UN CHEF-D’ŒUVRE D’ACTUALITE : « LE GENIE DU CHRISTIANISME » DE CHATEAUBRIAND (1 ère PARTIE)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

Il va de soi que l’on ne présente plus une personnalité comme Chateaubriand : nous ne dirions rien de plus, qui en surabondance, ne se sache déjà. Des centaines d’ouvrages, des milliers d’articles  y ont pourvu depuis fort longtemps.

En avril 2022, il y aura exactement 220 ans que François-René de Chateaubriand écrivit son remarquable Génie du Christianisme (1802). D’autant plus remarquable qu’il fut écrit au lendemain de la Révolution et de sa Terreur, et que les ruines matérielles, spirituelles, culturelles, sociales étaient encore fumantes.  Il est intéressant de se rappeler que Chateaubriand qui naquit en 1768, c’est-à-dire sous Louis XV, et qui décédera en 1848, aura donc connu la Monarchie  des deux rois de l’Ancien régime, et bien sûr le petit Dauphin martyr, Louis XVII,  la Révolution française, l’Empire de Napoléon, la restauration avec  trois autres rois : Louis XVIII,  Charles X et Louis-Philippe ; il aura aussi connu tous les acteurs de la Révolution et de la contre-révolution. A  ce titre, il fut donc un important témoin de la vie politique. Une vie politique à laquelle il s’essaya  avec plus ou moins de bonheur (ambassadeur à Londres, ministre des Affaires étrangères). Mais une fois acquis les postes convoités, son caractère entier, quelque peu orgueilleux  le mettra vite en conflit avec les gouvernements. Dans une phrase lapidaire qui en disait  long sur son caractère et son égo, ne disait-il pas « Qu’il  était économe de son mépris, car il y avait tellement de nécessiteux qu’il ne pourrait satisfaire tout le monde » (1). Il est des moments où ce trait incisif ne trouve en notre temps que trop souvent sa justification, tant l’indigence intellectuelle, culturelle, spirituelle, politique se porte bien et est devenu presqu’un art que les intéressés cultivent avec un soin jaloux …

Pourquoi rouvrir et reparler de son ouvrage qui fera, avec ses Mémoires d’Outre-tombe, sa réputation littéraire ? Ces 220 ans sont une occasion de sortir de l’oubli ce chef-d’œuvre qui est bien plus que littéraire. Lire ou relire les deux tomes du Génie du Christianisme nous plonge dans une époque troublée, souvent désespérante à bien des titres. Tout un monde venait de s’écrouler et un autre naissait sur des plaies non encore cicatrisées. Mais cette lecture nous permet d’apprécier que ce livre reste sur beaucoup de points très moderne ; n’assistons-on pas actuellement, à bien des égards, à l’effondrement d’un monde, celui de la civilisation occidentale, européenne…. chrétienne ?

Chateaubriand, de chapitre en chapitre, ordonnés en thématiques,  nous rappelle en toutes occasions les vertus qui firent, et font toujours, le génie de la religion chrétienne, d’où son titre. Un génie, une grandeur, une beauté qu’aucune autre religion, philosophie ou idéologie ne sont à même de porter.  Si l’ouvrage de Chateaubriand est connu par la première partie du titre : Le génie du Christianisme. Titre auquel l’auteur a ajouté « ou Beautés de la religion chrétienne ». C’est précisément parce que ces vertus, ces beautés transcendent les siècles, les régimes politiques et les modes qu’elles sont aussi de notre temps. Le Génie du Christianisme devrait être au programme des lycées, des collèges, au moins dans les établissements qui se disent catholiques. Son étude serait un véritable prolongement du catéchisme et ne pourrait que conforter la jeunesse dans son identité chrétienne, dans sa foi, tant il est vrai que culture et foi sont complémentaires et s’aident dans une compréhension mutuelle.

Il fallait oser…

Publié en 1802, donc 12 ans après la  décapitation de Louis XVI et de Marie-Antoinette, de la mort tragique du petit Dauphin Louis XVII, des terribles massacres de la Terreur, des guerres de Vendée et de la chouannerie bretonne, il fallait oser. Certes, l’année précédente (1801), Napoléon signait avec le pape Pie VII le Concordat qui rétablissait la liberté religieuse et reconnaissait le catholicisme comme la religion de la France, rattachant ainsi l’Eglise à l’Etat (Articles organiques). Mais toutes les scories de la Révolution n’étaient pas pour autant effacées : il restait, entre autre, le calendrier révolutionnaire (1802, c’est encore l’An XI). De plus, les nobles sont toujours des « Ci-devant » ; Chateaubriand qui est rentré d’exil (Angleterre) en 1800, signe son livre «Chateaubriand», la particule  « de » n’étant pas encore en odeur de sainteté (2).

Pour une autre raison, il nous plaît d’évoquer Chateaubriand et son livre-maître, car il est breton. Certes, il ne fut pas un écrivain bretonnant, étant du Pays Gallo (Saint-Malo).  Malheureusement, il est bien davantage reconnu comme un écrivain français que breton. Il en est ainsi de beaucoup de grands hommes (écrivains, savants, médecins, militaires, hommes politiques, religieux, musiciens) : s’ils sont connus comme bretons de par leur naissance, leur vie, leurs œuvres sont reconnues comme appartenant au patrimoine français, la qualité de bretons n’étant alors qu’accessoire. Reconnaissons donc à François-René de Chateaubriand sa qualité de breton à part entière, et réapproprions-nous le dans notre propre patrimoine littéraire breton. Qu’un Breton ait pu écrire ce chef-d’œuvre qu’est Le Génie du Christianisme est bien une gloire pour la culture, la spiritualité et la littérature bretonnes, d’autant plus une gloire que le Génie du Christianisme s’adresse, hier comme aujourd’hui, à toute l’Europe, à toute la chrétienté.

 Le Génie du Christianisme  n’a pas pris une ride. Nous pouvons affirmer que sa lecture manifeste toute la « Jeunesse du Christianisme », alors que toutes les idéologies et autres fausses religions ou sectes ne manifestent que la sénilité de leur vieillesse, « Toute cette vieillesse du monde » et ses perpétuels échecs. Et pourtant, aujourd’hui, c’est bien toute cette vieillesse du monde que d’innombrables «faux prophètes» tentent de nous servir…

 

UN  LIVRE  A  THEMES

Le Génie du Christianisme, écrit en deux tomes se présente comme un livre à thèmes. Chateaubriand y fait une sorte « d’inventaire » de l’état de la société qu’il trouve à son retour d’exil. Cette société n’a plus rien à voir avec l’avant 1789 : dix années se sont écoulées, laissant non pas un champ mais de multiples champs de ruines. Evidemment, les premières ruines que voit Chateaubriand sont les ruines matérielles : châteaux et manoirs pillés, incendiés, églises, cathédrales, chapelles, croix et calvaires, couvents et monastères rasés, faisant offices de carrières de pierres, à moins que tous ces bâtiments n’aient été reconvertis en dépôts, en prisons ou en bâtiments administratifs (ce qui les sauvera parfois).

Mais les autres ruines, conséquences des ruines matérielles, sont des  ruines spirituelles, morales, de tout un savoir-vivre, ruines culturelles, ruines économiques. Bref ! Ruines de toute une société.

Avant lui, le savant Cambry, dans ses « Voyages dans le Finistère » en 1797 fera les mêmes constats. Tout est donc à reconstruire. Le Génie du Christianisme, dans ses magistraux bilans et analyses, apporte sa contribution au relèvement de la France. A sa sortie, le livre connait un succès considérable et répond à une soif d’un retour à la religion, à des valeurs morales.  Incontestablement, les décennies qui suivront seront redevable à Chateaubriand d’avoir, par son livre, été la « locomotive » d’une rechristianisation de la société. Le 19e siècle sera un grand siècle missionnaire. L’Eglise, bien que privée de tous ses biens, ayant connue de terribles saignées dans ses rangs, va retrouver toute son aura. Les deux empires, les trois monarchies lui seront favorables et lui permettront son redressement. Il faudra attendre les deux dernières décennies du 19e siècle, c’est-à-dire les secondes et troisième Républiques pour voir renaître « l’esprit révolutionnaire », une nouvelle haine de la religion chrétienne, et un retour de  la spoliation de l’Eglise dans ses biens et ses œuvres, sans parler d’un dénigrement continuel du clergé ; le paroxysme sera atteint dans les années 1900-1905 avec le ministère Combes.

Chateaubriand est un romantique, largement nostalgique d’une époque où il faisait bon vivre. Talleyrand ne disait-il pas que « ceux qui n’ont pas vécu avant la Révolution, ne pouvait savoir ce qu’était la douceur de vivre ». Chateaubriand a exercé une influence considérable sur le mouvement romantique qui s’inscrira dans la suite logique du Génie du Christianisme.

Evidemment, notre intention n’est pas de publier des intégralités des divers « Livres » qui composent Le Génie du Christianisme, mais au fil d’une série d’articles d’en choisir des morceaux, les plus significatifs pour notre époque, permettant sur divers sujets de juger de leur « modernité ».

1) En choisissant de se faire inhumer au « Grand-Bé », lieu bien isolé au promontoire d’une falaise, Chateaubriand ne manifestait guère un penchant pour la modestie, mais s’assurait ainsi d’une notoriété à perpétuité, faisant de sa tombe un lieu de pèlerinage pour ses admirateurs.

2) Chateaubriand signe son Génie du Christianisme, François-Auguste Chateaubriand, et non François-René, c’est-à-dire son troisième prénom qui est aussi celui de son père. C’est plus tard qu’il va abandonner le prénom Auguste  pour celui de René, et qu’il reprendra la particule « de » de son nom.

POUR SUIVRE :

Prochain article : Des ruines.  Du danger et de l’inutilité de l’athéisme. Nous serons bien là dans l’actualité constante de nos sociétés, de notre civilisation européenne qui, ayant rejetée ses racines chrétiennes, n’a de cesse que d’afficher son athéisme destructeur.

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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