Saints bretons à découvrir

Kernascléden : quel superbe pardon !

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

Le pardon de Notre-Dame de Kernascléden fait partie de ces pardons vers lesquels affluent encore beaucoup de gens, voire voient leur fréquentation augmenter d’année en année, alors même qu’il n’y a pas si longtemps on pouvait parier sur leur lente descente vers l’oubli. Mais Kernascléden, c’est cette petite bourgade qui possède en son sein ce magnifique joyau de dentelle de pierre, cette église comme une perle que l’on découvre dans sa coquille. Et chaque 15 août, ce lieu enchanteur le devient plus encore par le grand pardon, organisé par les paroissiens et l’ensemble des Gedourion ar Mintin, travaillant main dans la main à la réussite de l’événement.

Cette année a été marquée par la présence de Mgr Centène, évêque de Vannes qui, il y a deux ans, avait promis qu’il viendrait en 2017. Il a ainsi présidé la traditionnelle veillée proposée depuis plus de 10 ans par les Gedourion en guise de Vigile de l’Assomption.

Plus de 150 personnes avaient fait le déplacement pour assister à ce moment de prière et de méditation ponctué de chants en breton, latin et français laissant la part belle à la polyphonie, assurée par la chorale formée d’une trentaine de Gedourion et de paroissiens. Orgue, bombarde, harpe celtique, whistles pour la musique. C’est ce cocktail enraciné portant au sacré qui contribue au succès de ce rendez-vous annuel.

Cette veillée, débutant par la bénédiction de la fontaine et une procession vers l’église, a été renouvelée cette année : proposition de confessions dès 19h avec 4 prêtres disponibles pour donner le sacrement de réconciliation, les cloches sonnant à la volée à l’arrivée de la procession chantant l’un des cantiques à la Vierge de Kernascléden (cf ci-dessous), autel central retiré pour permettre de mettre en valeur le superbe maître-autel, éclairé par veilleuses et projecteurs diffusant une lumière bleutée autour du Saint Sacrement et de l’évêque immobile devant lui, en prière.

Intron Varia a Garnassen (collectage Ar Gedour 2017): 

Gwerhiez Vari a Garnassen (collectage Ar Gedour 2017) : 

 

1h30 de veillée, puis c’est l’heure de se séparer. L’assemblée se disperse mais certains restent déguster un dernier verre au bistrot d’à côté. Les Gedourion, quant à eux, profitent de ce moment pour faire leur repas annuel dans une ambiance conviviale.

Le lendemain, 10h30, c’est le début de la grand’messe. Chacun s’affaire pendant que retentissent les cloches de la paroisse. La foule se presse à la recherche d’une place. Tous les ans, elles sont rares, mais cette année, peut-être en raison de la venue de l’évêque, ou parce que le succès est au rendez-vous (ou les deux) , plus de 150 personnes assisteront à la messe de l’extérieur. Plus de 800 communions, cela signifie donc que le millier de pardonneurs a été franchi. Il n’y avait d’ailleurs plus assez de tickets repas pour pouvoir accueillir tout le monde après la messe, presque 500 repas ayant été servis avant les vêpres solennelles présidées par Mgr Centène, accompagné du Père Gabriel Ekani, curé du secteur paroissial de Guémené.

Mais revenons à la cérémonie elle-même.

La messe débute. Au milieu des bancs garnis de personnes en costume breton, hommes, femmes et de nombreux enfants, et de tous les autres, s’avance la procession, au chant de Intron Varia a Garnassen, l’un des 3 cantiques qui sont dédiés à la Vierge de Kernascléden.

L’homélie de Mgr Centène (que vous pouvez réécouter ci-dessous) en touchera aussi plus d’un :

Tout s’enchaîne de manière admirable, de la messe des Anges (Kyrie, Gloria, sanctus, Agnus) et Credo III (en alternance hommes/femmes), en passant par le Kalon Sakret Jezuz (cf ci-dessous : collectage 2017), le Magnificat et les cantiques à la Vierge en breton et en français). Le répertoire emporte une réelle adhésion. L’assemblée chante avec coeur… et c’est peu dire.

Les jeunes sont nombreux en costumes, grâce à Yvonne qui prête chaque année ses gwiskamantoù pour les pèlerins de plus en plus nombreux à vouloir assister à la messe ainsi habillés. Un ancien, qui a revêtu le costume breton de son grand-père afin de participer pour la première fois à ce pardon en costume, enthousiaste, n’en revient pas. Pour lui, c’est peu les chants et la liturgie de ses grand-parents, de ses parents qu’il a l’impression de redécouvrir. Il a revêtu le chupenn de son aïeul, mais mieux encore, il peut chanter comme lui la messe des anges ou le cantique à Notre-Dame de Kernascléden, le Re vo melet ou le Credo III.

J’entends un petit d’une douzaine d’années qui chante le Credo III comme la majorité de l’assemblée. Une petite de 10 ans en costume breton qui reprend aisément le Gloria de Angelis. Ici, les chants traversent les générations et dans une communion musicale résonnent sous les voûtes plusieurs fois centenaires grâce aux anciens et aux enfants, grâce aux jeunes et aux moins jeunes.

La liturgie est largement déployée : encens, évangile en breton et français, clochettes, cierges…  les deux diacres et les servants d’autels veillent à ce que tout se passe bien. La liturgie de la parole se fait face au peuple ; l’offertoire et la consécration se font ad orientem. La communion arrive… et survient une inquiétude malgré l’anticipation du cérémoniaire. Y aura-t-il assez d’hosties pour une assemblée si nombreuse ? A vingt près, il y aura finalement assez d’hosties pour la communion.

Vient le moment tant attendu de la procession. Les bannières sont apprêtées. Le Père Jo Galerne a quant à lui amené de nombreux « petits saints » qui auront un vif succès durant la procession. Toujours attentif aux plus jeunes, il apporte clochettes et statuettes pour que les enfants aient une part active à la procession. La statue est portée par des jeunes filles, et les lourdes bannières par les hommes. Des paroissiennes s’occupent des enfants. Les chanteurs entament le chant « Patromez karet Garnassen » dont le texte a été retrouvé par Olivier Tromilin, le maître d’oeuvre du pardon, et dont la musique a été composée en 2016 par Goulven Airault, la version originale ayant été totalement perdue à force de ne plus être chantée. Une version polyphonique a été écrite par le maître de chapelle de la cathédrale de Saint-Brieuc.

Extrait (il s’agit d’un live issu du collectage Ar Gedour au Pardon de Kernascléden 2017) :

La clochette portée par un petit enfant s’agite fébrilement. La procession débute. Un tour du village, passant à proximité d’une des deux fontaines et du calvaire, avant de revenir pour le Gloér de Vari (ci-dessous), l’Angelus Amzer Ordinal, la bénédiction pontificale et l’envoi.

Jean-Yves, originaire du coin mais longtemps sur la région parisienne, confesse :

« Je n’en croyais pas mes yeux. Cette liturgie… je me suis même surpris à pleurer tellement c’était beau ! »

Un quarantenaire ajoute : « Jamais je n’aurai cru pouvoir vivre ça. C’était splendide ». Un ancien renchérit : « vous savez, j’ai bien bourlingué et j’en ai vu des choses. J’ai redécouvert cette église, la religion… et tout ça, cette messe, la procession, ça me prend aux tripes ! »

Même constat du côté de la délégation de Sainte Anne-la-Palud venue en costume glazik pour l’occasion. C’était beau, tout simplement. Ce que confirme un autre pardonneur, d’une soixantaine d’année :

« entre le pardon de Notre-Dame des Fleurs l’an dernier et ce qui a été fait à Kernascléden, j’avoue qu’il se passe dans ce secteur quelque chose de fort ! »

De nombreux témoignages nous ont été donnés. Ainsi Hervé Kerbourc’h, spécialiste de la liturgie, nous livrera ce mail :

Un grand bravo aux Gedourien pour tout ce qu’ils ont fait à Kernascléden en cette fête de l’Assomption, depuis la bénédiction du feu et de l’eau jusqu’aux vêpres, en passant par la veillée eucharistique et la messe. La veillée était encore plus superbe que d’habitude, grâce aux… deux sermons de Mgr Centène (un sur l’Assomption, un sur saint Maximilien Kolbe), et à l’exemple qu’il donne, immobile et à genoux pendant si longtemps devant le Saint Sacrement. Et notre évêque fera le lendemain un autre grand sermon sur l’Assomption. Un de ces sermons dont il a le secret, à la fois simples et profonds, et « carrés », compréhensibles par tous et véhiculant la vraie foi catholique pleine et entière. Il est notre saint Léon le Grand.

Excellente innovation : l’autel de la messe face au peuple a été enlevé et Mgr Centène a pu célébrer au maître autel, comme il se doit, et ad orientem, comme le demande le préfet de la congrégation pour le culte divin le cardinal Robert Sarah.

Autre innovation, très jolie : la présence à la grande procession de statuettes de saints, en haut de leurs perches, qui ressemblent à des santons, et ce n’est pas étonnant puisqu’on les doit au père Joseph Galerne, de Lignol, dont la gigantesque collection de crèches de Noël est bien connue.

Enfin on remerciera les organisateurs d’avoir mis fin à la distribution anarchique de la communion à laquelle on avait assisté l’an dernier.

Même écho de Bernard Rio qui connaît bien les pardons de Bretagne pour avoir circulé à travers le pays pour découvrir ces pardons, y consacrant un livre d’un grand intérêt :

La liturgie a été rehaussée par des cantiques en breton, ce qui est indéniablement une qualité tant les mélodies traditionnelles s’avèrent chantantes et empreintes de solennité. L’intervention de Mgr Centène a également été de bonne tenue, accessible et compréhensible par le public mais suffisamment structurée pour séduire les oreilles averties. Voilà qui détonne des prêches molles, convenues et oiseuses (tenant davantage du bavardage profane que du sermon théologique) trop souvent entendues ici et là. La procession a également été de qualité, bien ordonnancée, magnifiée par les bannières et les fidèles en costumes traditionnels. J’ai remarqué que le bon sens (dextrogyre) avait été respecté (ce qui n’est pas toujours le cas).

 

A Kernascléden existe quelque chose d’exceptionnel. Il y a ce quelque chose que tout une équipe souhaite faire partager, par la liturgie, par le service du repas, par le don de soi, tout au long de ces deux jours. Et l’assemblée le ressent. Elle se sent bien et elle revient, d’année en année. Il y a cette dimension familiale, intergénérationnelle, qui se ressent chez les anciens et chez les plus jeunes. Il y a ce lien fort entre le clergé, les Gedourion et les paroissiens pour travailler ensemble à un pardon qui est loin de tout folklore, qui est authentiquement breton, enraciné dans un idéal Feiz ha Breizh qui n’a pas besoin de dire son nom tellement il se vit pleinement ici.

Nous ne pouvons conclure cet article sans prendre le temps de remercier ici le clergé local, mené par le Père Henri Goyalon – doyen du secteur- et le père Gabriel Ekani, administrateur des paroisses de Guéméné-sur-Scorff, Kernascléden, Langoëlan, Lignol, Locmalo et Persquen –  et les différents membres des équipes liturgiques du doyenné de Guémené/Scorff et de la paroisse de Kernascléden pour la beauté liturgique de cette célébration. Il est indéniable que sans eux tout cela ne serait pas possible.

D’autres belles photos et vidéos seront bientôt disponibles sur Ar Gedour. Les homélies du samedi soir seront aussi bientôt disponibles ici même.

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2 Commentaires

  1. Félicitations pour ce beau pardon du 15 août
    Magnifique.un très grand moment.
    Je vois que monseigneur Centene n’hésite pas à celebrer ad orientem comme il se doit.en espérant que les prêtres du doyenné de Guemene en fasse autant. Union de prières

  2. Concernant le commentaire de M.Bernard Rio : le terme « prêche » est issu du vocabulaire protestant et non catholique. On parlera plutôt d’homélie dans le cas d’un commentaire de l’Evangile qui vient d’être lu et de sermon pour une prédication plus générale. Cependant, les deux mots sont souvent indistinctement utilisés, sermon ayant une connotation plus ancienne. On utilise aussi le terme générique de prédication.
    En outre, le mot prêche est masculin et non féminin !

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