Saints bretons à découvrir

UIROCONIUM & SANT ILTUD

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min
vallée des saints
Photo Ar Gedour 2017 – DR

Wroxeter est aujourd’hui une bourgade à 9km au Sud-Est de Shrewsbury, chef-lieu du Shropshire. Shrewsbury est aujourd’ hui, pour les Gallois, Amwythig, mais au Moyen-Age, avant de devenir anglaise,  cette ville se nommait Pengwern et était la capitale de la principauté de Powys.

Powys est l’ évolution galloise du latin pagênses, c’est-à-dire les « gens des pagi », ou bien de *Pâgênsia « district des gens des Pagi« , donc d’ une circonscription cadastrée. Le Pays de Galles intérieur ne connait pas ce genre de subdivision, qui est la règle chez les Bretons d’ Armorique.  Il faut donc comprendre  que les Pagenses étaient classés dans  l’ ordre romain.

En Galles, Wroxeter apparait dans l’ Historia Brittonum sous le nom de Kaer Guricon, dans les Triades Kaer Gorgon, plus tard Caer Worgorn. Le nom de l’époque romaine était Uiroconium. La ville se trouvait sur la voie Nord-Sud de Deua Cornouiorum (Chester) à Uenta Silurum (Caerwent). Capitale des Cornoviens, elle était à 45km de Deua, principale ville de garnison de la XXème légion, mais Uiroconium était le centre névralgique du dispositif militaire enserrant le futur Pays de Galles entre la voie du nord de Deua à Segontium et celle du sud, de Uenta à Moridunum (Carmarthen)en passant par Isca Silurum (aujourd’hui Caerleon), siège de la IIème Légion.. Par intervalles, Uiroconium hébergeait aussi des troupes entre nord et sud.  Au 2ème siècle elle possédait un vaste forum servant de place de marché et une basilique, salle de réunions et bâtiment administratif… Vers  la fin de ce siècle elle subit un incendie et dans les troubles de 296, la  basilique fut à nouveau brûlée et ne fut pas reconstruite. Pendant le 4ème siècle, l’ ancien centre de  la ville fut abandonné au profit de boutiques et d’ ateliers d’ artisans, à côté de thermes et d’une halle municipale. Les notables disposaient de riches villas. Une maison de ville et des thermes témoignent de la vie sociale. C’ est entre 380 et 390  que les troupes quittent les lieux et que les thermes sont abandonnés. La vie populaire et commerciale persista néanmoins

Une tradition galloise situe à  Caer Worgorn une institution connue sous le nom de Coleg Tewdws, donc en latin *Collegium Theodosii. Bien que la source de cette tradition soit incertaine (Iolo Ms.), un tel nom peut difficilement avoir été inventé à plaisir. Un collegium était une institution militaire réunissant une sorte de club des officiers et un prytanée. La maison commune et les thermes satisfont aux besoins d’ un tel « collège ». Plusieurs générations de la classe militaro-administrative pouvaient donc s’ y rencontrer.

Durant les troubles, soulèvements et invasions de 367, Uiroconium fut aussi menacé, et peut-être pillé, comme le reste de la Britannie. On y a en effet trouvé un trésor enfoui, que l’ on a daté de 368. Une fois l’ordre rétabli par Théodose l’ Ancien, celui-ci  s’activa à faire restaurer les villes, les camps et les fortifications des frontières. La capitale des Cornoviens profita donc de ces mesures, et c’est sans doute à cette occasion que fut adopté le nom de Collegium Theodosii.

 

L’ abandon des  lieux officiels intervient à l’ époque où Magnus Maximus quitte la  Britannie pour le continent. Les troupes et le personnel militaire de Deua et de Uiroconium ont donc trouvé une autre affectation, sans doute sur le continent. Elles devaient  au moins  comporter  des éléments  de la Légion  XXa Valeria Victrix  dont    l’ état-major devait être à  Deva Cornouiorum (Chester), d’ où elle pouvait couvrir le nord du Pays de Galles actuel par la route de Segontium (Caernarvon), tout en pouvant intervenir au sud, par Uiroconium vers Uenta Silurum.  Le départ de ces troupes allait laisser  sans défenses  toute la côte ouest  de la péninsule cambrienne,  ce dont les pillards et colonistes  irois  allaient aussitôt profiter,  pour  prendre possession du littoral de   l’ Oceanus Hibernicus (Irish Sea) , qu’ils nommaient Muir Torian (gallois Mor Terwyn)..

 

SANT ILTUD

Le célèbre saint Iltud, dans la tradition bardique galloise, était issu du Collegium Theodosii. L’ une de ses appellations est Illtut Varchawc « le chevalier ». Au M.A. « chevalier » s’ écrivait  miles « soldat ». Iltud était donc connu comme militaire, mais marchawc peut aussi avoir traduit le latin equites, auquel cas il aurait été issu de la cavalerie. Il  est tout naturel de trouver des chrétiens dans l’ armée romaine. Magnus Clemens Maximus lui-même était chrétien, tout comme Théodose, Gratien, Valentinien. La descente du militaire Iltud vers le sud doit donc dater de la cessation d’activité du Collegium, peu après le départ de Maximus, dans les années 383-385. Telle doit être la date de fondation du monastère de Llanilltud Vawr, c’ est à dire une quinzaine d’ années avant la fondation de Candida Casa  par saint Ninian. Ceci place Iltud plus d’ un siècle plus tôt que ne le font les hagiographes ecclésiaux (475-525), mais les dates convenues (et discutées) reposent sur la partie de la Vie de Samson, qui fait séjourner ce dernier chez Iltud. Mais il est courant en hagiographie d’ identifier un monastère à son  fondateur. C’ est ainsi que l’ on voit Corentin visiter saint Martin, des donateurs faire des offrandes à Gwennolé plusieurs siècles après son obiit, etc. Quant à la mention de sanctus Germanus comme consécrateur d’ Iltud, c’ est une incise qui a toute  l’ allure d’ une interpolation  (au surplus il y avait plusieurs Germain à l’ époque).

La culture classique, qui fait la réputation de saint Iltud  (…de totis Scripturis ueteris scilicet ac noui Testament et omnis philosophiae generis, metricae ac rhetoricae, grammaticaeque et arithmeticae, et omnium artium philosophiae omnium Britannorum compertissimus erat. « il était le plus compétent de tous les Britanniens dans les Ecritures, tant du Nouveau que de l’ Ancien Testament, dans toutes les disciplines  philosophiques,  l’art  poétique  et l’art oratoire  ainsi que  la grammaire et l’ arithmétique et dans toutes les subtilités de la philosophie ». Cette excellence, qui a fait de lui le précepteur privilégié des piliers de la chrétienté celtique (egregius magister Britannorum) chez les Bretons comme les Gaëls, pouvait sans doute s’ acquérir à Uiroconium, mais il est non moins  possible qu’ Iltud ait fait partie des recrues bretonnes qui accompagnèrent Théodose en Orient (une légion palatine de recrutement breton servait en Orient).

Toujours est-il que la fondation de l’ école monastique de Llanilltud-Vawr est probablement le point crucial d’ où découle la conservation de la culture classique chez les Scots, eux-mêmes élèves des Bretons, et qui a rendu possible le renouveau culturel chez les Carolingiens.

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À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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