Saints bretons à découvrir

« En faisant la promotion des langues régionales, c’est l’Humanité tout entière que l’on sert » (Gaid Evenou)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

«Préserver les langues régionales est un enjeu de biodiversité et de sauvegarde du patrimoine de l’Humanité»

Dans le FIGAROVOX/TRIBUNE du 9/04/2021, Gaid Evenou, spécialiste de la diversité linguistique et de la didactique des langues, se réjouit de l’adoption de la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, qui permettra de protéger une culture, un patrimoine ancestral et des traditions.

À l’heure historique où, au terme de vifs débats, la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, portée par le député breton Paul Molac, vient d’être adoptée, il nous paraît utile de rappeler tous les enjeux bénéfiques d’une politique linguistique et éducative favorable au plurilinguisme et tout particulièrement aux langues minoritaires et régionales.

Du point de vue didactique tout d’abord, rappelons que tout bilinguisme, quelles que soient les langues qui le composent, est structurant, et on connaît aujourd’hui l’atout que constitue pour l’individu le fait d’avoir été exposé à plusieurs langues dès le berceau. En effet, chaque langue a sa manière propre d’interpréter le monde, et le fait de grandir avec deux systèmes de représentation mentale, ou plus, favorise la flexibilité et la créativité de la pensée. En outre, les enfants bilingues développeront précocement leur conscience métalinguistique (la capacité de réflexion sur la langue en tant qu’objet.) Les aptitudes développées permettent ainsi d’acquérir plus vite et de mieux maîtriser de nouvelles langues, ce tout au long de la vie, dans un cadre scolaire ou non. Dans le cadre de l’enseignement bilingue ou immersif en langues régionales, les élèves de ces cursus affichent par voie de conséquence de meilleurs résultats que les enfants des cursus monolingues dans les différentes langues vivantes étudiées, mais aussi en langue française , ce qui va de soi.

« Celui qui ne connaît pas les autres langues ne sait rien de la sienne »

Goethe, Maximes et réflexions

Certes, à l’époque des lois Jules Ferry et de l’instauration de l’École de la République, gratuite, laïque, obligatoire, et uniquement en français, le discours officiel, souvent porté par les instituteurs, était que les langues régionales, traitées alors comme des baragouins ou des patois, nuisaient au bon apprentissage du français et freinaient l’accès à l’éducation. Or cette doctrine qui a longtemps perduré autant sur le territoire hexagonal que dans ses colonies lointaines, a depuis longtemps été réfutée par les psycholinguistes et les didacticiens des langues: ces derniers s’accordent en revanche sur le fait que priver un enfant de sa langue maternelle peut avoir de fâcheuses conséquences au niveau cognitif et donc scolaire…

L’étude précoce d’une langue régionale a donc, évidemment, des retombées positives sur les aptitudes en langue française: si on a longtemps pensé qu’il fallait étouffer la langue régionale pour former de bons francophones, on sait aujourd’hui que c’est assurément en formant de bons bilingues qu’on forme de meilleurs francophones. La langue officielle de notre pays n’est donc en rien menacée par la diversité culturelle nationale, bien au contraire.

C’est pourquoi aujourd’hui la demande des parents concernant les cursus bilingues et immersifs est en hausse, soulignons d’ailleurs qu’elle n’émane pas systématiquement de sympathisants des cultures régionales: beaucoup de parents souhaitent offrir ce cursus à leurs enfants en toute connaissance des bienfaits cognitifs et culturels divers dont ces derniers pourront bénéficier…tout au long de leur vie, car le bilinguisme précoce, très formateur au niveau cognitif, porte ses fruits tout au long de l’existence.

Mais les langues ne sont pas seulement des structures linguistiques, certes extrêmement sophistiquées, qui nous permettent de communiquer: elles sont bien plus, le vecteur d’une culture, d’un patrimoine ancestral, de traditions orales, de savoirs-faire (artisanaux, agricoles, botaniques…), d’une mémoire collective, de l’histoire d’un peuple, de pratiques artistiques, littéraires, mais aussi sociales. Tant de trésors dont la transmission n’est garantie que si la langue est transmise. C’est en quoi la rupture linguistique qui a marqué les langues régionales de France, à partir de l’école gratuite et obligatoire mais surtout au lendemain de la deuxième guerre mondiale, a des conséquences qui vont bien au-delà d’un simple changement de langue brutal, souvent opéré sur trois générations.

Les cours de langue régionale, même pratiqués de manière facultative dans un cursus classique, donnent des clefs de compréhension pour s’ouvrir à une réalité toujours présente mais trop souvent occultée.

Au nom de l’éducation, de la culture de nos enfants, nous sommes en droit de souhaiter pour eux qu’ils aient accès à l’histoire de leurs ancêtres proches, de leurs coutumes, de leur histoire et de leur mode de vie, afin de mieux comprendre le monde dans le contexte culturel mondialisé qui est le nôtre aujourd’hui. Prenons un exemple: aujourd’hui, l’attraction de la culture américaine se faisant toujours plus sentir, il est coutume de voir des enfants, chaque 31 octobre, faire du porte-à-porte pour demander des bonbons, à l’occasion de Halloween… N’est-il pas légitime d’expliquer, aux petits bretons notamment, qu’Halloween est en réalité une fête celtique pluriséculaire, certes importée par les Irlandais aux États-Unis au XIXème siècle, mais qui était toujours célébrée, il y a quelques générations, en Bretagne où cette date marque le début de la nouvelle année, la rencontre des deux mondes et l’éternel recommencement, et qu’il en reste aujourd’hui des traces? Et que dire de l’immense littérature, orale mais aussi écrite, que nous laissent les langues régionales, que l’on n’a que trop peu l’occasion de découvrir au cours d’une formation «classique», et dont on ne peut goûter toute la saveur qu’en s’initiant à ces langues: la riche littérature occitane des troubadours à Frédéric Mistral, ou le Barzhaz Breizh, recueil de chants épiques bretons que George Sand elle-même qualifiait de “joyaux”… que dire encore de tous ces toponymes qui restent obscurs au français monolingue alors qu’il donne souvent de précieuses informations (historiques, topographiques, culturelles…) à l’initié? Les cours de langue régionale, même pratiqués de manière facultative dans un cursus classique, donnent des clefs de compréhension pour s’ouvrir à une réalité toujours présente mais trop souvent occultée. Rappelons d’ailleurs que la communauté internationale a adopté deux traités dans le cadre des travaux de l’UNESCO visant à protéger ce patrimoine et ces expressions au début des années 2000: la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2003, et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en 2005.

Le fait de parler une langue régionale n’a pas pour effet le repli sur soi.

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À propos du rédacteur Erwan Kermorvant

Erwan Kermorvant est père de famille. D'une plume acérée, il publie occasionnellement des articles sur Ar Gedour sur divers thèmes. Il assure aussi la veille rédactionnelle du blog et assure la mission de Community Manager du site.

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Un commentaire

  1. Très bon article. Notons cependant les visions étriquées de repli sur soi de certains politiques de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les autres tendances qui, brandissant les droits de l’homme, sont hostiles au développement des langues dites régionales qui, pourtant, sont les langues originelles des territoires concernés. J’ai vu les vidéos de l’un d’entre eux qui a vu aussi rouge que son parti…
    J’entendais sur C News des chroniqueurs disant que sans une langue, il n’y a pas de culture, parlant là de la langue et la culture Française. Très bien! Je suis d’accord avec eux sur ce point, d’autant que cette langue et cette culture est très riche…Mais à les écouter, c’est la culture et la langue la plus riche au monde: cocorico…Quel mépris pour les autres peuples, et quel orgueil…. ET: pourquoi ces gens sont-ils incapables de transposer leur point de vue à l’ensemble des langues et cultures dites régionales. Car sans la langue Bretonne, il n’y a pas de culture Bretonne. Sans la langue Corse, il n’y a pas de culture Corse. sans la langue Française, il n’y a pas de culture Française. Donc, que les choses soient claires: soient les politiques tous bords confondus disent: « nous estimons que les langues et cultures régionales ont, au nom des droits de l’homme et des droits internationaux, le droit de vivre et de se développer sur leur territoire d’origine » OU ALORS ils assument clairement et disent, comme certains l’ont fait:  » on n’en a rien à faire de vos langues et cultures, et nous souhaitons votre disparition ». En cela, ces derniers ne valent alors pas plus qu’un Louis XIV et ses centaines de milliers de bretons massacrés. Ou des Danton et Robespierre, Foch et Thureau,qui estimaient que les Bretons et Vendéens ne valaient pas plus que des animaux et que les droits de l’homme ne s’appliquaient pas à eux dès lors qu’ils étaient Chouans. avec les lots d’atrocités: massacres en masse, tanneries de peaux humaines…Ou des Gambetta avec le camp de Conlie, en Mayenne et ses 70 000 morts.
    La Bretagne a plusieurs langues: le Breton et le gallo tout d’abord et, à cause des aléas de l’histoire, le Français. La Bretagne a le droit de développer ses langues sur son territoire.
    La France a plusieurs langues, à cause des aléas de l’histoire qu’elle a provoqué: tout d’abord, le Français, langue commune, et les langues dites régionales car leurs territoires d’origines sont dans l’hexagone. De même pour les langues des DOM TOM, tel que le Créole. La France a le DEVOIR de développer ces langues sur son territoire. Ou alors, qu’elle arrête de donner des leçons à la Terre entière sur la préservation des langues et cultures menacées.
    Les autres langues étant des langues internationales, c’est à dire venant d’autres pays, n’ont pas à être mises sur le même plan car elles ont leur propre pays. Ainsi, le Russe, le Suédois ou le Danois peut-il être considéré langue régionale ou minoritaire de France? NOn! Leur territoire est la Russie, la Suède ou le Danemark. L’Arabe, qui est aussi une belle langue lorsqu’elle est bien parlée, peut-elle être considérée comme une langue minoritaire de France? Non! Son territoire est l’Arabie, et par les aléas de l’histoire, elle s’est étendue….Le Swahili peut-il être considéré comme une langue minoritaire de France? Non, sauf à avoir une mentalité néo-colonialiste: elle a son territoire d’origine, en Afrique.
    De plus: j’entends toujours dire: le Français, langue de la république. Mais le Français n’est pas la langue d’un régime de gouvernement. Il est la langue d’un pays, qu’on appelle la France et quel que soit les aléas de l’histoire, la langue Française est la langue de la France.
    Enfin, et pour terminer, j’ajouterai que les personnes hostiles aux langues dites régionales doivent suivre leur logique jusqu’au bout. Lorsqu’une certaine personne veut enlever les panneaux bilingues, elle devrait aussi franciser son nom et se faire appeler Mme la Tête… (ironie).
    Félicitations donc à l’ensemble des parlementaires qui ont enfin vu clair et voté la loi Molac.

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