Le 11 novembre prochain, toutes les cloches de nos églises et chapelles sonneront pour rappeler qu’il y a 100 ans, ces mêmes cloches volaient pour l’Armistice, signature d’une paix éphémère. Le Te Deum a certainement aussi été entonné dans certaines paroisses. L’entendra-t-on en 2018 ?
Ar Gedour vous propose, pour accompagner la lecture de l’article qui suit, cette composition dans laquelle sonnent de multiples cloches de Bretagne (dont Sainte Anne d’Auray) et résonne un Te Deum. Vous y entendrez aussi un couple de sonneurs, et bien d’autres sons…
2018 : En ce centenaire de l’Armistice, qui ne fut qu’une signature de paix d’apparence, puisque vingt-quatre ans plus tard on remettait ça, il est bon de se souvenir que tant d’années de sacrifices « consentis » par les Bretons, n’ont pas été payés en retour par une France qui s’est plus comportée en marâtre qu’en mère reconnaissante.
Les guerres de la Révolution, celles des deux Empires et des Républiques auront été autant d’occasions pour faire passer les Bretons par l’entonnoir de la francisation. Mais ce sont surtout les cinq années de la guerre de 1914-1918, qui vont bouleverser en profondeur toute la société bretonne, la franciser, bien davantage que les quatre siècles écoulés depuis son annexion à la France.
Les Bretons auront payé le prix fort : 240.000 morts, bien qu’aujourd’hui ce chiffre soit contesté par certains historiens. Qu’importe, les faits sont là – terribles – dans cette guerre : la Bretagne, pas plus qu’avec les autres guerres citées, n’y aura gagné quoi que ce soit. Un constat : rien ne vaut une « bonne guerre » pour bouleverser, détruire, et changer la mentalité d’un peuple et lui apprendre à se renier. En ce sens, la Première guerre mondiale fut une parfaite réussite.
Si le gouvernement français met une sourdine à ses persécutions contre l’Eglise, ses institutions, son clergé, c’est uniquement par ce qu’il est bien obligé de reconnaître les immenses sacrifices, souvent héroïques, des prêtres, des séminaristes au front : certains généraux francs-maçons, libres-penseurs, et autres « bouffeurs de curés » notoires en témoigneront, voire en viendront à porter un regard plus positif sur l’Eglise. Il y aura même des conversions. Mais ce même gouvernement faisant son mea culpa de surface dans ses relations avec l’Eglise, n’abandonnera en rien une autre persécution : tout ce qui relevait du particularisme breton. C’est l’époque où le député Anatole de Monzie jettera à la figure des Bretons que « Pour l’unité de la France, la langue bretonne doit disparaître », ou encore cette sortie d’Edouard Herriot en visite en Bretagne, suppliant les Bretons « d’oublier leur qualité de Bretons pour ne se souvenir que de leur qualité de Français ». En ces lendemains d’une guerre meurtrière, seul comptait un patriotisme aux relents très cocardiers et ultra jacobins. Démobilisé en janvier 1919, l’abbé Perrot a été déjà prévenu par un ami grand blessé, et qui était retourné en Bretagne un an plus tôt :
« Surtout, Jean-Marie, ne t’attends pas à retrouver la Bretagne, ton Léon, que tu as laissée il y a cinq ans. Autant que tu sois prévenu, tu ne les reconnaîtras pas, tout a changé, les gens, les caractères, les mentalités, les habitudes. On ne se dit plus Bretons, on se dit Français, et souvent rien que cela ! »
En effet, dira l’abbé Perrot, « mon ami n’avait que trop raison. A mon retour, immédiatement, une chose étrange me frappe, les hommes ont tous abandonné leur noble chapeau breton pour l’horrible casquette plate. Les jeunes, fier de ce nouveau couvre-chef, se donnent des airs de petits durs désagréables ; les adultes, des villes comme des campagnes, ressemblent tous aux masses prolétariennes des ouvriers des usines de Paris et des grandes villes du Nord… et de la nouvelle Russie. Comme le dira mon ami le Marquis de l’Estourbeillon, les hommes sont tous atteints de « casquettomanie ». Les femmes ne sont pas en reste, surtout chez les jeunes filles : les costumes, les coiffes, commencent aussi à être délaissés au profit des modes parisiennes, et du « chapeau-cloche » ou de fichus, aussi laids que la casquette, et les faisant ressembler à des femmes de Corse, de Sicile, de Chypre ou autres pays du sud. Il y a chez les hommes comme chez les femmes, chez les jeunes comme chez les personnes âgées, un trait commun à ces changements, la noblesse de leurs visages a disparue, ils sont comme uniformisés par ces nouvelles modes vestimentaires ; là où il y avait le chatoiement des couleurs des costumes, il n’y a plus que grisaille et uniformité.
Une autre chose m’intrigue, et en tant que prêtre me peine profondément : avant la guerre on chantait beaucoup en Bretagne, surtout dans les campagnes, tous était prétexte à chanter : lors des Pardons, à la messe, tous aimaient chanter à l’église ; les foires, les travaux des champs ne se concevaient pas sans sa part de chants, désormais, les voix se sont éteintes. Il est vrai que je découvre une Bretagne peuplée de veuves, d’orphelins, de mutilés qui durant ces cinq dernières années ont plus chanté les « Requiem », les « De Profundis », les «Dies Irae », le « Tremen ra pep tra » que les Kan ha Diskan. Leurs cœurs ont perdus le goût du chant. Lors des Bleun-Brug c’est justement cette joie du chant que j’avais voulu développer, tout, dans ce domaine, comme dans tous les autres, est à reconstruire.
La pratique religieuse, surtout chez les hommes a aussi baissé, mais aussi les traditions familiales du Bénédicité, de la prière, de l’Angélus aux champs » (1).
C’est donc dans ce climat que des Bretons conscients que la Bretagne bretonne va dans ces années d’après-guerre jouer ses dernières cartes pour se sauver de la francisation. Sans même avoir cherché à l’être, l’abbé Yann-Vari Perrot va être reconnu par tous comme leur père spirituel ou leur « maître », même chez ceux qui se sont détachés de la foi, de l’Eglise. Evidemment, dans ses combats de sauvetage en urgence de l’âme bretonne, de ses traditions, de sa langue, des droits historiques des Bretons, il ne sera pas seul, puisque toute une élite culturelle, religieuse, artistique, politique va le suivre. Heureusement, car ces années 1920-1930 et les suivantes, tout est à reconstruire. C’est non sans raisons que l’on dira que ces années furent parmi les plus intenses dans ce renouveau, des années où tous les espoirs furent permis. Mais la Seconde guerre mondiale va, comme pour la Première, en quatre années, réduire à néant, tout l’immense travail de redressement accompli.
Rappelons encore, que c’est en 1918 que l’abbé Perrot – comme bien d’autres souvent méconnus – va se comporter en héros en se portant volontaire pour prendre la place d’un père de famille. Un malheureux soldat terrorisé à l’idée de devoir aller chercher un blessé au cœur du front, pilonné par le feu, les obus, les gaz toxiques. L’abbé Perrot réussira sa mission, et sera pour cet acte héroïque où, lui aussi, risquait sa vie, cité à « l’Ordre du jour » et décoré.
C’est encore en juillet 1918 qu’il rédigera son « Testament spirituel et politique », donnant les conditions pour que les Bretons retrouvent tous leurs Droits historiques les rendant maîtres chez eux. Mais à cela il indiquera une condition impérative : « que les Bretons restent dans la voie du Christ, Pierre Angulaire de leur avenir », et de conclure son Testament par cette supplique : « Sainte Anne, grand-mère du Christ, mère de la Vierge Marie, patronne des Bretons, bénissez- les afin que la Bretagne vive à jamais » (2).
Les oubliés de la guerre
En ce temps de commémorations, le courage, le témoignage, l’exemple de l’abbé Perrot ne seront même pas oubliés, ils sont tout simplement ignorés et n’intéressent personne, pas même Plouarzel, la paroisse d’où il était originaire, et celles où il exerça ses différents ministères : St Vougay, St Thégonnec, Plouguerneau, autant de lieux où pourtant on ne manquera pas de commémorer les soldats « Morts pour la France », mais aussi tous les autres.
Les communes se cherchent souvent des héros pour valoriser leur patrimoine culturel, historique, grattant des fonds de tiroirs, et lorsqu’elles en ont un, elles le méprise car « on » leur a expliqué qu’il n’était pas « historiquement correct ». Et elles n’ont pas cherché à en savoir plus. Pourtant, par les archives le concernant (écrits, carnets, photos, objets) il y aurait matière à une belle exposition d’une grande figure bretonne et léonarde de la Première guerre mondiale …
1) et 2) Extraits de « La vie de l’abbé Perrot. J’ai tant pleuré sur la Bretagne », éditions Via Romana 2017. En vente sur le site www.argedour.bzh ou chez l’auteur (34 euros + 8 euros de port. Dédicace possible)
Illustration 3 : René Le Honzec pour Ar Gedour – Tous droits réservés. Vous pouvez vous le procurer en format A4 cartonné numéroté pour 12€ port compris. Nous contacter pour toute demande.
Bennoz Doué Youenn !
pour ces lignes si vraies, si graves!…Il est heureux ici qu’internet rende possible la diffusion des vérités que les média ignorent. Puissent tes réflexions éclairer, consoler, raffermir bien des coeurs!
Edouard Herriot (1872-1957) maire de Lyon de 1905 à sa mort – sauf pendant la dernière guerre de 1940 à 1945 – fut à plusieurs reprises Président du Conseil, l’équivalant sous la IV° république du 1° ministre de la V°, mais jamais Président de la République !
Pour connaitre un peu mieux le pays et les temps où nous vivons il faut avoir lu le Barzaz Breiz de la Villemarqué, « l’âme bretonne » de Le Goffic et la vie de l’abbé Perrot par Youenn Caouissin….
Ces massacres perpétrés à « cause de la France et de son esprit revanchard »car elle voulait la revanche de 70.