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NOËL A SAINT ELOY (Histoire de Noël)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

A quelques jours de Noël, Keranforest propose aux lecteurs d’Ar Gedour cette belle histoire de Noël. Ecoutez en même temps « Nouel Mabig Jezuz« , interprété par les Gedourion ar Mintin (Lorient – 2009). Nedeleg laouen deoc’h !

La neige descendait sur les toits de Saint-Eloy, sur les balustrades du clocher, sur toutes les moulures et toutes les pierres du calvaire. Sur la place, le vieux chêne au tronc noir comme du bois calciné se laissait caresser par les flocons et se voyait lentement recouvrir d’une blanche fourrure.

Dans la ferme de Pen ar Hleuz, la cheminée tire mal par temps de neige. La fumée refluait, par bouffées. Cheun Chomazao n’avait pas dormi de la nuit. Depuis quelques jours, il n’arrivait pas à trouver le sommeil. Joséphine l’observait, sans rien dire. Cheun n’était pas bien, se disait-elle. Elle avait raison : quelque chose rongeait le ventre de son mari, comme s’il avait eu un renard enfermé dans ses boyaux. Joséphine lui apporta un grand bol de lait chaud. On dit que c’est bon pour le mal d’estomac. Cela faisait trois nuits que Cheun ne dormait pas.

Il y avait des années qu’il s’était brouillé avec ceux de Pond ar Fresk, à cause d’une injustice arrivée à la suite du remembrement. Depuis, Cheun gardait un rancune contre Pol du Fresk et les voisins ne se parlaient plus. Or, il paraît que les affaires de Pol n’allaient plus et qu’il avait même des ennuis de santé.

Voilà qu’un matin , Cheun avait rencontré dans le chemin des garennes d’en-haut le fils de Pol, qui ramenait ses vaches. Le garçon lui avait souhaité « un joyeux Noël ! » d’une voix qui avait frappé Cheun et complètement étonné. Puis l’enfant avait enchaîné :

« Mon Papa est très malade et peut-être qu’il va mourir. »

Cette voix claire, ces yeux innocents qui l’avaient regardé en lui disant « Joyeux Noël ! », Cheun ne pouvait plus s’en défaire. C’était comme une obsession . Cet enfant-là avait quelque chose de beau, d’attendrissant même, que Cheun n’arrivait pas à oublier. « Mon papa est très malade et peut-être qu’il va mourir. » La nuit, ça revient. Cheun n’y peut rien. Il n’en parle pas à Joséphine, mais elle a sûrement remarqué que depuis deux ou trois jours il est devenu taciturne, voire irritable. Enfin il n’en peut plus, le visage et la voix de cet enfant le hantent.

Alors en cette veille de Noël il décide : il sait que le Recteur se tient à l’église l’après-midi. Cela fait combien d’années qu’il n’est pas entré dans « l’armoire à péchés » ? s’interroge Cheun. « Mon Papa est très malade … » On dirait que la voix de ce petit gars le propulse. Cheun pousse la porte, il entre. Personne. Rien que le tic-tac pacifiant de la grande horloge. Ah si ! Le Père Aimé a bougé dans la boîte : il est à son poste ! Intimidé, sa casquette entre les doigts, Cheun se dirige vers le vieux confessionnal. Il n’avait jamais remarqué jusqu’ici le grand bouquet de fleurs qu’un menuisier d’autrefois a sculpté dans la porte. Cheun entend ses sabots qui raclent les dalles inégales. Comme ça résonne ! Il a presque honte. Pourtant il est seul. Personne pour le juger. La voix du petit garçon semble le pousser ; elle bouscule sa honte, elle fait fondre sa peur d’être ridicule. Le Père Aimé a fait mine de toussoter derrière la porte ajourée au grand bouquet de fleurs. Peut-être pour faire savoir qu’il est là. Qu’il attend.

C’est ça : Cheun se sent comme attendu par quelqu’un. Le regard lumineux de Petit Jean l’accompagne. Jusqu’à la planche de l’agenouilloir, qui craque sous son poids. Il fait quasiment nuit dans le confessionnal. Mais, entre les fleurs et les feuillages, on voit le jour et le soleil d’hiver qui baigne les piliers de l’église silencieuse.

   *****

Quand il sort de l’église, Cheun a pris sa décision. Folle ! Risquée ! Pas prévue ! Il va monter à Pond ar Fresk. Il va frapper à la porte de Pol . Quelle tête va faire Lise ?… Tout se bouscule dans le cœur de Cheun qui bat de plus en plus fort à mesure qu’il avance. La maison est devant lui. La porte n’est pas fermée. Le soleil nappe la cloison peinte en vert, les sabots, alignés. Un chat roux s’éclipse de la pierre du seuil, disparaît dans la maison. La bonne odeur de l’ajonc qui flambe ! La bonne odeur des légumes qui cuisent ! Ce soir, c’est Noël. Cheun est entré. Debout , il voit Pol, près du feu, assis, une laine rouge sur les genoux. Dieu qu’il est maigre ! sur sa figure blanche la barbe est comme de la suie. « Qu’est-ce qu’il a coulé ! » se dit Cheun. Les deux hommes se dévisagent. Cheun ne trouve pas ses mots. Brusque, il lâche :

« Polic, j’ai été moche avec toi ! Je regrette. Je suis monté pour te le dire ».

Lise ouvre de grands yeux, médusée. Elle pose sa louche sur la table et serre machinalement le bas de son tablier. Sur la chaise, Polic a ouvert la bouche. Aucun son n’est sorti. Tout à coup, il se met à pleurer. A pleurer en silence, la tête entre les mains. Cheun s’est avancé. Il a posé ses deux mains sur les épaules secouées de sanglots. C’est alors qu’entre le petit garçon dont le regard poursuit Cheun depuis ces quelques jours. Et Cheun est si ému qu’il balbutie :

« ce soir, c’est Noêl ; je vais chercher mon lambic et je reviens avec Joséphine, pour fêter ça,si vous voulez bien ? »

Lise s’est serrée contre son époux. Elle pleure doucement sur sa joue mal rasée. Il fait si bon, tout à coup, être là, comme ça. Elle ne sait pas ce qui arrive. On dirait que quelque chose d’extraordinaire est en train de se passer, là, tout simplement. Etonnée, émerveillée, Lise répond :

« Si nous voulons bien ?…Mais… c’est… ce n’est pas… « 

Elle ne sait rien dire de plus. Cheun a eu un geste gauche et il est sorti. Pol et Lise se regardent, des larmes plein les yeux. L’émotion leur enlève la parole. Alors la voix de l’enfant éclaire la pièce :

« Papa ? C’est aujourd’hui Noël ! »

Dehors, dans la belle lumière rose de cette veille de Noël, le grand coq blanc s’est mis à chanter.

À propos du rédacteur Keranforest

Né en 1939 à Carantec. Agrégé d'anglais, essayiste, poète, romancier. Devenu prêtre, animateur du Tro Breizh, il a été longtemps chroniqueur au Télégramme de Brest. Poète élégiaque, il est aussi l'auteur de deux romans qui ont la Bretagne pour cadre.

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