Physique cantique en Bretagne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

Nous sommes heureux quand notre travail sert de base aux sonneurs et bagadoù. Régulièrement, des musiciens nous remercient pour le site Kan Iliz que nous avons développé, permettant à chacun de trouver partitions, paroles et traductions de beaucoup de cantiques bretons (plus de 250 à ce jour). Au fil de nos veilles internet, nous avons découvert cet article publié par la Kevrenn de La Rochelle en juillet 2022. Nous pensons que nombre de nos lecteurs seront intéressés, c’est pourquoi nous vous le retranscrivons ici, mais que vous pouvez retrouver en totalité via ce lien

Ce n’est qu’à partir des années 60 et plus précisément à partir du Concile Vatican II (1962) que l’usage des langues locales sera autorisé pour la célébration de la messe et des offices. Auparavant, seul le latin est permis. Ite missa est, mais alors pourquoi tant de vieux cantiques en Bretagne ?

Plutôt qu’au travers des offices, c’est grâce à l’effort d’évangélisation des campagnes dès le XVème siècle et grâce à la vigueur de la pratique du “Pardon” en Bretagne que l’on doit sans doute la richesse et la sauvegarde du répertoire des cantiques bretons.

Le terme de ” missions ” évoque naturellement les campagnes d’évangélisation menées au Brésil, aux Philippines, au Japon, en Chine, ou en Inde à la suite des grandes aventures maritimes des XVI ème et XVII ème siècles. Mais, à cette époque, nul besoin d’aller au bout du monde pour rencontrer des « sauvages » ou tout du moins des paysans analphabètes et peu férus de religion. Ils sont nombreux dans la campagne bretonne !

L’évangélisation des paysans et des villageois est conduite sous la forme de “missions pastorales” confiée à des gens d’église formés à cet effet. Elles consistent à aller à la rencontre des habitants d’une paroisse et à tenir des réunions animées par un ou plusieurs prédicateurs, souvent accompagnés de femmes plus facilement accueillies avec bienveillance. Ces réunions se tiennent, durant quelques jours, voir une semaine entière, dans la maison ou la ferme d’un participant plutôt que dans une église ou une chapelle où la parole serait moins libre (d’autant que ces interventions sont plutôt perçues comme une inquisition par le clergé local). Souvent, à la clôture, une simple croix ou un grand crucifix sont érigés, en un lieu public proche, comme témoignage de la mission.

On y pratique des exercices spirituels (récitation du chapelet, confessions…), on y écoute des prêches enflammés ainsi que des récits, adaptés de la Bible ou de la vie des saints, souvent délicieusement terrorisants, mais on y apprend et on y chante aussi de très nombreux cantiques.

Les historiens citent fréquemment Dom Mikêl an Nobletz (1577-1652) (1), comme le premier et l’un des plus vigoureux de ces missionnaires. Il a particulièrement parcouru la Basse-Bretagne, n’hésitant pas à s’exprimer en breton pour mieux se faire comprendre. Il est l’inventeur d’une méthode pédagogique innovante basée sur les taolennoù, (2) ainsi que sur des recueils de cantiques en langue vernaculaire à savoir donc le breton.

 Son disciple le Père jésuite Julien Maunoir (1606-1683) (3) prendra le relais en publiant en 1642 un nouveau recueil de cantiques. “Les cantiques de Dom Michel et de Julien Maunoir”. En effet s’il reprend à son compte l’usage des fameux taolennoù, il s’appuie davantage sur les cantiques. Cette tradition du chant “missionnaire” sera poursuivie par Louis-Marie Grignon de Montfort (1673-1716) (4).

 Ces cantiques, appris par cœur, seront chantés pendant trois cents ans par les Bretons bretonnants. La proximité avec la musique profane est plus ou moins acceptée par l’ensemble du clergé et l’utilisation d’un breton truffé de gallicismes (5). apprécié semble-t-il à l’époque, sera source de nombreuses critiques par la suite.

Les missions pastorales sont tombées en désuétude dans les années 1960, mais les cantiques bien appris ont survécu.

Mais n’oublions pas non plus la tradition très importante du ” pardon ” qui repose sur une double culture à la fois chrétienne et celtique.

Le pardon, apparu au XVème siècle, commence généralement par une messe suivie d’une procession vers un lieu sacré, une église, une chapelle, voir une fontaine, selon un parcours bien défini, et se termine très souvent par une fête populaire où la musique et la danse tiennent une grande place. Avec près de six mille chapelles, environ cinq cents saints dotés de pouvoirs extraordinaires, il y de quoi faire ! Et puis, si les saints sont là pour soulager les malades ( par exemple au pardon de Notre-Dame-de- Rumengol ) ou conforter des corporations (pardon de saint Yves à Tréguier pour les avocats) d’autres pardons ont pour objet la bénédiction des animaux en particulier des chevaux ( pardon de Clohars-Fouesnant  ou de Penvénan) et des bovins ( pardon de saint Herbot près du Huelgoat ou de saint Cornély à Carnac) ou plus original le pardon des oiseaux ( pardon de Toulfoën à la lisière de la forêt de Clohars-Carnoët, à proximité de Quimperlé. Il ne faut pas oublier bien sûr les innombrables pardons liés à la bénédiction des bateaux dans les villes et villages en bord de côte. Enfin, il convient de citer les curieux pardons “mud” (muet) aux origines sans doute bien plus anciennes, tel celui de la Chapelle de Ty Mamm Doué à Kerfeunten près de Quimper ou les fidèles précédés d’aucun prêtre marchaient en silence. Mais là pas question de cantique naturellement !

Nombreux au temps de la Renaissance, presque disparus avec la Révolution française, les pardons retrouvent toute leur vigueur et tout leur lustre à la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème siècle. Des cantiques spécifiques à tel ou tel pardon sont composés avec des paroles écrites en fonction de l’objet du pardon ou de l’endroit où il se déroule. Les compositeurs de ces cantiques, aux très nombreux couplets égrainés au fil de la procession, utilisent souvent des mélodies très connues (6) comme le cantique du pardon de Notre-Dame-de-Quelven (7) réécrit en 1889 (en orthographe phonétique) par François-Marie Falquérho, prêtre du diocèse de Vannes ( écouter ). 

On dénombrerait encore aujourd’hui plus de deux mille pardons en Bretagne ! En mai  2020, les pardons ont du reste été inscrits à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel en France à l’initiative de Bretagne Culture Diversité.

De nos jours, trois diocèses, ceux de Quimper. Saint-Brieuc et Vannes possèdent une grande partie des nombreux recueils plus ou moins anciens répertoriant ainsi des centaines de cantiques parmi lesquels les plus beaux sont bien sûr ceux du pays vannetais avec leur tonique en Fa … bien que le plus chanté à travers le pays breton est peut-être le cantique du Léon : ” Da feiz hon tadoù koz” .(écouter) . ” A la foi de nos ancêtres”.

Pour partie, seules les paroles de ces cantiques sont consignées. Les multiples couplets sont juste accompagnés de la mention « air connu » ou au contraire « air nouveau ». Quelle importance puisque qu’on ne savait pas lire et encore moins déchiffrer l’écriture musicale !

Chantés par des chorales, repris par des solistes ou interprétés sur des instruments, en particulier la bombarde et l’orgue, ces cantiques sont aujourd’hui au programme de nombreux concerts et font l’objet d’une discographie importante. On peut citer, par exemple, les albums d’Anne auffret. de Yann-Fañch Kemener, de Jean Le Meut, et de chorales comme les Kanerien Bro Leon, les Kanerion Pleuigner, les Mouezh Paotred Breizh, la Manécanterie Saint-Joseph de Lannion, la Psalette de Tréguier ou les Chœurs de la Maîtrise de Sainte-Anne d’Auray.

 Certaines mélodies de ces cantiques bretons ont eu tellement de succès que des paroles en français ont été écrites, afin d’en faire des cantiques chantés partout à travers la France : le chant « O viens sagesse éternelle » qui est une reprise du cantique de communion ” O aelez ar baradoz ” recueilli et harmonisé en 1933 par G Arnoux ( écouter ) ou encore ” La nuit qu’il fut livré, le Seigneur prit du pain ” est écrit sur l’air du cantique”Lavaromp ar chapeled” ( écouter ) recueilli et publié par Roger Abjean en 1985 (8)

HG,/YK juillet 2022

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7 Commentaires

  1. Fiskal titl ho pennad !!!

  2. Il faut faire la différence entre la célébration de la messe dans les langues vernaculaires et l’usage des cantiques bretons (et des cantiques en général) au cours de la messe.
    On chante des cantiques pendant la messe depuis le XIXeme siècle (et peut-être déjà au XVIIIeme). C’est la raison pour laquelle, Saint Pie X et plus tard Pie XII admettrons l’usage des cantiques populaires pendant la messe (mais certainement pas à la place du propre grégorien comme c’est le cas depuis le concile Vatican II).
    Quant à l’usage des langues vernaculaires pour la liturgie, Sacrosanctum Concilium précise néanmoins que dans les rit latins, l’usage de la langue latine sera conservé. L’ usage des langues vernaculaires dans la liturgie relève d’un indult qui malheureusement comme bien des choses est devenu la norme, et de ce fait l’usage du latin l’exception. Cela étant dit, il reste à prouver que nos langues régionales soient compris dans le terme “langues vernaculaires”.

    Cela étant dit, pour ne pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : longue vie au cantique breton (à distainguer du cantique en breton) dans la liturgie…pourvu que celui-ci n’éclipse pas le chant liturgique qui doit primer et donc le chant grégorien qui est le seul véritable chant liturgique !

  3. Je n’ai pas tout compris dans l’usage du breton vernaculaire et Concile Machin, mais j’ai le livre de ma Grand’Mère Anna Cailloce”Livr er gongréganisted aveid er ré e zou é congrégation er huériès vari” 1893, é ti Lafolye é Guéned et ” Livre pedenneu overenn ha gospereu groeit è latin hag é brehoneg get en DD? Guillevic ha Priellege, 1927 (947 pajenn!). Lafolye. J’en conclus que le breton était d’usage courant, non, en liturgie? Et je ne connais que les cantiques EN breton, les autres étant EN français et non “bretons”, non? Ok pour le grégorien. Aveid Doué ha mem Bro.

    • Les recueils de cantiques en breton n’étaient pas à proprement parler au départ pour la liturgie de la messe, mais pour les moments “paralyturgiques” entre deux actions liturgiques, comme pour les procession, les moments de salut du Saint Sacrement,
      Les temps d’adoration pendant la messe, l’Angélus, le Catéchisme, les missions, les prédications, les nombreuses dévotions de confréries (dont Congregasion er Huériez Vari.) Les cantiques bretons pouvaient être insérés dans la liturgie sans en faire partie (la liturgie proprement dite ne concernant jusqu’au missel de 1970 que ce qui était contenu dans le missel romain.
      Même si l’essentiel de la liturgie était en latin, les occasion ne manquaient pas de chanter en breton.
      Concernant le livr overenn Guillevic-Le Priellec, comme ses devanciers. C’était un livre pour les fidèles avec les traductions en breton des textes de la messe afin que les fidèles puissent les suivre dans leur langue maternelle, à l’instar des nombreux paroisssiens français.
      Le breton était aussi utilisé à la messe lors du prône, où l’on pouvait lire la traduction de l’épître et de l’Evangile ainsi que toutes sortes d’avis locaux comme plus généraux ainsi que bien sûr lors du sermon. Ce n’était donc pas un livre liturgique à proprement parler, même si le chanoine Mathurin Le Priellec avait fait un remarquable travail d’adaptation des hymnes des vêpres versifiées en breton, ainsi que des principales proses et séquences, c’était pour la dévotion des fidèles et non pour le chant

      A greiz kalon,

      Uisant.

  4. @Louis-Marie Salaün
    .
    “le chant grégorien qui est le seul véritable chant liturgique !”. Cà me gêne un peu de lire ce genre de propos.
    .
    Il n’y a pas que le latin dans la liturgie officielle:

    . Kyrie Eleison (grec)
    . Hosanna, Alleluia (hébreu)
    . Amen (araméen)

    J’en oublie peut-être..
    .
    Mais surtout, il serait stupide et inquiétant de laisser penser que la liturgie (forcément standardisée) l’emporte sur la prière (par définition très créative), qui, elle, peut se faire sur quantité de musique (par exemple, la harpe de David, la musique africaine au balafon, la bombarde liturgique en Bretagne) et dans n’importe quelle langue. Je dis bien n’importe quelle langue (latin compris!) et donc en ce qui nous concerne: le breton aussi.

    Celà dit, je ne nie pas que le grégorien soit un chant très abouti qui favorise une bonne stature physique (le thérapeute Alfred Tomatis, spécialisé dans l’oreille et l’écoute, l’avait bien compris qui avait choisi de l’utiliser dans sa méthode)
    .
    « Jezuz pegen braz vez plijadur an ene pa vez e gras Doue ». Connaissez-vous un autre chant d’église qui évoque le plaisir (plijadur) , même s’il précise immédiatement qu’il s’agit de celui de l’âme ? Il arrive que nos cantiques bretons atteignent au génie universel, insurpassable. C’est le cas de celui-là, dont la mélodie également est exceptionnelle, par sa profondeur et sa douceur.

    Donc oui au grégorien, mais pas seulement. Tout le monde a le droit de vivre et d’exister. Et n’oublions pas que nous sommes tous différents, uniques: d’abord et surtout aux yeux de “Dieu”. C’est celà le prodige de la Création.

    Pep hini a c’hell bevañ. Dreist holl dindan selloù hon Ao Doue!

    A galon

    • Le propos ici n’est point de mépriser les autres formes artistiques musicales, que le chant grégorien, mais de remettre les choses à leur juste place, comme cela avait été bien défini par saint Pie X, (tra le solletucidini en 1903, par Pie XII (de musica sacra en 1958) puis par la constitution conciliaire sacrosanctum concilium du Concile Vatican II, qui a été interprêtée de travers, à l’inverse de l’esprit comme de la lettre du texte selon une herméneutique de rupture et non de la continuité.
      C’est précisément le sens d’une authentique tradition, où le chant grégorien liturgique cohabite harmonieusement avec le chant religieux populaire ainsi que la musique savante en perpétuelle création mais puisant ses racines dans le génie musical des différents peuples.
      C’est ce qui a en bonne partie disparu avec la fausse interprétation de Sacrosanctum concilium.

  5. Daoust ha ma ne vefe ket komz eus “langues autochtones” e lec’h “langues locales” ?

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