Saints bretons à découvrir

Gildas l’écrivain

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

LES   DEUX   GILDAS

Le nom de Gildas ne manque ni dans les livres d’ histoire de Bretagne ni dans les oeuvres hagiographiques, mais en dépit des recherches qui lui sont consacrées de divers côtés son image ne se renouvelle guère. Cela tient à ce que les spécialistes, en  général remarquables, qui lui consacrent des travaux, limitent leur recherche à leur domaine propre et acceptent pour acquis ce qui sort de leur domaine. C’est ainsi que les latinistes comme M.Winterbottom et surtout F. Kerlouegan, dans leurs études du De Excidio, n’ont pas remis en cause les points de vue linguistiques et historiques des celtisants du siècle passé. Or le résultat des recherches de F. Kerlouegan est suffisamment novateur et assuré pour exiger un nouvel examen de la question de la place de Gildas dans l’ histoire et l’ hagiographie bretonnes.

 

L’ ECRIVAIN  GILDAS

La conclusion essentielle de F. Kerlouegan, en ce qui nous concerne ici, est que Gildas écrit un latin absolument sans trace d’influence bretonne et différant ainsi de celui de tous les textes latins écrits par des Bretons du haut moyen-âge. On en induit que Gildas était linguistiquement bien plus romanisé que les auteurs bretons connus.

Dans tout le texte du De excidio on ne trouve qu’un seul mot breton : Curucus « coracle » (19.1) et le nom de ces barques de cuir -terme technique – devait être en usage en latin. Bien plus, Gildas prétend traduire le nom breton Cuneglasus en « romana lingua » et il le fait par un bizarre lanio fulue « jaune comme un boucher » (32.1). On peut en conclure avec certitude qu’il ignorait totalement le breton, car *Kuno-glasto– signifie « glauque (bleu) élevé ».

Du texte du De Excidio on peut déduire le cadre géographique dans lequel vivait l’auteur. Il excluait à l’est  la partie de la Britannie dominée par les Anglais (avant la bataille de Dyrham de 577). Il comprenait la péninsule domnonéenne au sud-ouest, et tout le Pays de Galles au nord-ouest. Rien n’ indique un intérêt pour les territoires bretons du Nord , des deux côtés du Mur d’Hadrien. La vague (et erronée) mention des fortifications de la frontière calédonienne peut provenir du texte d’ Orose (Historiae), dont on sait que Gildas y a puisé.

On observe aussi que Gildas n’emploie jamais le nom Britto, Brittones. Il ne connait que des Britanni, des « Britanniens »,  qu’ il appelle le plus souvent ciues « citoyens ».

On a donc de bonnes raisons de penser que Gildas était issu d’un milieu romanisé, sinon romain d’ origine, probablement citadin d’ abord, monastique ensuite. On devrait  approximativement le situer dans l’actuel Wiltshire, où se trouve précisément Malmesbury dont l’abbaye a conservé, à l’époque anglaise, la tradition stylistique attestée en premier par Gildas. De là il devait pouvoir défier les chefs des principautés brittones de l’ouest, dont il dénonce les vices avec une éloquence (voire une hargne) implacable. Il s’agit d’ une petite Romania seclusa (décrite aussi dans SSS 1977, 59-61) vouée à disparaître une génération plus tard (Gildas écrivait vers 540). On y ignorait les traditions des Bretons de l’ouest autant que celles des Anglais de l’est, et  les relations avec le continent devaient y être assez rares pour que Gildas ignore tout des problématiques de la chrétienté continentale. Il utilise un texte latin de la Bible antérieur à la traduction de Jérome (+420), utilisé encore dans l’usus antiquor.  Gildas n’est pas au courant des querelles issues des désaccords entre Augustin et Pélage. Il ignore la Vie de Germain l’Auxerrois de Constantius (vers 470) et la mission de l’Auxerrois en Britannie pour y réduire un soi-disant pélagianisme. Mais il connait et cite (38.2) l’auteur du traité De Uirginitate qui est catalogué comme pélagien sur le continent et il le nomme quidam nostrum « l’un des nôtres ». Si Gildas avait eu vent d’une « hérésie pélagienne » il n’aurait pas manqué de la mentionner, puisqu’il cite la arriana perfidia « la perversité arienne », dont il est le  seul à faire état en Britannie. Ce n’est évidemment pas un point d’ honneur britannien qui l’aurait empêché d’en parler, puisque tout le De Excidio traîne dans la boue tous les Britanniens, rois, clergé, et peuple en tout temps et en tous lieux.

Mais ce tenant obstiné de la romanité politique n’est pas au fait du développement ecclésiologique de la chrétienté romaine. Comme encore aujourd’hui l’église orthodoxe, il applique le Tu es Petrus à tous les prêtres (omni sancto sacerdoti D.E. 109.4 & 5) et non pas au seul évêque de Rome. Il utilise le mot reges « rois » qui révèle l’ influence des Germains,  là où les Bretons usaient de tigern ou  de breentin  (A.J . Raude , OGBA §4.4).

En bref, l’analyse interne du De Excidio nous montre son auteur dans un îlot de latinité en relation politique mais non culturelle avec les principautés bretonnes de l’ouest, en opposition religieuse avec les Angles païens de l’est et sans contact suivi avec la chrétienté continentale.

En tant qu’oeuvre littéraire, le De Excidio nrest pas un sermon. Ses périodes tortueuses ne sont pas rhétoriques, ne s’adressent pas à une assemblée. C’est un essai pamphlétaire, plus castigateur que moralisant. Son style abstrus a du ajouter à la vigueur de l’expression pour inspirer aux lecteurs un respect intimidé. L’ épithète  doctus  le dit bien. Quant à  sanctus, cela pourrait mieux s’ appliquer à Gildas Albanus.

À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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5 Commentaires

  1. Depuis longtemps, on lit que l’auteur de « De excidio Britanniae » et l’abbé de Rhuys sont deux personnages différents sans trop savoir pourquoi. Enfin une explication simple et logique !

  2. J’ai cherché en vain une traduction francaise du « De excidio Britanniae » mais en vain . N’a-t-il donc jamais été tradui ?

    • Il a été traduit en breton, et à partir du texte français. Mais cette traduction n’a jamais été publiée. Peut-être le sera-t-elle un jour.

    • Il existe un traduction française réalisée par Christiane Kerboul-Vilhon éditée en 1996 aux éditions du Pontig. Cette édition est épuisée, mais on peut la trouver d’occasion sur price minister ou le site de la FNAC. Le titre complet est : De excidio Britanniae, décadence de la Bretagne.

  3. J’ai le pdf en Espagnol Mexico il me parâit bonne et corrigè

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