Saints bretons à découvrir

SAINT BIEUZY / SANT BIC’HWI

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

bieuzy, bihoué, saint lumine, saint vougay, saint Gildas, saint BihyBieuzy est la graphie française et cléricale d’un nom que les clercs bretonnants prononcent Bic’hwi (c’ est à dire écrit Bihui en vannetais). On l’ a  généralement identifié avec le Saint-Bihy  patron d’ une paroisse près de Quintin,  titulaire d’ une chapelle en Plélo et d’ une autre en St-Nicolas-du-Pelem où son nom a été catholicisé en Eusèbe (Capella sancti Eusebii), bien que le nom de Bihi puisse s’ expliquer autrement que par Bic’hwi (il peut  provenir de *Bekkios, dérivé de *bekkos “ petit).  Sous le nom français de Bieuzy il est  l’ éponyme de la paroisse de Bieuzy (-Castennec) et le patron de l’ église tréviale de Bieuzy-Lanvaux (en Pluvigner). On lui connait une chapelle en Ploemeur et une autre en Nostang.

 

La graphie Bilci
    L’ étude du nom de Bieuzy-Bic’hwi a dû tenir compte de la charte 391 de Redon où la paroisse de Bieuzy sur le Blavet est appelée Parrochia sancti Bilci, Uilla sancti Bilci. L’ identification est indubitable et la graphie répétée plusieurs fois. Or ce nom est rigoureusement incompatible tant avec Bieuzy qu’ avec Bic’hwi : Bilci est un génitif et implique un nominatif Bilcus. Un -c- britto-latin ne peut correspondre avec un -z- du 13ème siècle (1288 : Beuzi). Il est donc certain que Bilcus est une forme cacographique adoptée par le copiste de la charte. On peut  en  retenir les deux premières lettres, Bi-,  que le -c-, particulièrement nettement graphié, devait avoir un correspondant dans le nom original mal lu,  et que le -l- doit correspondre avec la hampe d’ une lettre de l’ original. Ceci  renforce la légitimité d’ une graphie comportant un -ch-.

Une fausse régression
     Au premier abord on pourrait se demander comment concilier ce -ch- avec le -z- de Beuzi et du Bizuy de 1480. Mais en fait cette dualité s’ explique fort bien, car le passage de [th]  à  [x]  en vannetais étant antérieur au 11ème siècle,  -th- et  -ch- étaient également prononcés [x]. Un clerc risquait donc d’ écrire -Z-, norme littéraire pour l’ ancien -th-, dans un mot où le [x] correspondait à un -ch-. La graphie Bizuy est ainsi la transcription de Bic’hwi avec une fausse régression; dans Beuzi on a une inversion de lettre qui  est peut-être dûe seulement au copiste du 18ème siècle (on ne peut se fier à Dom Morice).

De Bic’hwi à Pic’houe
    A 5km au Nord de la chapelle de Ploemeur se trouvent les ruines du village de Lann-Bihoué, qui a été aussi écrit Lande-Behoy. A nouveau 2km plus au nord on trouve le village de Bihoué, qui fut le bourg trévial de la paroisse dite de “ Bihouée ”, divisée aujourd’hui entre Quéven et Guidel. En usage vannetais Bihoué ne diffère de Bihui que par une variante de prononciation de la diphtongue oue (gallois wy) : Doue est couramment prononcé Doui et Dui. Avec Lann-Bihoué  se pose une nouvelle question : s’ agit-il de “ lande de la paroisse de Bihoué ” ou de l’  “ enclos sacré de s.Bihoué ”? Dans le second cas on devrait admettre que le B est la lénition d’ un P-. L’existence d’ un site du nom de Le Pihué en Guidel va dans ce sens . Il s’ ensuivrait que le nom passé dans l’ usage serait la forme mutée, comme si le W- ou V- de Sant Veltas s’était imposé même en l’ absence de Sant. A Saint Vougay on ne connait en français que le nom en V-. Cela s’ est passé pour  s. Goneri, dont le vrai nom est Koneri (v.celt. *Kunorix) pour s. Pedan, connu comme Saint Bedan, etc.. De la part de clercs francisants la méconnaissance de la mutation est évidemment possible.
    Il est donc vraisemblable que le nom vieux-breton était *Pichôi.

Saint  Lumine
    Dans le Pays de Retz deux paroisses portent le nom de Saint-Lumine. Faute de mieux on lui a attribué une caution romano-franque en l’ identifiant avec s. Lubin, évêque de Chartres au 6ème siècle, anciennement Leobinus. Mais en évolution populaire d’ oil Leobinus donne Levin (v. Levincourt en Pévèle). Lumine est sans aucun doute un dérivé de lumen “ lumière ”. C’ est donc le “ saint  lumineux ”.
    L’ une des deux paroisses est qualifiée “ de Coutais ”, adjectif écrit Cotex (c’est à dire Coteis) au 12ème siècle et remontant à *Cuttensis < Eguptensis  “ Egyptien ”, “ Copte ”. Or il existe un saint égyptien du 4ème siècle, fondateur  d’ un des plus importants monastères du Wadi-Natrun, du nom de Pi-Shoy “ Le Lumineux ”. La prononciation bohaïrique actuelle [•oj] remonte à un moyen-égyptien khoy  “ lumière du soleil ”  correspondant au radical vieil-égyptien *kh°y dont le sens est “ apparaître ”, “ luire ” en parlant des astres et du soleil. Le nom copte Pi-Khoy “ Le Lumineux ” a pu être introduit en vieux-breton au 5ème ou au 6ème siècle. Dans le Pays de Retz le nom est traduit.

Des variantes bretonnes  de Pic’houe ?
    On sait que le vieux celtique -owjos est rendu en gallois par -wy, alors qu’ en breton il peut donner -oue (Nominôe, Matvedôe, Maroue) ou –ow. Ainsi le nom écrit (en latin) Catouius est en gallois Cadwy, en breton Cadou, vannetais Cadeù. Le cornique a aussi la terminaison -ow (caradow “ aimable ”). Le nom pichôi  entrant dans la série des noms en [oj] pouvait donc par analogie donner naissance à un “ équivalent ” *Pichou.. De fait le parcellaire breton connait des formes telles que Piheu,  Piho, Pichou, Pihiaou, Kerbihou, Kerbihio, qui peuvent s’ y  rapporter.
    Mais il existe encore un autre nom de saint qui appelle la comparaison : celui qui est invoque comme Sancte Becheue dans la litanie du Missel de Saint-Vougay et que M. de Kerdanet identifie à  s.Vougay lui-même, peut-être, comme le dit J.Loth, à cause d’ une prononciation locale que Kerdanet ne spécifie pas.    Le vocatif en -e implique un nominatif Sanctus Becheuus. Ceci amène Loth à mentionner un nom populaire bas-vannetais [bexjeu], que l’ on traduit en français par “ François ”, on ne sait pourquoi. A Groix le nom familier pour “ François ” est  [pe•aj]. Curieusement cette prononciation est aussi connue en copte bohaïrique pour Pishoy, mais on se gardera d’ en tirer aucune conclusion.

Pic’houe et Gildas.
     La légende de s. Bieuzy en fait un ami  de  s. Gildas, et l’ on constate en effet que tous les lieux commémorant Bieuzy et Bihy sont voisins ou tout  proches  de lieux dont Gildas est l’ éponyme. Cette proximité  a contribué à faire penser que Bieuzy et Bihy étaient le même personnage.  St-Lumine est à  40km de la  Pointe St-Gildas. On pourrait dire également que  s. Vougay est également proche de plusieurs lieux de culte de s. Gildas, mais ce culte est si répandu qu’ on peut se demander s’ il n’ y a pas des voisinages fortuits.

Dates de fêtes et identité
    Dans l’ identification de saints on ne peut négliger les dates de leurs fêtes respectives. Saint Bieuzy, dans l’ évêché de Vannes, est célébré le 12 avril. Saint Bihy, dans l’ évêché de Saint-Brieuc, est fêté le 24 novembre. Saint Vougay, en Léon, est au 15 juin, et Saint Pishoy, dans le synaxaire copte, est au 8 abib, qui correspond au 2 juin.
    Il est vrai  que *Bec’hi  peut avoir été une épithète allitérant avec Pic’houe, mais cela ne supprime pas l’ objection de date.
    Il serait donc imprudent de conclure que nous n’ avons ici qu’ un seul saint sous des noms légèrement différents et des recherches plus poussées sur plusieurs plans ne seraient pas inutiles.

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 Ouvrages de l’auteur :

  • L’origine géographique des Bretons armoricains. Série Etudes et recherches de Dalc’homp Soñj
  • Ecrire le gallo : précis d’orthographe britto-romane
  • Petite histoire linguistique de la Bretagne
  • Introduction à la connaissance du gallo
  • Liste des communes galaises du département des Côtes-d’Armor (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de l’Ille-et-Vilaine (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes du département de Loire-de-Bretagne (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • Liste des communes galaises du département du Morbihan (avec la coll.de Jean-Luc Ramel)
  • La Naissance des nations brittoniques – de 367 à 410 –, Ploudalmézeau : Editions Label LN, 2009

 

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À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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