Le Tro Breiz a 30 ans : entretien avec Philippe Abjean

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min
Photo Ar Gedour (DR)

Le tronçon 2024 du Tro Breiz s’est élancé lundi depuis Redon, pour marcher en direction de Nantes, avec une arrivée prévue ce samedi après-midi pour la messe solennelle présidée par Mgr Percerou, évêque de Nantes, à la basilique Saint Donatien et saint Rogatien.

Disons-le, Nantes ne fait normalement pas partie de la boucle du Tro Breiz traditionnel, provoquant le grincement de dents de certains, mais le tronçon n’est pas dépourvu de sens, lorsqu’on sait que Redon a eu une part importante dans l’histoire du christianisme en Bretagne, et qu’à Nantes, Saint Clair a pris une part non négligeable dans l’évangélisation de la Haute-Bretagne.

Depuis 1994, le Tro Breiz a anticipé sur cet engouement hexagonal, pour revisiter l’antique périple sacré, et l’adapter au rythme de la vie professionnelle des uns et des autres. Le Tro Breiz souffle ainsi ses 30 bougies cette année, et plus particulièrement ce 1er août à Grandchamp des Fontaines,  ayant vu passer des milliers de pèlerins depuis sa résurrection portée par Philippe Abjean. Nous l’avons interrogé à cette occasion pour revenir sur ces trois décennies à marcher sur les pas des saints fondateurs de la Bretagne, avant le rendez-vous donné à l’arrivée à la basilique Saint Donatien et Saint Rogatien samedi après-midi, à Nantes, et pour lequel il a souhaité la présence de mille drapeaux bretons.

Le Tro Breiz est un Rosaire où l’on avance grain à grain comme on avance pas à pas sur la route (Philippe Abjean)

Le Tro Breiz a trente ans. Quel est ton regard aujourd’hui sur cette aventure commencée en 1994 ?

En août 1994, le Tro Breiz a repris naissance à Saint-Pol de Léon. Le Tro Breiz ressuscité a aujourd’hui 30 ans. Trente ans déjà que des milliers de pèlerins ont répondu à l’appel qui invitait à refaire des chemins du Tro Breiz un immense chemin chrétien. Et pour chacun d’entre nous un patient chemin d’évolution. Trente ans, ce n’est rien au regard de l’histoire de l’Eglise. C’est à peine le temps des semailles, sans souci aucun de la récolte. Mais tout ce qui a été accompli par l’exemple de chacun depuis des années, lèvera un jour, soyez-en sûrs. « A nous le travail ; à Jésus le succès », aimait à rappeler Sainte-Thérèse. Le trentième  anniversaire de Redon à Nantes st l’occasion de remercier le Seigneur de tout ce que nous avons vécu ensemble, de beau et de grand. Car pour tous les pèlerins, A quelque moment qu’ils aient pris la route, il « s’est passé des choses », en eux, sur les chemins du Tro Breiz ». Des choses auxquelles ils ne s’attendaient pas.

Pourquoi passer par Nantes, qui ne fait pas partie du trajet traditionnel du Tro Breiz ?

Le Tro Breiz est ordinairement un périple sacré qui relie les sept cathédrales de Quimper, Saint-Pol de Léon, Tréguier, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Dol etr Vannes. Le choix a été fait d’ajouter, dans une boucle, exceptionnellement Rennes et Nantes pour trois raisons majeures. D’abord, parce qu’il a existé par le passé un « Tro Breiz des neuf cathédrales » comme l’indique l’historien Pierre Le Baut au XVème siècle. Ensuite parce que nous souhaitons rappeler que Nantes fait partie intégrante de la Bretagne dont elle est la capitale historique. Enfin pour asseoir encore davantage la notoriété du Tro Breiz au-delà de l’ouest de la péninsule. L’an prochain, nous rejoindrons Vannes pour reprendre le circuit traditionnel. 

Le COVID a cassé une certaine dynamique, mais il était peut-être aussi nécessaire au Tro Breiz de se réinventer. Aujourd’hui, les marcheurs retournent sur les routes, un peu moins nombreux, mais la motivation est-elle toujours aussi présente ?

L’interruption liée au Covid aurait pu porter un coup fatal à notre association. Elle a été aussi l’occasion d’une réflexion. Car nous devrons sans doute nous réinventer tant nous sommes confrontés aux complexités administratives qui font de notre aventure commune, chaque jour davantage, un parcours du combattant. Avec des autorisations à solliciter en nombre, des communes, des collectivités, des départements, de la Gendarmerie… Des règles toujours plus contraignantes et le développement dans notre pays d’une mentalité de plus en plus procédurière qui finit par décourager le bénévolat. Trente ans après, une interrogation se fait jour en effet: ce ne sont pas des règles de plomb, malléables à souhait qui nous sont imposées. Bien plutôt des règles de fer… Aurons-nous demain la possibilité d’organiser des pèlerinages collectifs comme de maintenir les pardons bretons au nom d’un laïcisme de plus en plus virulent ? Nous avons hélas de bonnes raisons de nous inquiéter . Pas question pour autant de s’arrêter. Nous croyons qu’une certaine spiritualité trouve une expression idéale chez nos vieux saints bretons sur les pas de qui nous cheminons

Toute une génération a pu accompagner le Tro Breiz, que ce soit pour marcher, mais également en tant que bénévole dans la liturgie, la logistique, l’accompagnement. Le résultat au fil des équipes a donné le succès que l’on sait. Mais il faut également penser aux trente années à venir. Quelle place y a-t-il pour les jeunes aujourd’hui ?

Cet anniversaire est l’occasion d’exprimer notre gratitude à ceux qui nous ont apporté l’eau vive sur le chemin : nos pasteurs au premier rang desquels les évêques, dont la présence fidèle et fraternelle est désormais indissociable du Tro Breiz, les prêtres des diocèses de France, les Pères, Frères et Soeurs de tant de communautés, les séminaristes et les laïcs comme autant d’apôtres en marche… Hommage aussi aux serviteurs obscurs affairés à tous les postes, parfois ingrats, qu’exige cette organisation : les administrateurs, le secrétariat, l’ouverture du chemin et le balisage, la sécurité, le Point Information, les Points d’eau, le transport des bagages, la restauration, le poste de secours…

Mais le principal défi sera d’amener les plus jeunes sur les chemins du Tro Breiz comme ils le sont déjà sur les routes de Pentecôte vers Chartres. Car il y a un enjeu de transmission au sein de l’Église, de vocations. Nous avons quelques idées en ce sens. Le Tro Breiz doit être aussi un rassemblement festif, d’enseignement, d’appel…

Saurais-tu nous citer quelques fruits, notamment spirituels, que tu as pu percevoir au fil de ces 30 ans de Tro Breiz ?

Le Tro Breiz est un grand chemin dans ce XXIème siècle ! Il n’appartient à personne, à aucune communauté religieuse ni à aucun diocèse. Il est le lieu irremplaçable d’une rencontre fraternelle entre croyants et incroyants, pèlerins et randonneurs, chrétiens de toutes chapelles… Les fruits spirituels du Tro Breiz sont le secret de chacun tant il est vrai qu’il y a autant d’âmes que de visages. On ne demande pas à un pèlerin pourquoi il marche ; c’est entrer par effraction dans un jardin secret. La confidence se divulgue parfois au fil de la marche mais jamais ne se quémande. Tous l’éprouvent : le temps de la marche est celui de la mémoire, celui des souvenirs enfouis, heureux ou malheureux, parfois aussi des blessures inavouées…Et le temps de l’arrivée est souvent celui des regrets ; quand on prend conscience que l’on n’a pas été capable de demander, tout simplement, à son compagnon de marche : «  Quel est ton tourment ? »

Le chemin est aussi le temps de rendre grâce à Dieu pour la fatigue, l’inconfort, les moments de doute aussi quand on ne parvient plus à écrire sur son carnet de route que des pages de silence. Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est chemin. C’est alors que le Christ marche avec nous. C’est dans ces déserts intérieurs que l’Esprit se plaît à faire irruption.

Le chemin de l’âme est un autre voyage. Tout au long du Tro Breiz, depuis trente ans, les pèlerins  marchent tout spécialement avec Marie, elle qui fut la première pèlerine et dont la route fut plus dure, plus âpre que la nôtre. Le Tro Breiz est un Rosaire où l’on avance grain à grain comme on avance pas à pas sur la route. Puissions-nous, pèlerins du Tro Breiz, continuer à apporter sans relâche le Christ dans les maisons, comme Marie dans celle de Zacharie ! Puissions-nous laisser rayonner Celui que nous portons ! A la fin du pèlerinage, les pèlerins marchent dans la joie, c’est-à-dire dans le rayonnement de sa présence mystérieuse en leur âme.

Puisse le Tro Breiz continuer à être le temps de toutes les aides, celui où nous découvrons que, dans nos petites et dans nos grandes souffrances, nous ne sommes jamais seuls. Puisse t-il être le lieu où souffle l’Esprit qui  fait gonfler nos bannières de procession, à chaque arrivée, comme autant de  voiles parées à l’appareillage !  Puisse t-il être le chemin d’exception où l’on apprend les mots, les mots du cœur, qui réveillent un peuple !

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Propos recueillis par Eflamm Caouissin

Philippe Abjean a publié aux Editions Ar Gedour l’ouvrage « Apprends-moi les mots qui réveillent un peuple ». Vous pouvez en savoir plus en cliquant sur ce lien.

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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