A l’orée d’une ère qui nous prive d’air, offrant aux générations un mal masqué, certains auteurs, comme Bernard Rio, nous mènent avec talent dans des univers fantastiques comme des échappées belles qui nous font oublier le réel. Quoique…
Plongeant le lecteur dans un univers fantastique, son dernier opus nommé « Un dieu sauvage » revisite les mythes antiques tout en s’inscrivant dans une réflexion contemporaine : le devenir de l’homme dans un monde totalitariste et ses capacités de survie, d’évasion et de liberté.
J’avoue que dès les premières lignes, je me suis dit que Bernard Rio avait profité du confinement pour poser les mots d’une période à -propos pour nous décrire un monde qui se dessine lentement. Un monde où la liberté fond lentement au rythme des prônes des nouveaux prêcheurs. Mais ce récit a été écrit avant la crise sanitaire du Coronavirus, et s’il contient des correspondances avec la situation et l’instauration de plusieurs mesures politiques coercitives et expérimentations, par exemple le choix du nouveau comité de chercheurs et de médecins nommés par le gouvernement français, baptisé Care, de « réfléchir à une stratégie numérique d’identification des personnes » le 24 mars 2020, dans la continuité de la loi d’urgence sanitaire du 22 mars 2020, mais aussi le projet énoncé par Bill Gates de nano-vaccination de la population mondiale, toute situation ayant réellement existé n’est certainement que pure coïncidence…
L’histoire
Il y a les gens d’En-Bas qui vivent à Létavie, le port des Frontières Maritimes, les gens d’En-Haut à Albe, la ville des Terres Intérieures, et le gouvernement des Prêcheurs dans la capitale Urbi.
Dans une société où tout désordre est interdit, chacun est surveillé dans ses faits et gestes par un réseau de caméras et une puce électronique placée dans l’auriculaire. L’ordre des médecins-prêcheurs est chargé de contrôler la population. Mais des événements viennent troubler l’apparente tranquillité des deux cités. Un mystérieux inconnu est soupçonné être l’auteur de plusieurs assassinats.
Quatre femmes, Senta la tisseuse, Beara l’aubergiste, Andarta la bibliothécaire et Mata le médecin voient dans ces phénomènes, qui perturbent l’ordre et la morale, des signes de liberté. Elles transgressent alors les interdits et se lancent à la recherche de l’inconnu tandis que les Prêcheurs contrôlent de moins en moins la situation.
Trois hommes : Ignotus l’inconnu, Rodati le docteur en médecine et Namanto son supérieur interviennent dans le cours des événements, devenant chacun à sa manière un fauteur de troubles, le premier manoeuvrant sciemment dans l’ombre, le second inconsciemment à son poste de surveillant officiel et le troisième agissant par orgueil.
Du monde planifié des Prêcheurs va naître le chaos. La confusion se généralise à l’image du docteur Rodati qui perd la raison et prône la contrition en dénonçant le vice infestant la société. La révolte solitaire d’une femme devient universelle. Au sentiment de l’absurde d’une situation succèdent les temps de la rébellion, de la mort puis de la renaissance. Tout devient possible lorsque le monde se transforme en chaos; à chacun de s’affranchir de ses préjugés et de ses peurs, d’être absolument libre de penser et d’agir pour vivre ou mourir.
Pour résumer l’ouvrage
Aujourd’hui, le monde vit dans un régime d’exception, encore improbable en début d’année 2020. Les interdictions, les restrictions, les sanctions et les manipulations se multiplient pour contraindre et soumettre l’individu, de gré ou de force, et ce en contradiction avec la Constitution de la Ve République Française (1958) et la Convention internationale des Droits de l’Homme. En effet, ces nouvelles interdictions remettent en cause la liberté de se déplacer, la liberté de prescription médicale, la liberté de religion, la liberté de travailler, la liberté d’enseignement, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté de visiter des personnes âgées ou hospitalisées…
La fiction décrite par Bernard Rio est devenue une réalité avec le traçage des individus, l’utilisation de caméras de surveillance et de drones, la distanciation sociale, le port du masque obligatoire, le jugement sur dossier sans débat contradictoire et sans avocat… Tout un arsenal arbitraire au nom d’une urgence et d’une précaution sanitaire contestées par des membres éminents de la communauté scientifique !
Nous vous avons de nombreuses fois évoqué la plume dynamique de Bernard Rio. Les masques Irlandais ou Le Voyage de Mortimer ont pu faire découvrir au lecteur que cet écrivain ne se limitait pas aux intéressantes études liées à notre riche patrimoine, mais possédait une plume romanesque qui n’a rien à envier aux blockbusters de la littérature. Ici, Bernard Rio s’inscrit dans la veine des romans inspirés qui furent publiés à l’aube de la seconde guerre mondiale : «Au château d’Argol» (1938) de Julien Gracq, «Sur les falaises de marbre» (1939) d’Ernst Jünger ou encore «Le Désert des Tartares» (1940) de Dino Buzzati. Mais on perçoit aussi du Georges Orwell en filigrane, avec la poésie naturaliste en sus.
Une structure du récit aux nombreuses symboliques
Qui connaît Bernard sait son attachement aux cycles, à la structure temporelle, à la géométrie sacrée, à la symbolique des chiffres. Au lien entre terre et ciel, entre nature et humanité. Ainsi, l’histoire débute au milieu de l’été, le 25 juillet, et trouve son épilogue au printemps suivant (lorsqu’on entend le chant du coucou)… Elle illustre le cycle de la vie. A la part d’ombre d’une société autoritaire et puritaine, il existe en contrepoint une lumière intérieure qui guide les êtres vers la liberté.
Le récit est structuré en vingt-huit chapitres, le temps d’une lunaison, et couvre neuf mois, la durée d’une gestation. Un prologue composé de deux autres chapitres ouvre le récit central, et un dernier chapitre sert d’épilogue à l’histoire, composant un mouvement de balancier, soit un total de trente-et-un chapitres.
Sept personnages principaux interagissent. Quatre femmes symbolisant les trois Grâces et leur muse, et un trio d’hommes composé de l’inconnu incarnant un cavalier de l’Apocalypse et d’un duo de médecins représentant l’antagonisme du pouvoir.
Ces septénaires contribuent tous, délibérément ou involontairement, à la destruction de l’ordre des Prêcheurs correspondant à chacune des sept étapes de l’évolution spirituelle de la tisseuse Senta : pulsion (conscience du corps physique), émotion (conscience des sentiments), raison (conscience de l’intelligence), intuition (conscience de l’inconscient), spiritualité (conscience du détachement), volonté (conscience de l’action), réalisation (conscience de l’éternité).
Le récit fonctionne sur trois plans : la terre, l’homme et le divin. De même que les hommes croient dominer le monde et le temps alors qu’ils ne sont que des marionnettes entre les mains des dieux, les Prêcheurs ont l’illusion du pouvoir. Le matérialisme recouvert d’un vernis moral n’est qu’un faux semblant.
La nature, omniprésente dans le récit, est décrite avec brio par l’auteur. Les mots sonnent à la manière de Barjavel, offrant au lecteur une plongée dans cette nature qui n’est plus seulement un décor qui change au fil des saisons, mais intervient, pour révéler les sentiments, réveiller les pensées, susciter la réflexion. Un personnage à part entière, pourrait-on arguer. Cette synchronicité entre l’homme et les forces cosmiques contribue au symbolisme de cette dystopie qui résonne comme un écho aux interrogations actuelles quant à la destinée de l’humanité.
Et si le temps n’était pas linéaire ? Si une autre logique inversait la cause et la conséquence ? Si le futur était déjà réalisé, si le passé était encore là, si le présent était une chimère ? Ce qui n’est pas la conséquence du passé pourrait-il être la conséquence du futur ? Autant de questions qui se posent à la lecture de l’ouvrage.
Et si Bernard Rio offrait par ce roman qui se lit aisément un texte hermétique poussant au questionnement, une sorte de parcours initiatique augural à la vision quantique, invitant au-delà de l’espace et du temps à éclairer les consciences ?
Un livre à découvrir sans tarder et que vous pouvez retrouver au Festival du Livre de Carhaix le week-end prochain.
Bernard Rio mène double carrière d’écrivain et de journaliste. Il a été couronné par plusieurs prix littéraires pour ses essais historiques et ethnologiques, notamment Voyage dans l’au-delà : les Bretons et la mort en 2013, et Pélerins sur les chemins du Tro Breiz en 2016. Il est l’auteur des romans Le voyage de Mortimer et Les masques irlandais publiés aux éditions Balland en 2017 et 2018. Chez Coop Breizh : Fontaine de Bretagne, 2008, Le cul bénit, 2013, Mystères de Bretagne, 2018… et tout récemment 1200 lieux de légende en Bretagne.
Editions Coop Breizh, sortie le 14 octobre 2020, à commander directement ici.