiziens et trobreiziennes de tous âges se disputent chaque matin au départ !

« Santoù et santezed Breizh a-vreman, pedit evidomp » : saints et saintes de Bretagne d’aujourd’hui, priez pour nous !

Saint Yves de la Sagesse

Une surprise de taille : à Rome, Monsieur Saint Yves n’est pas honoré seulement vicollo della Campana : il l’est également sur le corso Rinascimento, à la grande Université romaine de la Sapienza placée sous son patronage.

C’est grâce au pensionnaire de la villa Médicis, notre petit camarade Laurent, que nous avons pu découvrir, en sa compagnie et celle de sa famille, parents, amis, épouse et enfants, la solennelle chiesa sant’Ivo alla Sapienza due au talent de Borromini, le rival du Bernin. Nous y avons même entendu la messe du 4° dimanche de carême, celui dit de « laetare », en raison de l’invitation faite à Jérusalem par le prophète Isaïe (66, 10 et 11)de se réjouir : le carême va bientôt finir.

C’est bien d’Yves Hélory de Kermartin dont il s’agit, choisi pour saint patron de l’université romaine qui formait traditionnellement la majorité des juristes, avocats et magistrats ; le barreau romain, les « studios legale » dont les plaques ornent les beaux immeubles de la place Cavour à proximité du palais de Justice, mais pas uniquement, compte principalement dans ses rangs, des napolitains !

Saint Yves est représenté, derrière l’autel, sur une gigantesque toile qui nécessiterait une restauration, due aux pinceaux successifs de Pierre de Cortone (1596-1669) puis de son élève, Giovanni Ventura Borghesi (1640-1708), en excellente compagnie avec, au-dessus de lui, le pape Saint Léon I° (400-461), seul pape à être qualifié de « Grand », docteur de l’Eglise, auteur du fameux « tome à Flavien » sur la double nature humaine et divine du Christ qui triomphera lors du concile « christologique » de Chalcédoine en 451, bref, le patron des théologiens.

Y figurent également, Saint Pantaléon de Nicomédie, martyrisé en 303, médecin à la cour de l’empereur et son confrère, saint patron des médecins : l’évangéliste saint Luc, lui-même ainsi que sainte Catherine d’Alexandrie, patronne des philosophes et de la Sorbonne et saint Charles Borromée (1538-1584), cardinal archevêque de Milan, un des principaux artisans du Concile de Trente (1545-1563), auteur du catéchisme romain de 1566 qui fera autorité jusqu’à la promulgation, en 1992, du catéchisme de l’Eglise catholique (CEC) en application des directives du concile Vatican II (1962-1965).

Par le corso di Rinascimento, entre la place Navone et le Panthéon, on pénètre dans une cour bordée de grandes arcades sur deux étages avec, au fond, en creux, l’édifice imaginé par Borromini avec sa façade concave ouvrant sur deux rangées de fenêtres, surmontée d’un étage convexe avec une seule fenêtre, le tout encadré des monts, on n’en voit que 6 sur les 9 que comptent les armoiries surmontés de l’étoile à 8 branches de la famille Chigi à laquelle appartenait le Pape Alexandre VII (1599-1667) qui consacrera l’édifice en 1660 et couronné par une sorte de lanternon hélicoïdal, en forme – horresco referens –de cornet de glace italienne, tout en spirale… c’est ainsi que l’on repère de loin le sommet du dôme de saint Yves de la Sapience.

A droite, au-dessus de la galerie, les abeilles de la famille Barberini d’où est issu le Pape Urbain VIII (1568-1644)qui nommera, en 1632, Francesco Borromini « architecte de la Sapienza ».

Francesco Borromini (1599-1667) est l’opposé du Bernin (1598-1680), son contemporain : loin des drapés sublimes et majestueux, il ne cherche pas à copier la nature, même en l’embellissant, mais à faire comprendre par des situations architecturales originales et osées une théologie précise et construite, élaborée ; c’est un personnage exalté, tourmenté.

Ainsi, il prendra le parti d’un plan en étoile de David, c’est-à-dire à 6 branches, 2 triangles équilatéraux superposés, symbole de l’incarnation, de l’imperfection, tandis que l’étoile à 8 branches, superposition alternée de 2 carrés, celle des armoiries Chigi, symbolisera, la résurrection, la vie éternelle ; si le livre de la Genèse fixe au 6° jour la création de l’homme par Dieu, les Evangiles font du lendemain du jour de repos du shabat, le 8° jour, le dimanche, le 1° jour de la semaine, celui de Pâques, de la résurrection du Christ.

saint yves des bretons - yd3.jpgDès que l’on pénètre dans l’édifice, le regard ne manque pas d’être attiré vers le haut, la lumière, diffusée par les 6 fenêtres du dôme posé directement sur les parois verticales, sans trompes ni écoinçons intermédiaires et par la lanterne qui ouvre à son sommet. Les arêtes répètent une alternance d’étoiles à 6 et 8 branches ; l’absence de toute autre décoration susceptible de distraire l’attention et la teinte claire des murs, tout invite à la réflexion métaphysique.

« Initium sapientiae : timor Domini » : la crainte du seigneur est le commencement de la sagesse nous dit Job (28,28) et répète à l’envie l’ecclésiastique, Ben Sirac le sage (Si 1, 16). Cette maxime est rapportée sur un cartouche au-dessus du maitre autel. La crainte de Dieu n’a rien à voir avec la peur du gendarme qui peut malgré tout être, en effet, le début d’un comportement moral élémentaire. La crainte de Dieu consiste simplement à reconnaitre à Dieu la place qu’il doit avoir, alors que trop souvent, pour essayer de conjurer cette peur, on l’évacue carrément, toujours en vain !

 Et la sagesse alors, la sapience, cette connaissance savante ? Quelle est-elle ?

« La sagesse est plus agile que tout mouvement ; elle pénètre et s’introduit partout, à cause de sa pureté. Elle est le souffle de la puissance de Dieu, une pure émanation de la gloire du Tout-puissant ; aussi rien de souillé ne peut tomber sur elle. Elle est le resplendissement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, et l’image de sa bonté. Etant unique, elle peut tout ; restant la même, elle renouvelle tout ; se répandant, à travers les âges, dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes » (livre de la Sagesse ch 7, v 24 à 27)

Et le grand saint Paul, qu’en dit-il ?

« Le monde, avec sa sagesse, n’ayant pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs exigent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse ; nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Grecs, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui serait folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et ce qui serait faiblesse de Dieu est plus fort que la force des hommes. » (1Co 21-25)

La science de Borromini sera de nous faire voir comment passer de l’ancien testament au nouveau, comment le nouveau accomplit l’ancien, de nous faire sentir la façon dont Saint Paul va achever l’enseignement du livre de la Sagesse : on va du plan double triangulaire – 6 pointes, au double carré – 8 pointes, pour aboutir enfin à la perfection du cercle de lumière !

Allez, il est l’heure d’aller se restaurer  à l’antica birreria Peroni, toute proche, via di San Marcello. Autant dire tout de suite, l’Italie est l’autre pays de la gastronomie et des vins ; et Rome en est la capitale ! Je vous recommande également l’enotéca « cul de sac », piazza di Pasquino, où nous avons tous déjeuné le lendemain ; si la langue française est méconnue dans les musées, dans les restaurants romains, tout le monde parle français !

La veille, la galerie Borghèse nous avait, bien sur, enchanté, je ne vous parlerai pas de Canova (1757-1822) ni de la princesse Pauline Borghèse (1780-1825), la sœur de Napoléon, en Venus vitrix, la pomme de Pâris dans la main gauche, ni même d’un jugement de Salomon attribué à José de Ribera (1591-1652), avec son mouvement circulaire entre l’enfant mort et l’autre vivant que se disputent les deux femmes, cercle vicieux interrompu par le doigt impérieux du roi Salomon ordonnant à ses soldats de partager l’enfant vivant en deux,  ni même d’une Suzanne au bain dont j’ai raconté l’histoire rapportée par mon ancêtre éponyme, le prophète (Daniel, ch 13), provoquant chez mon ami Philippe un rire aussi tonitruant qu’inextinguible.

Je voudrai m’attarder sur le groupe sculpté par le Bernin représentant le « pieux »  Enée portant son père Anchise avec leurs dieux mânes, suivi par le petit Jule ; la maman, Créuse, fille du roi Priam a été oubliée ; ils sont partis si précipitamment qu’ils n’ont pas pris le temps de s’habiller !

Tel n’est pas le cas du groupe vu au Palais Colonna, le lendemain : Créuse est bien là, derrière les hommes et ils ont pris le temps de se vêtir avant de quitter définitivement Troie en flamme pour le latium…

Il me revient alors en mémoire les vers de l’Enéide de Virgile que nous faisait apprendre par cœur le Père Portevin, dit « Barrique » en classe de 3°. C’est Enée qui s’adresse à la reine Didon d’une voix caverneuse :

« Infandum, regina, jubes renovare dolorem

Trojanas ut opes et lamentabile regnum

Eruerint Danai, quaeque ipse miserrima vidi

Et quorum pars magna fui … » (En II, 3-6)

 

Indicible, reine, est la douleur que tu m’ordonne de renouveler en racontant comment les ouvrages troyens et leur malheureux royaume  furent renversés par les  Danaens (les grecs), afflictions vues de mes propres yeux et auxquelles j’ai personnellement participé en grande part.

Le « pieux » Enée n’est-il pas la préfiguration de celui qui « craint » Dieu ? Contraint de quitter Troie vaincue, de s’exiler comme beaucoup de personnes aujourd’hui encore, il prend soin d’emmener avec lui son passé et son futur : le vieil Anchise, son père impotent, avec leurs dieux tutélaires et le petit Ascagne, son fils, « grandissant » : il sait reconnaitre même ce qu’il ne voit pas et donner aux dieux qui sont les siens, la place qui doit leur revenir, la première ; pas question de les abandonner : c’est Dolon qui s’adresse à Diomède et à Ulysse :

« per patrios manes et spes surgenti Iuli,

te precor, hanc animam serves natoque patrique » (En X, 524-525)

Par les mânes paternelles et l’espérance de Iule grandissant (le nom latin d’Ascagne, l’ancêtre des Julii), je t’en prie, sauve-moi la vie, et pour mon fils, et pour mon père.

Au palais Colonna, ode au génie militaire de Marc Antoine Colonna (1535-1584), qui n’hésite pas à s’attribuer les mérites de la victoire de la bataille navale de Lépante du 7 octobre 1571 sur les musulmans  où il commandait, sous les ordres de don Juan d’Espagne, fils bâtard de Charles Quint, les galères pontificales, mon œil fut, en outre, attiré par une représentation originale du paradis terrestre où Adam figure, tout nu, assis, les cuisses largement ouvertes tandis qu’Eve, dans le même simple appareil, se tient debout et de profil, avec plus de discrétion et de réserve. M’exclamant devant le caractère pornographique, voire totalement obscène d’un tel tableau auprès duquel les dessins érotiques de « Charlie » semblent aussi innocents que des images pieuses pour enfant de chœur, c’est mon épouse, Béatrice, qui me fait remarquer que l’artiste a représenté Adam et Eve avant d’avoir commis le péché originel : ils ne voyaient pas, alors, qu’ils étaient nus, et le mal, s’il en est, c’est dans mon regard qu’il se tient… Je me suis rappelé, au plafond de la chapelle Sixtine, la représentation du jardin d’Eden par Michel-Ange : les organes sexuels d’Adam sont à la hauteur du visage d’Eve qui ne s’en détourne que pour saisir le fruit défendu (malus, pommier) beaucoup plus tentateur, « fellatio interrumptus »… Est-ce mon esprit qui est mal tourné ?

Rome YD.png

 Au palais Médicis,  sur les pentes du Pincio, nous avons visité quelques salles et les jardins, à côté de l’église de la Trinité des Monts, mais, tout contribuable français que nous soyons, nous avons dû nous acquitter du billet d’entrée comme n’importe quel touriste local ou étranger…

 

J’ai recherché, en vain, malgré l’aide d’Anouk, chargée des activités musicales, avec laquelle nous avons parlé du pays – son compagnon est d’Inzinzac -, les traces de Gustave Popelin (1859-1937), neveu par alliance de mon arrière-grand-père Félix Eugène Daniel (1844-1899), prix de Rome de peinture en 1882 et de Louis Fougère (1915-1992), cousin issu de germain de mon père, Conseiller d’Etat qui fut, un temps, administrateur de cette illustre maison.

Ainsi pourrait s’achever  le dernier chapitre de ces chroniques du Tro-Breiz.

Il nous faut maintenant mériter ce testimonium, témoin de l’achèvement de notre pèlerinage jubilaire en franchissant les portes saintes ouvertes à cette occasion aux façades des 3 autres grandes basiliques pontificales avec celle de Saint Pierre du Vatican : Sainte Marie Majeure au sommet du mont Esquilin, attention, il ne reste plus que 6 médaillons à recevoir le portrait des successeurs de François ; Saint Jean de Latran sur le Mont Caelius où les majestueuses statues des apôtres façon Le Bernin rivalisent avec les lignes sobres et en contrepied des bas-côté dessinés par Borromini  et le gigantesque Saint Paul hors les murs que dessert une station de métro.

En allant des unes aux autres, nous avons découvert, notamment, en allant admirer la belle église saint Clément et sa croix pattée bleue enpigeonnée, après celle de sainte Praxède, aux somptueuses mosaïques, l’église des Quatre Saints Couronnés, toujours innommés, dans l’avant cour de laquelle un escalier conduit à l’une des succursales des Petites Sœurs de l’Agneau, nouvelle congrégation féminine mendiante au sein de laquelle notre petite cousine Charlotte va prononcer, début avril, en la cathédrale de Mirepoix (Aude), ses vœux perpétuels sous le nom de petite sœur Anne-Marie.

Nous n’avons pas manqué, non plus saint Pierre aux liens et le tombeau du pape Jules II, laissé inachevé par Michel-Ange qui a néanmoins réussi son fameux Moïse cornu, résultat d’une mauvaise traduction par la vulgate de saint Jérôme de l’hébreu « Karan », rayonner,  en latin « cornuta »…

Incontournable est la visite des catacombes : un taxi qui nous a emmené directement à celles dites de Saint Calixte, fermées entre midi et 14 heures. Sous la pluie nous avons été jusqu’à celles toute proche de saint Sébastien, où nous avons dû néanmoins attendre la disponibilité du guide francophone, un kabyle parfaitement versé dans l’histoire des premier chrétiens, la voie Appia antica semble n’avoir pas de secret pour lui. Aux catacombes de Calixte, c’est un mauricien qui nous a accompagné. Les voies de Dieu sont impénétrables (Ro 11, 33)

Pour revenir, nous avons repris, à pieds, la via Appia jusqu’à la station de métro du cirque Massimo, face à l’immeuble onusien de la Food & Agriculture Organization qui a là son siège international. Nous avons franchi l’enceinte d’Aurélien par la porte Saint Sébastien qui ouvre dans les remparts d’Aurélien, puis longés les thermes de Caracalla, fermés à la visite.

Le soir nous étions bien fatigués : on marche beaucoup à Rome ; heureusement, il y a les églises toujours ouvertes à la prière et au repos des pélerins.

Ne croyez pas que nous ayons négligés le Campidoglio, magnifique place dessinée par Michel-Ange au sommet du Capitole, ni les fori imperiali, ni beaucoup d’autres belles choses aussi qui ne peuvent toutes se raconter : il faut y aller et se laisser aller à la flânerie, à Rome, comme à Athènes et Jérusalem, trois villes fondatrices qu’on ne peut pas ne pas connaitre

Dans l’avion de retour, Aurélie, jeune femme aux yeux clairs rencontrée avec son compagnon et un couple d’amis aux catacombes de Saint Calixte vient m’interroger, comme prévu, lorsque j’avais fait état de mon statut d’étudiant en théologie. Je me suis efforcé de répondre au mieux à sa curiosité en lui racontant l’histoire de l’humanité crée libre et devenue pécheresse par le mauvais usage de cette liberté octroyée, Dieu unique qui se révèle petit à petit au chercheur d’absolu et l’élection du peuple d’Israël pour lui donner envie de lire l’ancien testament qu’elle a vu illustré un peu partout pendant son séjour à Rome. Je lui est aussi raconté l’hapax Jésus, vrai Dieu, vrai homme, le mystère de l’incarnation, Noël, évènement unique survenue dans l’histoire de l’humanité en Palestine, il y a un peu plus de 2000 ans, sa passion, sa mort crucifié et sa résurrection le jour de Pâques que racontent les Evangiles pour lui donner la curiosité de les lire et l’envie de croire à la bonne nouvelle qui y est annoncée : Dieu a un visage, celui du Christ qui nous a aimé, toi et moi et tous ceux qui sont dans cet avion bourlingué par les rafales de vent lors de sa descente sur Bouguenais, au point de mourir pour chacun de nous pour que nous ayons la vie éternelle. Bref, j’ai essayé de faire mon boulot de baptisé : « malheur à moi si je n’annonce pas la bonne nouvelle » (Paul 1 Co 9, 16)

On a finalement réussi à atterrir, elle est partie vers la Vendée et nous sommes rentrés sur Brangolo

Ainsi pourrait s’achever  le dernier chapitre de ces chroniques du Tro-Breiz.

La terre de Brangolo ne me brûle pas vraiment la plante des pieds, mais voici que vient de débuter, le 25 mars, jour de l’annonciation, le grand jubilé de Notre dame du Puy en Velay… Le précédent s’était déroulé en 2005 et Jean-Yves Frontdefer y avait emmené les bretons des Journées Paysannes ; j’en faisais partie, moyennant quoi, au mois de décembre suivant, je bénéficiai d’un sursis, qui dure encore, à la suite d’un infarctus du myocarde survenu à l’issue d’une journée de visite à l’Ile Longue, dans la rade de Brest !

Le jubilé va se clore le 15 août et le prochain aura lieu en … 2157 !

Quant au sursis, il ne sera pas éternel ici-bas…

Intron Varia, pedit evidomp, bremañ ha da eur hor maro.

Alors, « l’an prochain à Jérusalem ? »

« Le monde a soif d’espérance » a rappelé le Pape François lors de la veillée pascale 2016, avec une attention particulière le jour de Pâques, dimanche 27 mars 2016, à l’occasion de sa bénédiction « Urbi et Orbi » à l’égard des migrants et réfugiés « ces hommes et femmes en chemin vers un monde meilleur ».

Ne le sommes-nous pas, peu ou prou, les uns et les autres ?

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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