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[CHRONIQUE] CONCERNANT L’INCULTURATION DE LA LITURGIE

Amzer-lenn / Temps de lecture : 24 min

inculturation,liturgie,nouvelle évangélisation,eflamm caouissinNous évoquons régulièrement la possibilité de placer des cantiques bretons à la messe dominicale ou lors d’événements religieux. Certains prêtres et laïcs se réfèrent parfois au Directoire sur la Piété populaire et la liturgie pour refuser des cantiques bretons à la messe, voire parfois pour critiquer tel choix. Parfois c’est simplement un refus non argumenté (ou mal). D’autres fois, certains qui ont un peu plus de connaissances sur la question liturgique se réfèrent à ce directoire. En effet, dans le chapitre «Responsabilités et compétences (cf N°21)», il est mentionné que «les manifestations de la piété populaire sont placées sous la responsabilité de l’Ordinaire du lieu: c’est à lui qu’il appartient de les réglementer, de les encourager dans le cadre de sa fonction propre qui consiste à stimuler la vie chrétienne des fidèles, de les purifier là où cela s’avère nécessaire, et de les évangéliser. Il revient aussi à l’Ordinaire du lieu de veiller à ce que les manifestations de la piété populaire ne se substituent pas et ne se mélangent pas aux célébrations liturgiques; de même, il lui revient d’approuver les textes des prières et des formules, qui sont employés durant les actes publics de piété et dans le cadre des pratiques de dévotion. Les dispositions prises par un Ordinaire, qui sont destinées à son propre territoire de juridiction, concernent l’Église particulière qui lui est confiée. »

 

En refusant que des cantiques bretons puissent être pris lors de la messe, il s’agit à notre sens d’une lecture erronée de ce document ou d’une ignorance des textes. Cet article développe donc ici notre propos (1). En effet, il convient à notre sens de ne pas confondre Piété populaire et culture locale, même si les deux sont intimement liés. Si des éléments de la piété populaire prennent le dessus sur la liturgie elle-même à un moment ou à un autre, c’est que la liturgie elle-même n’a pas réussi son inculturation comme il l’aurait fallu et ne touche donc plus personne. Le besoin de rites étant fondamental pour l’homme, ce dernier est amené à remplacer un certain néant liturgique par des symboles qui lui parlent, issus de la piété populaire ou non, malheureusement au détriment de la Liturgie elle-même, qui perd alors tout son sens.(2)

Pour en revenir au sujet qui nous occupe ici, et outre le fait qu’il est spécifié qu’il revient à l’Ordinaire du lieu « […] d’encourager […] les manifestations de piété populaire »,  s’il convient de «veiller à ce que les manifestations de la piété populaire ne se substituent pas et ne se mélangent pas aux célébrations liturgiques » il importe de savoir ce qui appartient au domaine de la piété populaire et ce qui appartient à la culture propre, que la liturgie doit prendre en considération. Bien évidemment il ne faut pas faire n’importe quoi (et les documents mentionnés sont là pour tout cadrer) ; il est donc nécessaire -avant toute décision- de considérer que « le Christ est toujours là, surtout dans les actions liturgiques«  puis de réfléchir sur la totalité des paramètres suivants, en ne se limitant pas à une lecture parcellaire des documents :

 

Avant d’aller plus avant dans notre réflexion, reportons-nous au chapitre III – D de la constitution SacroSanctum Concilium, issue nous le rappelons du Concile Vatican II : 

37 – L’Église, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la communauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique : bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers peuples et elle les développe ; tout ce qui, dans les mœurs, n’est pas indissolublement lié à des superstitions et à des erreurs, elle l’apprécie avec bienveillance et, si elle peut, elle en assure la parfaite conservation ; qui plus est, elle l’admet parfois dans la liturgie elle-même, pourvu que cela s’harmonise avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique.

38 – Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout dans les missions, même lorsqu’on révisera les livres liturgiques ; et il sera bon d’avoir ce principe devant les yeux pour aménager la structure des rites et établir les rubriques.

39 – Dans les limites fixées par les éditions typiques des livres liturgiques, il reviendra à l’autorité ecclésiastique ayant compétence sur le territoire, mentionnée à l’article 22 § 2, de déterminer les adaptations, surtout pour l’administration des sacrements, les sacramentaux, les processions, la langue liturgique, la musique sacrée et les arts, conformément toutefois aux normes fondamentales contenues dans la présente Constitution.

40 – Mais, comme en différents lieux et en différentes circonstances, il est urgent d’adapter plus profondément la liturgie, ce qui augmente la difficulté :

1. L’autorité ecclésiastique ayant compétence sur le territoire, mentionnée à l’article 22 §2, considérera avec attention et prudence ce qui, en ce domaine, à partir des traditions et du génie de chaque peuple, peut opportunément être admis dans le culte divin. Les adaptations jugées utiles ou nécessaires seront proposées au Siège apostolique pour être introduites avec son consentement.

2. Mais pour que l’adaptation se fasse avec la circonspection nécessaire, faculté sera donnée par le Siège apostolique à cette autorité ecclésiastique territoriale de permettre et de diriger, le cas échéant, les expériences préalables nécessaires dans certaines assemblées appropriées à ces essais et pendant un temps limité.

3. Parce que les lois liturgiques présentent ordinairement des difficultés spéciales en matière d’adaptation, surtout dans les missions, on devra, pour les établir, avoir à sa disposition des hommes experts en ce domaine.

Ajoutons que Benoît XVI avait dit lors d’un voyage au Bénin que, « tout en restant lui-même dans l’absolue fidélité à l’annonce évangélique et à la tradition ecclésiale, le christianisme revêtira le visage des innombrables cultures et des peuples dans lequel il est enraciné, » (Africae Munus)

LES PIEUX EXERCICES

Une fois cette position de l’Eglise donnée, rappelons ce qu’entend le Directoire sur le terme « pieux exercices » qui sera utilisé ci-après :

La locution « pieux exercice » désigne les expressions publiques ou privées de la piété chrétienne qui, bien que ne faisant pas partie de la Liturgie, sont en harmonie avec cette dernière, c’est-à-dire conformes à son esprit, à ses normes et à ses rythmes; de plus, ces expressions tirent d’une certaine manière leur inspiration de la Liturgie, et elles doivent y conduire le peuple chrétien. Certains pieux exercices sont accomplis sur l’ordre du Siège Apostolique, d’autres sur l’ordre des Évêques; beaucoup appartiennent aux traditions cultuelles des Églises particulières et des familles religieuses. Les pieux exercices ont toujours une référence dans la révélation divine publique, et un fondement ecclésial: ils concernent, en effet, les réalités de la grâce révélées par Dieu en Jésus Christ; de plus, ils doivent se conformer « aux lois et aux normes de l’Église », et ils sont célébrés « selon les coutumes ou les livres légitimement approuvés ».

La constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium précise que « les exercices en question doivent être réglés en tenant compte des temps liturgiques et de façon à s’harmoniser avec la liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure. »

 

CONCERNANT LA PIETE POPULAIRE

Cela étant dit, il convient de bien considérer qu’au sein de la nation française existent des peuples qui ne sont devenus français que par la force de l’Histoire, et que ces peuples ont des cultures propres, qui ne sont parfois pas ou peu connus de nos pasteurs et des laïcs impliqués dans la vie ecclésiale. Comme l’a dit le Pape François lors de son discours au Parlement Européen le 25 novembre 2014 «  … les cultures ne s’ identifient pas nécessairement avec les pays, certains d’entre eux ont diverses cultures et certaines cultures s’expriment dans divers pays… » La pleine prise de conscience de ce fait permet une approche à notre sens plus complète et non erronée de ce domaine sensible et véritable porteur dans la mission du chrétien si l’on en saisit bien le sens.

 

Par ailleurs, et nous l’avons dit précédemment, nous retrouvons dans nombre de nos liturgies actuelles (3) trop de choses qui n’ont rien à voir avec la liturgie, qui pourraient (peut-être) se rapprocher de signes de piété populaire (encore que…), mais sont surtout des rites parallèles qui parasitent et dévoient la Liturgie elle-même, qui n’a pas à subir de modification dans son essence même. Ces sortes de nouveaux rites correspondent à un besoin. Si besoin il y a, c’est donc qu’il existe une cause, cause que nous avons évoqué plus haut. Or le Père Michel Viot précise « qu’ un rite mal exprimé […] perd son sens et brise le contact avec le sacré, en l’absence duquel il n’y a plus de vie humaine digne de ce nom. Et par voie de conséquence la religion s’autodétruit, Dieu est comme fondu dans le monde et l’humain dans l’inhumain » (4). N’est-ce pas d’actualité ? Comme le dit si bien Sacrosanctum Concilium : « la liturgie est le sommet vers lequel tend l’action de l’Eglise et en même temps la source d’où découle toute sa vertu. » Nous ne pouvons donc faire n’importe quoi, sauf à limiter l’action d l’Eglise et donc à dessécher cette source. 

D’un autre côté, considérer le besoin d’inculturation de la liturgie comme un besoin relevant de la seule piété populaire (qui devrait donc avoir sa place uniquement dans ce qui est appelé pieux exercices mais non dans la liturgie) est une restriction non justifiée par les textes eux-mêmes et une négation des cultures susceptibles d’accueillir le message du Christ. Plus encore, ceci est à notre sens un frein à l’évangélisation (nous renvoyons ici à l’exhortation apostolique du Pape Jean-Paul II du 16 octobre 1979 « De Catechesi tradendae« , notamment les paragraphes 53 et 54 concernant l’incarnation du message dans les cultures et la contribution des dévotions populaires). C’est pourquoi nous proposons ici de nous pencher un peu plus sur les textes concernés et particulièrement sur ce directoire. 

 

La Constitution sur la Sainte Liturgie, nous l’avons vu, souligne que   « les pieux exercices du peuple chrétien […] doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la Liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure ».

Les expressions de piété populaire doivent donc découler d’une liturgie digne de ce nom. Mais pour que cela puisse se faire, il est évident que l’inculturation est un point primordial à appréhender. Citons le texte concernant l’inculturation et la piété populaire in extenso :


91. La piété populaire est naturellement marquée par le contexte historique et culturel dans lequel elle se développe. Ce caractère particulier se traduit par la variété de ses expressions, qui ont prospéré et se sont affermies dans les diverses Églises particulières tout au long des siècles, et qui constituent autant de signes d’un véritable enracinement de la foi dans des peuples particuliers et de son intégration dans la vie quotidienne des fidèles. De fait, « la religiosité populaire est la forme première et fondamentale d’ « inculturation » de la foi; tout en se conformant sans cesse aux orientations de la Liturgie, elle est appelée à son tour à illuminer la foi à partir du cœur ». La piété populaire résulte donc de la rencontre entre le dynamisme novateur du message de l’Évangile et les diverses composantes d’une culture particulière.

 

92. Le processus d’adaptation ou d’inculturation d’un pieux exercice ne devrait pas présenter de difficultés particulières dans le domaine du langage, dans celui des expressions musicales et artistiques, et en ce qui concerne les gestes et les attitudes corporelles qui doivent être adoptés. Il est vrai que, d’une part, les pieux exercices ne touchent pas des aspects essentiels de la vie sacramentelle, et que, d’autre part, ils sont très souvent d’origine populaire, c’est-à-dire que, venant du peuple, ils ont été formulés par ce dernier dans son propre langage avant d’être assumés par la foi catholique.


Toutefois, le fait que les pieux exercices et les pratiques de dévotion se réfèrent à l’expression des sentiments populaires, ne signifie pas pour autant qu’il faille les considérer sous un angle purement subjectif. Étant sauve la compétence particulière de l’Ordinaire du lieu et des Supérieurs Majeurs – s’il s’agit de dévotions liées à des Ordres religieux -, il convient que la Conférence des Évêques se prononce à propos des pieux exercices qui intéressent l’ensemble d’une nation ou une partie importante du territoire.

Une attention soutenue et un grand discernement sont donc nécessaires afin d’empêcher que ne s’insinuent dans les pieux exercices, par le biais des différentes formes de langages, des concepts contraires à la foi chrétienne, ou que ne soient introduites des expressions cultuelles viciées par le syncrétisme.

Il est nécessaire, en particulier, que le pieux exercice, qui fait l’objet d’un processus d’adaptation ou d’inculturation, conserve son identité profonde et sa physionomie propre. Cela requiert de maintenir très explicitement les références à son origine historique, ainsi que les éléments doctrinaux et culturels qui le caractérisent.

En ce qui concerne la question particulière de l’adoption de certaines formes de la piété populaire dans le processus d’inculturation de la Liturgie, il faut se conformer à l’Instruction qui a été promulguée par le Dicastère sur ce sujet.


Rappelons auparavant qu’il est nécessaire de prendre en considération les éléments fondamentaux suivants : la supériorité de la Liturgie sur les autres expressions cultuelles (pieux exercices, dévotions, …); la dignité et la légitimité de la piété populaire; la nécessité pastorale d’éviter toute forme d’opposition entre la Liturgie et la piété populaire, ou au contraire la confusion entre ces deux domaines, ce qui donnerait lieu à ces célébrations de caractère hybride.

 

CONCERNANT L’INCULTURATION DE LA LITURGIE

Le texte précédent est assez clair pour ne pas avoir à l’expliquer. Voyons maintenant ce que dit cette Instruction promulguée par le Dicastère sur la question de l’inculturation de la Liturgie (IVe Instruction de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements pour une juste application de la Constitution conciliaire sur la liturgie ) :

 

30 – Pour préparer une inculturation des rites, les Conférences épiscopales devront faire appel à des personnes compétentes, tant dans la tradition liturgique du rite romain que dans l’appréciation des valeurs culturelles locales. Des études préalables d’ordre historique, anthropologique, exégétique et théologique sont nécessaires. Mais elles ont besoin d’être confrontées à l’expérience pastorale du clergé local, en particulier autochtone. L’avis des « sages » du pays, dont la sagesse humaine s’est épanouie à la lumière de l’Évangile, sera aussi précieux. De même, l’inculturation liturgique visera à satisfaire les exigences de la culture traditionnelle, tout en tenant compte des populations marquées par la culture urbaine et industrielle. 

 

Répétons-le : « pour préparer une inculturation des rites, il faut faire appel à des personnes compétentes tant dans la tradition liturgique du rite romain que dans l’appréciation des valeurs culturelles locales ». Or, tout le monde n’est pas compétent sur le sujet (prêtres ou laïcs), tant sur la tradition liturgique du rite romain que sur les valeurs culturelles locales. A notre sens, la question des responsabilités et compétences évoquée en début de cet article ne peut donc s’appliquer de manière constructive que si, en amont, le travail a été réellement effectif sur ce sujet. La suite du document proposé dit : 


38. Dans l’analyse d’une action liturgique en vue de son inculturation, il est nécessaire de considérer aussi la valeur traditionnelle des éléments de cette action, en particulier leur origine biblique ou patristique (cf. ci-dessus, n. 21-26), car il ne suffit pas de distinguer entre ce qui peut changer et ce qui est immuable. 


39.
 Le langage, principal moyen pour les hommes de communiquer entre eux, a pour but, dans les célébrations liturgiques, d’annoncer aux fidèles la bonne nouvelle du salut (83) et d’exprimer la prière de l’Église au Seigneur. Aussi doit-il toujours exprimer, avec la vérité de la foi, la grandeur et la sainteté des mystères célébrés. On devra donc examiner avec attention quels éléments du langage du peuple peuvent convenablement être introduits dans les célébrations liturgiques et en particulier s’il est opportun ou contre-indiqué d’employer des expressions des religions non chrétiennes. Il sera également important de tenir compte des divers genres littéraires employés dans la liturgie: textes bibliques proclamés, prières présidentielles, psalmodie, acclamations, refrains, répons, hymnes, prière litanique. 


40.
 La musique et le chant, qui expriment l’âme d’un peuple, ont une place de choix dans la liturgie. Aussi doit-on favoriser le chant, en premier lieu des textes liturgiques, pour que les voix des fidèles puissent se faire entendre dans les actions liturgiques elles-mêmes. « Puisque, dans certaines régions, surtout en pays de mission, on trouve des peuples possédant une tradition musicale propre qui tient une grande place dans leur vie religieuse et sociale, on accordera à cette musique l’estime qui lui est due et la place convenable, aussi bien en formant leur sens religieux qu’en adaptant le culte à leur génie » 

 

Nous rappelons ici que si la langue française est devenue majoritaire sur un territoire qui n’était pas de culture française, la langue du coeur reste la langue bretonne, et marque profondément les gens. Celui qui s’est penché sur la question peut certifier qu’un cantique breton fait vibrer, y compris des personnes qui ne parlent pas le breton ou sont parfois loin de l’Eglise. Ce n’est pas pour rien que les festoù-noz et festivals bretons drainent autant de monde. Cet aspect faisant en quelque sorte partie de l’ADN breton. Cela signifie qu’en usant de la langue du coeur, nous pouvons certainement toucher ! Rappelons aussi au passage la place du chant grégorien et du latin dans la liturgie, que Vatican II n’a nullement mis au rebut (contrairement à ce qu’on entend) mais a considéré comme ayant une place primordiale dans la liturgie (cf Sacrosanctum Concilium). Au-delà du fait que cela fasse « vibrer », ces chants et mélodies amènent à une certaine transcendance et avec une qualité textuelle importante (même si nous retrouvons aussi de temps à autres des cantiques bretons, français, etc… qui mériteraient de rester dans les tiroirs). 


Nous lisons qu’on « sera attentif au fait qu’un texte chanté se grave plus profondément dans la mémoire qu’un texte lu, et cela doit rendre exigeant sur l’inspiration biblique et liturgique, et sur la qualité littéraire des textes de chant. » et que « l’o
n pourra admettre dans le culte divin les formes musicales, les airs, les instruments de musique « selon qu’ils sont et peuvent devenir adaptés à un usage sacré, et qu’ils s’accordent à la dignité du temple et qu’ils favorisent véritablement l’édification des fidèles ». « 

CQFD (et nous renvoyons ici à l’Instruction Musicam Sacram, qui précise cette question).


41.
 La liturgie étant une action, les gestes et les attitudes ont une particulière importance. Parmi eux, ceux qui appartiennent au rite essentiel des sacrements et qui sont requis pour leur validité doivent être conservés tels qu’ils ont été approuves ou déterminés par la seule autorité suprême de l’Église. 


Les gestes et attitudes du prêtre célébrant doivent exprimer sa fonction propre: il préside l’assemblée en la personne du Christ.. 


Les gestes et attitudes de l’assemblée, parce que signes de communauté et d’unité, favorisent la participation active en exprimant et en développant l’esprit et la sensibilité des participants. On choisira dans la culture d’un pays les gestes et attitudes corporelles qui expriment la situation de l’homme devant Dieu, en leur donnant une signification chrétienne, en correspondance, si possible, avec les gestes et attitudes provenant de la Bible. 

 

Nous le voyons, la question même de l’Inculturation de la liturgie ne se limite à des conditions normatives, mais à une dimension missionnaire qui implique une véritable connaissance du territoire, des cultures concernées et des peuples eux-mêmes, et de la liturgie elle-même. Sans cela, le message tombera à côté. La nouvelle évangélisation à laquelle nous sommes invités et cette inculturation sont donc intimement liées, cela étant clairement rappelé par le Concile Vatican II. Nous invitons d’ailleurs nos lecteurs à relire le décret Ad Gentes – notamment Ch III, 22- sur l’activité missionnaire de l’Eglise, qui rappelle que « les Eglises particulières ont à emprunter aux coutumes, aux traditions, aux arts… tout ce qui peut contribuer à confesser la Gloire du Dieu Créateur, mettre en lumière la Grâce du Sauveur et ordonner comme il le faut la vie chrétienne. »

Ce n’est pas sans raison que les églises se sont vidées en Bretagne, même s’il existe aussi d’autres facteurs qui se sont conjugués. Les pardons restent encore vivaces (mais pour combien de temps ?) parce que justement ils ont des bases très anciennes qui ont pris en compte les éléments sus-cités.

Philippe Abjean, disait récemment dans le Magazine Bretons que « l’Eglise a arrêté de s’adresser au coeur des gens » (nous précisons : y compris par leur langue de coeur qui est le breton). Il ajoute :« l’erreur de l’Eglise a été de faire de la religion une affaire d’intellect. Il fallait que les gens comprennent, donc on a supprimé le latin (NDLR : et le breton). Alors qu’une grand-mère qui chantait le Credo ou le Gloria savait bien ce qu’elle chantait, elle n’avait pas besoin d’avoir fait du latin en fac. Il fallait enlever les statues, c’était de la superstition, ne plus se mettre à genoux, c’était infantilisant, ne plus sortir les bannières de procession, c’était de la naïveté […] Et comme les Bretons sont assez légitimistes, ils n’ont rien dit mais ils sont partis sur la pointe des pieds, ils ont déserté les églises.«  Philippe Abjean continuait en disant que les gens ont un instinct du sacré mais ils ont perdu le sens de la sacralité.

Comment donc le leur faire retrouver ? 

Nous voyons non seulement ici le lien entre piété populaire et liturgie, mais aussi une des raisons (pas la seule évidemment) de la désertification de l’Eglise par nombre de personnes, du moins en ce qui concerne la Bretagne. Il faut donc à nouveau trouver comment interpeller et parler au coeur des Bretons, de manière à ce que ces futurs fidèles soient enclins à recevoir l’Evangile et à vivre une vie de foi profonde loin d’un catholicisme simplement socio-culturel et/ou dont la seule maintenance d’une communauté paroissiale en déclin serait la priorité en laissant de côté la dimension missionnaire (5). Il ne s’agit donc pas de la question d’adapter la liturgie à l’homme (ce que l’on fait trop souvent au détriment d’un Christocentrisme essentiel), mais bien de toucher les hommes et femmes par les ressorts permis dans le cadre liturgique. Et que cela ne soit pas un feu de paille mais constant.

L’inculturation de la liturgie est un outil incontournable pour avancer en ce sens. Inculturation malheureusement trop ignorée de nos jours alors que la majorité des missionnaires l’avaient bien compris (6)… De plus, la pleine compréhension de l’intérêt de cette inculturation ne peut se faire que si l’on se forme déjà à la Liturgie (cf ch II par 14 Sacrosanctum Concilium ). Disons-le, rien que de lire la Présentation Générale du Missel Romain ferait avancer les choses d’une manière considérable (mais on ne saurait s’en contenter). 

 

Concluons par un souhait : que les prêtres, les religieux, les laïcs engagés, que tous les chrétiens tiennent pour important tous ces éléments dans un idéal missionnaire essentiel chez le chrétien. Que ceux qui se réfèrent constamment aux textes puissent les étudier, les prendre dans leur globalité et dans les détails (en prenant garde de ne pas isoler les passages qui arrangent), tout en apprenant à connaître pleinement le tissu local dans lequel ils évoluent. Que les prêtres et laïcs en responsabilité dans l’Eglise fassent appel à des gens qui connaissent ces sujets s’ils ne les maîtrisent pas, pour les aider à mieux appréhender ces domaines d’importance. 

Alors, nous en sommes persuadés, les églises se rempliront à nouveau par des gens qui redécouvriront le Christ car ils sauront qu’Il s’adresse à eux… personnellement. Jean-Paul II avait dit que « le christianisme du troisième millénaire devra répondre toujours mieux à cette exigence d’inculturation »(7).  Et si cette inculturation était en quelque sorte le grain de sénevé qui fera croître l’Eglise de Bretagne, et donc la Bretagne elle-même ? 

1- Nous rappelons qu’il s’agit ici de l’opinion argumentée de l’auteur de l’article, visée par un prêtre, mais que cet article n’est pas un document d’Eglise. Il se base toutefois sur les documents concernés pour développer son propos, ne se limitant pas à une lecture partielle des textes. L’auteur est ouvert à des argumentations qui permettront de préciser cet article au fil du temps. 

2- Il est quand même bien spécifié dans le décret Ad Gentes (ch III, 19) que la foi doit être célébrée dans une liturgie conforme au génie du peuple, et, par une législation canonique appropriée, passer dans les institutions honorables et dans les coutumes locales. Si l’on pousse la réflexion, il est probable que si la liturgie ne tient pas compte du « génie du peuple », il est peu probable que la foi puisse passer dans les institutions et coutumes locales. 

3- Utiliser cette expression « liturgies actuelles » au pluriel me chagrine car nous devrions parler de LA Liturgie (la Sainte Liturgie), mais nous devons bien constater que nous avons aujourd’hui une multitude d’approches qui font que nous avons affaire à DES liturgies (qui se rapprochent plus ou moins de LA Liturgie, avec un grand L).

4- Homélies des dimanches et fêtes de l’année B – Père Michel Viot, Editions Artège, p94. 

5- Dans cette dimension missionnaire, j’implique bien évidemment la prise en compte de la communauté locale tout comme le fait d’aller vers d’autres. En bref, « s’évangéliser soi-même avant d’aller évangéliser les autres », mais ne pas oublier de faire « de toutes nations des disciples », à commencer par nos proches périphéries (terme à la mode). 

6- Même les communautés dites « nouvelles » qui s’installent en France arrivent avec un « packaging liturgique » qu’ils proposent ou parfois imposent en ignorant totalement les cultures locales. Pour exemple, il existe pourtant des possibilités « d’inculturation » puisque même des chants de l’Emmanuel ont été traduits en breton et en tenant compte de la rythmique. Qu’on nous cite une paroisse bretonne dont l’Emmanuel a la charge qui s’en inspire ? 

7- Jean-Paul II « Au début du nouveau millénaire » § 40

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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3 Commentaires

  1. Etude intéressante d’autant plus que vous renvoyez à divers textes. Je pense proposer l’article à mon curé pour l’insérer dans le bulletin de la paroisse.

  2. Trugarez braz deoc’h, Claude. Tu as raison sur la question de refus de principe. Par contre, hier j’ai été confronté à un point auquel je n’avais pas spécialement pensé dans la question des refus. Je participais à des obsèques où il ne devait y avoir aucun cantique breton, alors que le défunt l’aurait souhaité. Grâce à quelques personnes (dont je fais partie), cet ancien a eu une messe trilingue, avec des cantiques bretons. L’animatrice, qui refuse tout chant breton habituellement, m’a dit : « je préfère ne pas chanter de breton car dès que je prononce mal un mot, j’ai des bretonnants qui me tombent dessus ». Ce n’est donc pas une mauvaise volonté qui lui était prêtée, mais une blessure qui démotivait tout usage du breton de sa part. Peut-être y en a-t-il d’autres dans ce cas, et qu’une certaine pédagogie permettrait de pallier à ces blessures. Cela n’enlèverait en rien les refus de principe mais ferait probablement avancer les choses.

  3. L’auteur se donne beaucoup de mal, et il argumente avec soin sa question! Bien sûr il a raison, mais le refus de cantiques bretons est la plupart du temps un refus « de principe », comme dans les mairies qui ne veulent pas d’une école bilingue chez eux, et ces gens là il n’y a pas grand chose qui puisse leur faire changer d’idée…

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