Autant la presse et les médias en général avaient donné une large publicité au jugement de condamnation du cardinal Philippe Barbarin pour non dénonciation d’abus sexuel sur mineur rendu le 7 mars 2019 par le tribunal correctionnel de Lyon, autant, en proportion, l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon du 30 janvier 2020 qui l’a entièrement blanchi, paraît avoir été passé sous silence, en tout cas, mal perçu…
Toujours à la pointe de l’actualité, votre blog préféré avait tenu à publier et commenter le jugement de condamnation (16 mai 2019). Vous trouverez, ci-après, le lien permettant de prendre connaissance de l’arrêt d’infirmation et, donc, de relaxe prononcé par la 4° chambre des Appels Correctionnels de la Cour, sous la présidence d’Eric Seguy.
En Premier lieu, la Cour a confirmé le jugement dont appel en ce qu’il avait jugé prescrites et, partant, irrecevables sur le fondement de l’article 223-6 du code pénal, les poursuites pour non assistance à personnes en danger diligentées par les parties civiles dont la Cour observe qu’elles étaient toutes les neuf, ainsi, d’ailleurs, que la totalité des victimes potentielles du P. Preynat, devenues majeures « prés de 4 ans avant la nomination de Philippe Barbarin à la tête du diocèse de Lyon ». (page 24)
De même manière, comme le Tribunal, la Cour a jugé les parties civiles, dans la mesure où elles « auraient perdu une chance d’obtenir plus tôt les bénéfices juridiques et moraux de la reconnaissance judiciaire de leur statut de victime » (page 26), recevables dans leur action en indemnisation de leur préjudice résultant du délit de non dénonciation de mauvais traitements, privations ou atteintes sexuelles infligées à un mineur de 15 ans, prévu et réprimé par l’article 434-3 du code pénal dans ses rédactions successives (1975, 2000 et 2016), qu’ils imputent au cardinal Barbarin.
En revanche, contrairement aux premiers juges, la Cour a jugé que ce délit de non dénonciation n’était pas caractérisé à l’encontre de Philippe Barbarin et l’en a donc relaxé.
I – sur l’élément matériel du délit de non dénonciation
1°) Le délit de l’article 434-3 du code pénal est un délit non pas « continu », mais « instantané » (page 29) de sorte que la prescription de 3 ans de l’article 8 du code de procédure pénale commence à courir dès qu’il est établi que le mis en cause a eu une « connaissance effective et certaine de faits précis dans leur matérialité et leur gravité d’atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans susceptibles d’avoir été commis par Bernard Preynat », en l’espèce : le 26 février 2013, soit 3 ans avant le premier acte d’enquête qui a eu lieu le 26 février 2016.
Ce qui signifie que le cardinal Barbarin ne peut être poursuivi pour non dénonciation de faits dont il aurait eu connaissance avant le 26 février 2013.
La Cour observe à cet égard que l’infraction à dénoncer était connue des victimes elles mêmes qui se sont abstenues en toute connaissance de cause d’en faire état auprès des autorités judiciaires compétentes.
C’est bien d’ailleurs en raison du caractère instantané du délit de non dénonciation que la loi du 3 août 2018 est venu modifier encore une fois les conditions d’incrimination de l’article 434-3 du code pénal visant « quiconque ayant connaissance » ainsi que le fait de « continuer à ne pas informer » les autorités compétentes. Désormais, le délit de non dénonciation de l’article 434-3 du code pénal est un délit continu dont la prescription sera particulièrement difficile à établir.
2°) Pour les faits postérieurs au 26 février 2013, donc non couverts par la prescription, la question se pose de savoir s’il pesait sur le cardinal une obligation pénale de dénoncer des faits anciens, donc eux mêmes atteints de prescription… « Grâce à Dieu » !, s’était il maladroitement écrié, au grand dam du réalisateur de film François Ozon et des premiers juges …
La lecture que fait la Cour des dispositions de l’article 434-3 du code pénal est radicalement opposée à celle du tribunal. Dans sa version issue de l’ordonnance du 19 septembre 2000 valable jusqu’au 16 mars 2016, l’article 434-3 est rédigé ainsi :
« Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende »
a – La Cour observe que « l’emploi dans la définition de l’infraction du présent de l’indicatif pour qualifier la victime, désignée comme celle qui n’est pas en mesure de se protéger » et en déduit, contrairement au tribunal pour qui cette circonstance était indifférente, que l’état d’incapacité (minorité ou vulnérabilité) de la victime « doit être contemporain du moment où la personne poursuivie pour non dénonciation prends connaissance des faits » (page 34).
b – La Cour rappelle que la finalité de l’article 434-3 est bien de « protéger l’action de la justice, d’éviter l’entrave de sa saisine, d’éviter qu’elle soit privée des informations indispensables pour son exercice, de prévenir ou limiter les effets de l’infraction sur un mineur ou une personne vulnérable. »
Dans cette optique, à quoi sert il de dénoncer des faits que l’autorité judiciaire n’est plus en mesure de poursuivre puisqu’atteints par la prescription qui a pour effet de leur « ôter tout caractère délictueux » ?
De même que l’obligation pénale de dénoncer disparaît lorsque l’infraction principale est déjà connue de l’autorité judiciaire ou administrative, «l’obligation sanctionnée par l’article 434-3 du code pénal ne saurait être considérée comme juridiquement maintenue dès lors que l’infraction principale ne peut plus faire l’objet de poursuites en raison de son ancienneté et que l’intérêt protégé par l’article 434-3 n’existe plus ».
c – Et la Cour de poursuivre à l’attention spécialement des victimes ayant pris l’initiative des poursuites pénales à l’encontre du cardinal Barabarin : « les « contraintes familiales et sociales » qui les auraient empêcher de porter plainte alors qu’elles étaient devenues majeures, « la souffrance des plaignants que la Cour a pu mesurer lors de l’audience, leur difficultés à verbaliser ce qui touche à l’intime, cette mémoire traumatique, ce sentiments de honte, pour réels et incontestables qu’il soient, et potentiellement constitutif d’un préjudice directement consécutif à l’atteinte ou l’agression sexuelle, ne sauraient être assimilés à une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique au sens de l’article 434-3 du CP, sans dénaturer ce texte de loi tel qu’il était et est actuellement rédigé.
l’interprétation qu’en donnent les parties civiles et le tribunal correctionnel aggrave singulièrement la portée de ce texte, au-delà des prévisions de la loi.
Elle conduirait en effet à l’incrimination, sans limite dans le temps, de toute personne qui s’abstiendrait de révéler à la justice ou à l’autorité administrative, du supérieur hiérarchique de l’auteur supposé, comme de toute personne de la famille ou de l’entourage proche de la victime, des faits, dont cette personne serait informée d’atteinte ou d’agression sexuelle imposée durant son enfance à un adulte non vulnérable au moment où l’information avait été reçue, y compris pour des faits pénalement prescrits. » (c’est nous qui soulignons)
L’élément matériel de l’infraction manquant, la Cour aurait pu en rester là en renvoyant, sans qu’il soit besoin d’examiner plus avant si les autres caractéristiques du délit étaient réunies, le cardinal des fins de la poursuite dont il était l’objet ; pourtant, la Cour a souhaité aborder de façon superfétatoire ce qu’il en est de l’élément intentionnel qui caractérise également la notion de délit pénalement sanctionnable.
II – l’élément intentionnel du délit de non dénonciation
La Cour a estimé qu’en l’espèce l’élément intentionnel manque également : le cardinal a encouragé les victimes à saisir la justice et ce que celles-ci souhaitaient ce n’est pas que le cardinal dépose plainte contre Bernard Preynat mais qu’il l’écarte de toutes fonctions pastorales, ce qui a pris « près d’un an ».
Ce délai ainsi que celui de 5 ans pour la « mise à l’écart » de Bernard Preynat par le cardinal Barbarin de toute activité impliquant des contacts avec des enfants reste, pour la Cour, « sérieusement contestable sur le plan moral », bien que cette circonstance reste « sans effet sur l’existence de l’infraction litigieuse ». (C’est nous qui soulignons.)
En conclusion
Le champ de la délation largement ouvert par le tribunal a été considérablement réduit par la Cour à des mesures plus compatibles avec la loi pénale, alors applicable, d’interprétation stricte au regard du principe édicté par l’article 111-4 du code pénal rappelé dans son arrêt.
Si la « victimiologie », branche de la science criminelle qui tend à se développer, a, malgré tout, des limites, comme le rappelle la Cour, elle ne manque pas non plus de pointer du doigt une faute « morale » de la part du prévenu pénalement relaxé.
« Non coupable, mais responsable », semble dire du cardinal primat des gaules la Cour d’Appel de Lyon.
Il reste à la Cour de Cassation de trancher entre l’interprétation de l’article 434-3 du code pénal que vient de faire la Cour d’Appel et celle du Tribunal Correctionnel dont le jugement a été infirmé, ceci au vu des récentes amodiations apportées par le législateur à la loi pénale.
Nous n’en n’avons pas fini de « l’affaire Barbarin » !
D’autant que, la voie pénale une fois épuisée, les victimes pourraient saisir le juge civil pour obtenir réparation de leur préjudice avéré sur le fondement de l’ ancien article 1382 du code civil, désormais codifié sous le n° 1240 : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ?
L’avenir nous le dira.
Souhaitons au cardinal Barbarin de retrouver dans son nouveau cadre une sérénité largement méritée ; lui non plus n’en n’a pas fini de cette affaire…