Ubi caritas et amor, Deus ibi est (Où règnent la charité et l’amour, là est Dieu) : ainsi commence le célèbre hymne du Jeudi Saint, appelé encore hymne de la réconciliation. Que l’on chante encore ? Du moins, dans les communautés dites traditionalistes (paroisses, couvents, monastères) ou des Communautés dites Nouvelles (charismatiques) avec une version « moderne » (air), qui reprend de manière répétitive la première phrase citée, et chanté lors d’Adorations du Saint-Sacrement.
Cet hymne insiste sur l’importance de la Réconciliation et de l’amour fraternel avant de prétendre présenter notre offrande, notre prière à Dieu, nous rappelant ce que nous a dit le Christ : « Si au moment de présenter ton offrande, tu te rappel que tu as un différend avec ton frère, laisse là ton offrande, va te réconcilier avec lui, et seulement ensuite, viens présenter ton offrande ».
Ubi caritas n’est pas sans nous rappeler la belle prière attribuée à Saint François d’Assise : «Seigneur, faite de moi un instrument de votre paix. Là où est la haine, que je mette l’amour. Là où est l’offense que je mette le pardon. Là où est la discorde, que je mette l’union ». Une autre prière dit « Que je sois doux en mes paroles et pacifiant par toutes mes manières. Que seules les pensées qui bénissent demeurent en mon esprit. Fermez mes oreilles à toute parole médisante et à toute critique. Que ma langue ne s’applique à ne souligner que le bien ». Ces prières, comme l’hymne Ubi caritas nous renvoi à l’épître de Saint Paul aux Romains du Quatrième dimanche après l’Epiphanie, et qui nous invite à « ne garder aucune dette envers personne, si ce n’est l’amour que vous vous devez les pour les autres ».
Mais c’est l’épître du dimanche de la Quinquagésime, toujours de Saint Paul, adressé aux Corinthiens, qui nous rapproche de l’Ubi Caritas, et ce n’est donc pas sans raison que cet lettre est aussi appelé « l’Hymne de la charité », lecture qui est très souvent choisi par les jeunes fiancés pour leur messe de mariage, car elle est le programme de tout foyer chrétien qui entend se bâtir sur du solide, sur la Pierre Angulaire qu’est le Christ. Un texte qui pourrait aussi être un programme de gouvernement, toujours en « recherche » de programmes « solidaires » souvent voués à …l’échec. Tout est dit dans cette épître sur la primauté de la plus grande des trois vertus théologales, la Charité, qui résume toute la Loi Divine : sans cette charité entre époux, envers le prochain, toute offrande, toute prière, toute messe ne sont qu’hypocrisie, et ne sauraient être agréés par Dieu.
Nous voyons que l’Eglise dans ses hymnes, ses prières, dans sa liturgie est cohérente avec l’enseignement du Christ. C’est ainsi que nous pouvons apprécier, comprendre l’hymne Ubi caritas. Le rite du Lavement des pieds qui s’inclut dans la messe du Jeudi Saint « In Caena Domini » est donc le rappel que le Christ, premier prêtre, venant d’instituer la Première messe (la Cène), et le Sacerdoce en bénissant le pain et le vin pour en faire son corps et son sang, nous invite bien à la pureté de nos sentiments, de nos intentions. Le prêtre, mais aussi tous les croyants, sont invités à se faire « serviteurs des plus humbles », et non pas à prétendre être servis, et cela comprend la réconciliation. Les paroles de l’Ubi caritas sont sans appel :
« C’est l’amour du Christ qui nous a rassemblés dans l’unité. Réjouissons-nous : en lui trouvons notre joie. Respectons et aimons le Dieu vivant, et d’un cœur sincère, aimons-nous !
Où règnent la charité et l’amour, là règne Dieu !
Tous réunis en une seule assemblée, prenons garde à ce qui pourrait diviser nos esprits. Qu’on en finisse avec les mauvaises querelles et les procès. Qu’au milieu de nous soit présent le Christ notre Dieu. (Extraits traduit du texte latin)
Lors de la messe, dès son commencement, nous sommes déjà invités par le Je confesse à Dieu, puis le Notre Père, ou encore, avant la communion, dans le rite de la Paix que se donnent les officiants, et les fidèles (rite ordinaire) à mettre en pratique les paroles que chante l’Ubi caritas ; hymne du Jeudi Saint, certes, mais aussi de tous les instants, de tous les temps de discordes, tant et si bien qu’il importerait de le remettre à l’honneur pour nous mettre en face de nos responsabilités de chrétiens.
MAIS EXIT LA CHARITE, BIENVENUE A LA SOLIDARITE
La charité, une vertu aujourd’hui bien désuète, qui sent son vieux temps et son paternalisme. Seul le christianisme parle de charité (caritas), qui devient alors synonyme d’amour, ce qui est tout autre chose que la « compassion » du bouddhisme, ou la « miséricorde » de l’islam qui ne s’adresse qu’aux seuls musulmans. Oui ! La charité est trop chrétienne ! c’est du moins ce que l’on peut en conclure, tant ce mot a été évacué du vocabulaire. Charité, est presque devenue un gros mot. Qui, de nos jours ose dire qu’il pratique la charité ? Certes, Saint Paul nous a dit que « le bien ne fait pas de bruit, et que le bruit ne fait pas de bien », le Christ nous a enseigné que « notre main droite doit ignorer ce que fait notre main gauche », et sa parabole du Pharisien et du Publicain nous invite à la modestie ; il est donc inutile de faire sonner les tubas et retentir les grandes orgues, ou de convoquer Dieu comme témoin de nos oeuvres caritatives (charitables). Pourtant, notre époque avide de bruits, de langage branché, dont chaque mot est calculé, étudié, sont autant de ruptures avec la Tradition évangélique, chrétienne. Alors, les grands prêtres des officines médiatiques lui ont préféré le mot SOLIDARITE : on n’est plus charitable, mais on est solidaire. Notre solidarité est d’autant plus méritoire qu’elle est labélisée citoyenne, et non plus chrétienne. On se doit d’être solidaire de tout, et trop souvent de n’importe quoi. La solidarité se doit aussi d’être émotive et spectacle, contredisant ainsi Saint Paul et le Christ qui recommandent la discrétion : «la charité ne se gonfle pas d’elle-même » ; or, « curieusement », la solidarité (ci-devant charité) laïque et républicaine de nos sociétés déchristianisées a une fâcheuse tendance à « se gonfler d’elle-même ». Elle est effectivement -par nature- spectacle ; car cette solidarité exige un « retour sur investissements », et c’est encore Saint Paul qui nous dit que la charité « ne cherche pas son intérêt ».
Sacha Guitry qui avait du bon sens, et le don de la bonne formule percutante, disait : « En réalité, ce qu’on entend par avoir du cœur, c’est avoir la faiblesse des glandes lacrymales en même temps qu’une légère paralysie du cervelet », nous en sommes là, c’est bien ce que demande et pratique notre époque : l’inflation de l’émotif, de la larme à l’œil, et l’absence de réflexion, tout cela au détriment du véritable esprit de la vertu de charité. On joue à s’émouvoir pour se donner bonne conscience, et malheur à ceux qui n’intègrent pas les cœurs des pleureuses orchestrées par les médias : « Voyez donc comme mon cœur est affligé, regardez mes larmes, preuves que je suis solidaire ! », c’est l’orgueil qui s’invite au rendez-vous de la charité… pardon… de la solidarité. Bref ! Nous sommes bien loin de l’amour chrétien et de l’humilité que chante l’hymne du Jeudi Saint.
Ubi caritas chante aussi la paix, car il ne peut y avoir d’amour sans cette paix des cœurs. La paix, mot valise, tellement employé qu’il n’a, surtout en notre époque de conflits, guère plus de sens. Nos paix ressemblent trop souvent à la paix des cimetières. Charité, paix, mots détournés, dévergondés, instrumentalisés, laïcisés par des politiques et des idéologies. Il importe donc d’en retrouver les vrais sens, et ceux-ci ne peuvent qu’être chrétiens. La charité, la paix que nous voulons sont celles que donne le Christ, sinon elles ne sont plus, comme le disait Chesterton, que des « vertus chrétiennes devenues folles » ; cette charité, cet amour fraternel, cette paix n’en sont plus que des caricatures, elles sont devenues stériles. Vider les mots de leur plénitude permet de vider les actes qui en découlent de tout leur sens, et la charité, l’amour fraternel, la paix n’y ont pas échappés.
QUAND LE CHANT SE FAIT CATECHESE
Autrefois, l’hymne Ubi caritas était, avec la « Nuit de Rameau », un des « morceaux de maître » de toutes les chorales, et outre sa mélodie fort belle et apaisante, ce n’était pas sans raison : il invitait avant toute action à se mettre en accord avec soi-même, notre prochain. Chrétiens, nous avons toutes les bonnes raisons de nous réapproprier Ubi caritas qui à lui seul se fait catéchèse, et dépasse tous les vains bavardages sur un amour du prochain et sur une paix (déchristianisés) dont Dieu a été exclu. Si nous devons trouver une origine à nos échecs « sociétaux », elle ne peut qu’être dans les mots vidés de leur sens et qui déterminent nos actions, toutes aussi vides et éphémères qu’un vocabulaire de saison.
Un cantique en français « Aimons-nous les uns, les autres comme Dieu nous aimes » se chante sur l’air de l’Ubi caritas, mais lui aussi est tombé dans l’oubli, car appartenant au répertoire « ancien ».
Bien des compositeurs se sont attachés à harmonisé ce chant du IXème siècle, souhaitant retransmettre l’âme même du texte par une musique d’une transcendance telle qu’elle nous dévoile un morceau de paradis.
Nos cantiques bretons chantent aussi cette fraternité. Tous reprennent l’Amour enflammé par le Cœur Christique : « Meuleudi kalon zakr », « Meuleudi kalon Jezuz », «Karantez ar Galon Zakr », « Kalon Jezuz », « Pedenn a zigoli da Galon Jezuz », « Gouestiadur d’ar Galon Zakr », « Kalon zakret Jezuz », et bien d’autres encore. Certes, ce ne sont pas à proprement parler des Ubi caritas bretons, mais tous insistent sur le Cœur Sacré du Christ qui de son Amour enflamme nos cœurs et nous porte vers l’amour fraternel.
Merci pour cet article qui souligne la grandeur de la charité chrétienne et qui la différencie de la solidarité. Cependant, il ne faut pas nier toute valeur de la solidarité fraternelle. Dans l’évangile, la parabole du jugement dernier ( Mt 25) présente des bénis qui ont fait du bien sans le faire pour le Seigneur. Au ciel nous serons réunis avec des justes qui n’ont pas connu Dieu sur terre tout en faisant le bien. Ils découvrons le Très haut au ciel.
De plus, la solidarité est un élément important de la doctrine Sociale de l’Eglise.